OBSEQUES - HOMELIE 10 -
Jean 17, 24-26

Chaque fois que nous apprenons la mort brutale, inattendue, de quelqu'un que nous avons connu, fréquenté, aimé, naît en chacun de nous comme une protestation muette. Nous sommes amenés à marquer un temps d'arrêt dans nos vies. Et nous réfléchissons, à partir de ce drame qu'est la mort.

La question la plus normale c'est : "la vie, qu'est-ce que c'est ? Et à quoi ça sert ?" Nous nous sommes tous posés souvent cette question, n'est-ce pas ! La réponse est diverse selon les personnes et leur sensibilité propre. Dans un monde technique où l'on s'intéresse d'abord au fonctionnement, au mécanisme de la vie, on perçoit la mort comme une simple panne. Mais une panne irrémédiable. La machine a cessé de fonctionner. La plupart du temps on sait quelle est la cause de la panne sans pouvoir faire une réparation, à plus forte raison une remise à neuf. Dans un monde où chacun se trouve défini par ses avoirs et ses pouvoirs, la mort est surtout une source d'angoisse. Elle sonne la déroute de toute possession. C'est une épreuve terrible de dépouillement total pour celui qui a tout misé sur des assurances temporelles et humaines. Dans tous les cas, nous réalisons que la vie, c'est quelque chