THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

             
 
    Cette année 2011 : 

 Quelques grandes mutations (suite)

 


L'année dernière, nous avons parcouru à grandes enjambées quinze siècles de l'histoire de l'Eglise. Quelques dates ont retenu particulièrement notre attention. Il a fallu que notre Eglise sorte de l'Eglise juive et prenne son autonomie ; il y eut des hérésies, un long divorce entre Orient et Occident, et des réformes, plus ou moins importantes, plus ou moins efficaces. Il y eut enfin la Réforme protestante qui entraîna une considérable séparation entre disciples d'un même Jésus Christ. J'ai essayé de présenter cela de manière positive : à travers ces bouleversements et ces drames, l'Eglise de Jésus Christ, non seulement n'a pas disparu, mais, au contraire, s'est transformée et à gagné en  qualité. Cette année, partant de ce début du XVIe siècle, nous cheminerons jusqu'à notre époque, à travers les vicissitudes et tous les aléas d'une histoire parfois tragique, et parfois glorieuse. Je vous le disais l'an dernier, notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". C'est d'ailleurs le destin terrestre de tout ce qui est vivant. En attendant ce que Teilhard de Chardin nommait le "point oméga."

 

11e séquence. Le XIXe siècle

(novembre 2011)

I - Napoléon

* Le Concordat

Lorsque Napoléon prend le pouvoir en novembre 1799, une double évidence s'impose à lui : la religion catholique a tenu bon ; et la paix civile, à laquelle tout le monde aspire, ne peut se faire qu'en réglant la question religieuse. Mais comment trouver les interlocuteurs valables ? L'Eglise de France est divisée entre les constitutionnels qui ont pactisé avec la révolution, et les insermentés, réfractaires, qui ont toujours refusé de se soumettre et qui restent encore, à ce moment-là, bien souvent clandestins. Autant dire que la fraternité sacerdotale ne règne pas entre les deux groupes. Le pape Pie VI vient de mourir à Valence. Les cardinaux, appuyés par l'Autriche, ont pu se réunir à Venise et ils ont élu Pie VII en mars 1800. Bonaparte, immédiatement après la victoire de Marengo, propose  des négociations au pape stupéfait. Ces négociations débutent à Paris  dès l'automne 1800. Du côté Eglise, c'est le cardinal Consalvi qui mène ls négociations ; du côté français, c'est l'abbé Bernier, qui a déjà réussi la pacification de la Vendée.. En coulisse, Talleyrand, l'ancien évêque d'Autun, qui s'est marié et qui, de ce fait, ne peut travailler qu'en coulisse.

La négociation durera 9 mois. Elle menacera plusieurs fois de capoter : les problèmes sont tellement nombreux. Par exemple : la religion catholique doit être reconnue par le pouvoir. Bon. Pour le pape, elle doit être reconnue comme "la religion dominante". La France refuse, et finalement, on déclare que "la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la majorité des citoyens français." Autre question : quelle liberté pour l'Eglise ? Le Saint Siège réclame toute la liberté. Finalement il ne lui sera accordé que la liberté de culte, et dans les limites d'un règlement de police.

Bonaparte exigeait  la démission de tous les évêques restants, constitutionnels ou réfractaires. Table rase ! Jamais cela ne s'était fait dans l'histoire de l'Eglise. La proposition intéressait pourtant le pape, car Rome avait depuis plusieurs siècles lutté contre la volonté d'indépendance du clergé français : c'était l'Eglise gallicane. Donc tous les évêques lurent avec stupéfaction l'article 3 du Concordat qui annonçait que "Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés fiançais qu'elle attend d'eux avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de l'unité, toute espèce de sacrifice, même celui de leurs sièges. Et s'ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l'Eglise (refus  auquel néanmoins Sa Sainteté ne s'attend pas), il sera pourvu par de nouveaux titulaires au gouvernement des évêchés de la nouvelle circonscription."

Bonaparte voulait que les prêtres et religieux mariés soient réintégrés officiellement dans les rangs du clergé. Le pape refusa, tout en s'engageant à régler individuellement tous les cas des prêtres mariés qui en feraient la demande. On estime à un chiffre de 6 000 à 10 000 le nombre de prêtres et religieux dans ce cas. 5 000 demandèrent leur réduction à l'état laïc. Il y eut également un gros débat concernant les biens ecclésiastiques : ils avaient été spoliés par la Révolution ; beaucoup avaient été vendus, et certains démolis. Bonaparte resta inflexible devant les réclamations de l'Eglise, de peur de mécontenter les bourgeois qui avaient acquis la majorité de ces biens. En échange, le gouvernement s'engagea a donner un traitement convenable aux évêques et aux curés.

Le Concordat fut signé le 15 juillet 1801. Mais quelle ne fut pas la surprise de constater qu'avant leur promulgation, Bonaparte lui avait rajouté 77  "Articles Organiques" qui, en fait recréait une véritable Église gallicane. Le tout fut promulgué le jour de Pâques 1802.

* L'application du Concordat

Bonaparte savait bien qu'il fallait faire vite pour l'application des dispositions nécessaires au rétablissement de la paix religieuse. Pour cela, il s'appuya sur un homme remarquable, Portalis, qui fut un véritable et efficace ministre des cultes, en fait, le chef de l'Eglise de France. Le légat désigné par le pape était un homme conciliant. Donc, tout fut mené tambour battant : suppression des anciens évêchés, établissement d'un évêché par département, nomination des évêques, en partie anciens constitutionnels, en partie anciens émigrés, et quelques nouveaux choisis dans le clergé. De même pour les curés. Une fois nommés, les curés faisaient une entrée solennelle dans leur paroisse et installation officielle le dimanche suivant. Quelques problèmes, mais en fait l'unité retrouvée sous la contrainte devint dans bien des cas une unité de cœur. Il y eut bien certaines réticences venant soit des corps constitués, du Trésor public, de l'anticléricalisme de l'armée. Négociations de part et d'autre. En firent les frais, particulièrement, les prêtres qui n'étaient pas nommés dans les chefs-lieux de canton. Seuls ceux-là étaient nommés curés. Les autres, dans les villages, les "desservants", n'étaient pas payés. Ils connurent bien souvent la plus noire misère. De même, pour l'entretien des bâtiments, cures et presbytères notamment. Il fallut attendre 1809 pour qu'on crée des "Fabriques" gérées par les paroissiens, dotées d'une existence légale et de revenus. Jusqu'à la Séparation des Eglises et de l'Etat en 1905, elles fonctionnèrent parfaitement  et permirent, notamment dans la deuxième partie du XIXe siècle, la construction de nombreuses églises.

* Le clergé

Certes, la nouvelle Église née du Concordat était purifiée. Mais elle n'en était pas devenue pour autant l'Église telle qu'on la concevait dans l'antiquité des premiers siècles. On avait eu, sous la monarchie, des évêques de cour, et voilà que maintenant on avait des évêques semblables aux préfets, des "préfets violets". Le Gouvernement et la papauté s'étaient réservés la nomination des évêques. Ils s'étaient réservé "ce qui ne leur appartenait pas." Il n'était plus question de consultation des prêtres et des fidèles, encore moins d'élection.

Les curés dépendaient totalement des évêques dont l'autorité sur eux était renforcée. Seuls étaient inamovibles les "curés" dans les chefs-lieux de canton. Les autres étaient amovibles au gré de l'évêque. L'Assemblée du clergé de France, supprimée, n'avait pas été remplacée. Tout dépendait du ministre des Cultes et de la papauté. Et jusqu'à ce jour, l'Eglise française est étroitement dépendante de la curie romaine.

Le curé, dans cette civilisation encore largement rurale, était devenu un paysan parmi les paysans. Il vivait de son "bénéfice", c'est-à-dire des revenus attachés à sa cure, et des dons des fidèles. Il était devenu un fonctionnaire du culte, parmi d'autres fonctionnaires. Le travail du fonctionnaire appelle la régularité et le sérieux. Ce fut le cas, aussi bien pour les curés que pour les évêques : réel progrès par rapport au clergé des siècles précédents. "Ils ne vont ni au bordel ni dans les antichambres, mais restent dans leur diocèse", notait avec satisfaction en 1809 Napoléon, plus soucieux de la moralité des évêques que ne l'étaient les rois de France d'avant la Révolution.

Mais les relations entre évêques et prêtres eurent tendance à se modeler sur les relations administratives. Leurs rapports prirent de plus en plus un caractère administratif. Lorsque les curés étaient inamovibles, il existait une protection des petits contre les grands ; désormais, dans bien des cas, cette protection n'existait plus. Et les curés, à leur tour, imitèrent leurs supérieurs ecclésiastiques et réduisirent les fidèles au silence. L'Eglise aurait eu besoin de prophètes, au sortir de la Révolution : elle n'eut que des fonctionnaires.

* Le conflit entre le pape et l'empereur

Bientôt Napoléon, qui se déclare "Empereur de Rome" et le Pape, en butte aux exigences françaises, vont être amenés à s'affronter. Rome est occupée par les troupes françaises en janvier 1808 et, le pape ne cédant toujours pas, l'empereur n'hésite pas à le faire arrêter en juillet 1809 et à lui infliger la pire des humiliations : Pie VII est promené misérablement jusqu'à Grenoble et Avignon, puis assigné à résidence, en semi captivité, à Savone. Napoléon offre alors au Pape de l'installer près de lui, à Paris. Pie VII s'enferme dans un silence obstiné. Simplement, il refuse désormais d'accorder l'investiture aux nouveaux évêques. 27 évêchés sont bientôt privés de titulaires. Alors l'empereur réunit un Concile à Paris. Mais le concile refuse de faire quoi que ce soit hors de la volonté du pape. Nombreuses mesures vexatoires, nombreuses interdictions impériales contre l'Église de France. Le pape est transféré à Fontainebleau. Napoléon lui arrache la signature d'un nouveau Concordat en janvier 1813. Le "vieillard ignorant et atrabilaire" (comme disait de lui Napoléon) dénonce le traité sitôt la signature extorquée. Finalement Napoléon le libère en janvier 1814.  Le Pape a gagné. Progressivement l'opinion catholique va se détacher de celui en qui elle ne voyait plus que le tyran de la religion. Dans le public et le clergé, à l'exception de quelques hommes trop compromis, un glissement décisif s'opère au profit de la cause de la restauration simultanée de l'Autel et du Trône. Au début de 1814, quand on se rend compte que l'Empire napoléonien est blessé à mort la plupart envisagent la Restauration des Bourbons et en même temps, la restauration de la Religion. Mais les Cent Jours auraient dû donner un avertissement à ces "réactionnaires" : en fait, ils achevèrent de durcir les positions prises au cours des dernières années de l'Empire. Au passage de Napoléon à travers le Sud-Est de la France, les foules enthousiastes crient à la fois "vive l'Empereur" et "à bas la calotte" ! On va retrouver dès le moment-là l'union des libéraux et des bonapartistes contre les cléricaux et les royalistes. Cela durera bien au-delà de la Restauration.

II - L'impossible Restauration

Après une Révolution qui a fait tomber les dernières contraintes, l'Église comprend qu'elle a entre les mains un immense appareil pastoral  : celui qui a été mis en place au lendemain du Concile de Trente : de "bons évêques" résidants,  contrôlant de "bons prêtres" qui prêchent et catéchisent, formés dans de "bons séminaires". .Voici venir le temps des bureaucrates. Même s'il s'y trouve aussi des saints.

Heureusement, cette première moitié du XIXe siècle est aussi le temps des "prophètes". Des inquiétudes religieuses se font jour, portées particulièrement par le Romantisme. Le cri tragique d'un Lamennais n'est pas isolé. Y répond la quête passionnée de ceux qui cherchent un dieu "nouveau" à l'horizon utopique de la société industrielle. Mais les gros bataillons restent dans les Églises, intellectuels, laïcs, religieux et surtout religieuses, ajustant avec pragmatisme leur action aux besoins d'un corps social en mutation.

Après la révolution de 1830, l'Église n'est plus dans l'État, mais les questions religieuses nourrissent les combats politiques et suscitent les affrontements. Mazzini, Victor Hugo, et tant d'autres intellectuels ne cessent d'en appeler au Dieu romantique. La Révolution de 1848 invoque Jésus et le clergé bénit les arbres de la liberté. Mais bientôt arrivera le temps où les pesanteurs politiques et sociologiques l'emporteront. Pour cette première partie du XIXe siècle, les espoirs et les chimères mobilisaient Dieu. C'est alors que Karl Marx dénoncera "l'opium du peuple" et qu'une page se tournera.

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La France compte alors environ 30 millions d'habitants, dont 300 000 protestants et 60 000 Israélites. En principe tout le reste est catholique. On ne sait pas quelle est la proportion des non-baptisés .Et sur les baptisés, quelle est la proportion de fidèles pratiquants ? On n'en sait rien. Le phénomène de l'incroyance a sa géographie, sa sociologie. Plus marqué chez les hommes que chez les femmes ? Sans doute. Plus avancé dans les villes que dans les campagnes ? Peut-être, mais cela dépend des provinces. En fait, les tensions qui advinrent se sont produites quand l'Église, appuyée par l'État, s'efforça d'imposer des cadres juridiques et moraux uniformes et rigides, comme si toute la société avait été chrétienne. Tout s'est passé comme si le clergé, découvrant le phénomène  de l'incroyance et de l'indifférence, s'était imaginé que la politique nouvelle allait pouvoir réparer ce que la politique de la Révolution  paraissait avoir défait. D'où l'union du Trône et de l'Autel.

La Charte promulguée par Louis XVIII en 1814 était nette : le catholicisme était proclamé religion de l'État, mais tout de même la liberté du culte était garantie aux dissidents. Le code civil était maintenu. Le budget de financement de l'Église était considérablement augmenté, triplé en quinze ans. D'où construction de nombreux lieux de culte, augmentation du nombre de diocèses, multiplication des vocations sacerdotales et religieuses, fondation de sociétés et congrégations nouvelles, emprise accrue du clergé sur l'instruction publique. Et, conséquence normale : offensive anticléricale. Les Jésuites en furent les premières victimes. Le gouvernement, disaient les anticléricaux, est dominé par le "parti prêtre".

D'où réaction lors de la Révolution de 1830. Le catholicisme redevient "la religion de la majorité des Français" comme en 1801. Louis-Philippe mène une politique de tolérance assez condescendante. Les évêques acceptent avec résignation la diminution de leur influence politique. Seule difficulté : les catholiques réclament la liberté totale de l'enseignement secondaire contre le monopole de l'Université instauré par Napoléon. Résultat final : en 1848, la Révolution s'attaque au Trône. Louis-Philippe est renversé. Mais l'Église se retrouve du côté des révolutionnaires.

III - Quelques personnalités

* - Lamennais

Originaire, comme Chateaubriand, de Saint-Malo, Félicité de La Mennais  est fils d'un riche commerçant. Il naît en 1782. Un livre est à l'origine de ses interrogations : Le Génie du Christianisme, de son compatriote Chateaubriand. Et aussi le fait que son frère aîné, Jean-Marie,  est ordonné prêtre . Toutes ses incertitudes disparaissent. Son oncle lui fait partager son admiration pour Pascal. Après beaucoup d'hésitations, Félicité devient prêtre. Avec son frères, puis seul, il rédige un certain nombre de traités sur "La Tradition". Il est alors conservateur, défenseur des prérogatives papales,

En 1817 il fait paraître le premier des cinq volumes intitulés L'Essai sur l'indifférence en matière religieuse, traité d'apologétique qui va connaître un immense succès. Il y fait éclater la vérité de la seule religion catholique avec un grand luxe de preuves ; de cette "évidence" il conclut qu'ils sont tous dans l'erreur, ceux qui prônent la Religion naturelle inventée par Rousseau. Erreur qui est vraiment "l'indifférence des athées", qui aboutit à l'abaissement du catholicisme en France.

En quelques mois, il se vend 40 000 exemplaires du premier volume. Bientôt accourent auprès de Lamennais quantité de jeunes hommes, clercs ou laïcs, prêts à entrer en lice sous sa direction "pour régénérer l'enseignement de la philosophie, de la théologie et de toutes les sciences." Le pape lui-même ne cachait pas son estime pour le courageux apologiste de la religion. Jusqu'en 1829 l'auteur de L'Essai parut couvert par l'approbation de Rome. Conséquence indirecte : l'influence de Lamennais sur les poètes romantiques, de Lamartine au jeune Victor Hugo, tous vantant les beautés de la Bible, la magnificence des cathédrales et de la liturgie catholique.

Survint la Révolution de juillet. Lamennais s'y présente comme champion de l'autorité dans l'Église  et dans la société, refusant la liberté d'expression, adhérant de façon éclatante à l'idée de l'infaillibilité papale. . Or, en trois ou quatre ans, il va virer de bord et adopter une position diamétralement opposée. Réaliste, il se rend compte que la monarchie, comme les papes, sont des vieux, attardés à des traditions d'un autre âge. Donc, il est préférable de miser sur le libéralisme dont la victoire s'annonce inéluctable. Il commence donc par condamner l'alliance du Trône et de l'Autel. Sa bête noire : l'épiscopat français et les théologiens. Il y aurait bien le jeune clergé, mais il est surveillé de près par les autorités religieuses. Il en vient à féliciter les Belges qui ont fait alliance avec les libéraux contre leur roi hollandais et protestant. Quand éclatent les manifestations qui durèrent bien plus longtemps que les "Trois glorieuses", le peuple s'en prit non seulement au roi mais également au clergé. Les prêtres, à Paris, n'osaient plus sortir dans la rue. Explosion considérable d'anticléricalisme. A tel point qu'un chroniqueur écrit : "Depuis la grande secousse de 89 le catholicisme est bien malade. La Révolution de Juillet l'a tué tout à fait."

Et cependant, il ne faut pas généraliser : dans toute l'Europe, les catholiques ont été partie prenante des révolutions de 1830. Et les jeunes catholiques français vont se regrouper autour d'un Lamennais pour lancer un journal, l'Avenir. Il y a là, en plus du "prophète celte" (ainsi nommé ironiquement par ses adversaires) : Lacordaire, Montalembert, l'abbé Gerbet. L'objectif de ce journal : réconcilier l'Église de France "avec tout  ce qu'il y avait de sincère et de généreux parmi ses ennemis." Premier numéro le 16 octobre 1830.  Devise : "Dieu et la liberté".  Objectif : obtenir pour le peuple toutes les libertés. Et pour cela, Séparation de l'Église et de l'État.  Hélas, le journal dura seulement 13 mois ! Mais un vaste mouvement d'idées était né.

En novembre 1831, Lamennais, Lacordaire et Montalembert partirent pour Rome. Ils voulaient obtenir du pape qu'il sorte de son silence jusque là observé. Or Grégoire XVI, récemment élu pape, était un doctrinaire rigoureux, particulièrement soucieux de barrer la route à tout esprit révolutionnaire. Les trois compagnons passèrent sept mois à Rome. Ils furent reçus deux fois par le pape. Puis, n'obtenant aucune réponse, ils rentrèrent en France en passant par la Bavière où ils furent reçus par de chauds partisans. C'est là qu'ils reçurent l'encyclique Mirari vos. (août 1832)

S'adressant aux évêques du monde entier, le pape s'y fait le champion d'un conservatisme intégral. Il faut surtout ne rien changer Le catholicisme est la seule vraie religion. Donc, refus de la liberté de conscience, de la liberté de la presse, des associations entres gens de toutes religions. Lamennais et ses camarades ne sont pas cités, mais toutes les idées qui étaient les leur se trouvaient rejetées. Sur le moment, ils ne réagirent pas. Mais ils étaient attaqués de toutes part, si bien que le pape leur demanda de faire acte public de soumission. Lamennais publia alors Paroles d'un croyant, qui se présente comme une condamnation hautaine de toutes les autorités de la terre, à commencer par le pape, bien sûr. Ce livre fit sensation chez les libéraux, les républicains, les milieux ouvriers. Grégoire XVI le condamna sur le champ. Lamennais se retrouva seul; "de plus en plus étranger aux catholiques, celui qui en avait été la gloire", selon le mot de Montalembert. Dès janvier 1834, Lamennais avait renoncé au sacerdoce. L'année suivante, son ami Lacordaire prononçait ses premières conférences à Notre-Dame de Paris ; et en 1838, il restaurait l'Ordre des Dominicains.

La généreuse tentative de l'Avenir et le tragique destin de Lamennais ont laissé dans la conscience catholique en France des traces profondes, quasi ineffaçables. 

* Pie IX (1792-1878)

Son pontificat de 31 ans est le plus long de l'histoire de la papauté. Candidat des libéraux lors du conclave de 1846, il est élu de préférence au cardinal champion des conservateurs. Les cardinaux jugent en effet que l'Eglise a besoin de s'ouvrir aux idées nouvelles et de se rajeunir. Et effectivement, Pie IX, dans les premiers temps de son pontificat, se montre très libéral.

Il décrète une amnistie générale pour les détenus politiques et fait préparer une nouvelle constitution  C'est le Statut fondamental pour le gouvernement temporel des États de l'Église qui instituait deux Chambres et le Sacré Collège des cardinaux présidé par le pape. C'est l'époque des réformes politiques.

Il crée le Conseil d'État, institue la liberté de la presse, crée un certain nombre de commissions consultatives composées de laïcs, afin, notamment, de réviser les lois. Il fait construire des réseaux ferrés et télégraphiques, et restaure l'éclairage public dans les Etats pontificaux. " Cet homme qui tient dans ses mains les clefs de la pensée de tant d'hommes, il pouvait fermer les intelligences; il les a ouvertes. Il a posé l'idée d'émancipation et de liberté sur le plus haut sommet où l'homme puisse poser une lumière", déclare Victor Hugo. Pie IX est à ce moment-là le pape des Droits de l'Homme. Les événements vont en faire le pape du Syllabus.

1848 : La Révolution embrase l'Europe. Or, le pape est à la fois souverain temporel des Etats pontificaux et chef de l'Eglise Universelle. C'est en tant que souverain temporel qu'il est amené à s'opposer à une volonté de réunification de l'Italie, particulièrement pour ne pas déplaire à l'empire autrichien. Sa popularité s'effondre alors en Italie Le chef du gouvernement du Saint-Siège est assassiné; Pie IX s'enfuit à Gaète. Il lance un appel aux puissances occidentales pour retrouver son trône. La France intervient militairement et s'empare de Rome, en chasse les révolutionnaires. Le pape rentre à Rome en 1850 et va dès lors mener une politique de répression contre les idées républicaines. . Il restera à Rome jusqu'en septembre 1870, lorsque Garibaldi l'en chasse et proclame Rome capitale de la République italienne. Jusqu'à la fin de son long pontificat, Pie IX , revenu dans son palais romain, se considérera comme prisonnier des Républicains.

A partir de 1840, Pie IX va donc mener une politique incroyablement réactionnaire. Je vous en cite quelques exemples.

- Condamnation du rationalisme, de la liberté d'opinion, de la liberté de culte, du scientisme, du positivisme, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, du socialisme et du communisme  dans deux documents : l'encyclique Quanta Cura et le Syllabus. Le Syllabus, c'est une liste de 80 propositions condamnées par l'Eglise. On y lit par exemple, à propos de l'école : « Les écoles populaires sont principalement établies en vue de donner au peuple un enseignement religieux, de le porter à la piété et à une discipline morale »

De même, Darwin et Renan sont condamnés. De même que l'école laïque et la liberté de la presse.

En 1866, alors que la France a aboli l'esclavage depuis 18 ans, Pie IX signe une instruction du Saint-Office qui le justifie encore :

« L'esclavage, en lui même, est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin, et il peut y avoir plusieurs raisons justes d'esclavage, et celles-ci se réfèrent à des théologiens approuvés... Il n'est pas contraire au droit naturel et divin pour un esclave, qu'il soit vendu, acheté, échangé ou donné. ».

Vous vous rendez compte !

Le pontificat de Pie IX a été marqué également  par quelques initiatives d'ordre purement religieux.

D'abord par la proclamation solennelle du dogme de l'Immaculée Conception en 1854. Puis, comme pour authentifier un tel geste, la constitution apostolique Pastor aeternus (18 juillet 1870) affirmant l'infaillibilité du pape  lorsque celui-ci se prononce solennellement et ex cathedra, en vertu de sa charge sur un point de doctrine tenu  comme vrai par toute l'Église.

C'est au cours du Concile Vatican I que fut promulguée cette Constitution. Ce concile, convoqué en 1867, se réunit pour la première fois le 8 décembre 1869. Ce ne fut pas sans résistance que l'infaillibilité du pape fut promulguée : une forte minorité s'y opposait. Et voilà que survint la guerre entre la France et la Prusse. Ce qui obligea le concile à clore rapidement ses travaux.

Ce long pontificat s'acheva le 7 février 1878. Pie IX avait  85 ans. Son successeur, Léon XIII, ne continua pas dans la même direction, heureusement.

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"Qui trop embrasse mal étreint." J'avais intitulé ce onzième chapitre "le XIXe siècle", sans me rendre compte de l'ampleur de la tâche. Au moment d'entrer en novembre, je m'aperçois que tout ce que j'ai écrit est passablement fragmentaire, et que pour présenter le catholicisme au XIXe siècle, il faudrait au moins un gros volume. Je n'ai pas parlé de la deuxième moitié de ce siècle, de la prise de pouvoir de Napoléon III, des saints qui ont illuminé ce siècle, tel le curé d'Ars. Il faudrait aussi, bien sûr, parler de deux jeunes femmes extraordinaires : sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et sainte Bernadette Soubirous, pour qui j'ai une admiration considérable. Il faudrait raconter les combats de catholiques ouverts aux idées nouvelles, les débuts de la recherche biblique, la naissance du modernisme. Il faudrait faire le récit des combats antireligieux.... Il faudrait... du temps !

Alors voilà : je vous livre mon travail, largement inachevé. Puisse-t-il vous éclairer un peu.

(La suite : début décembre)

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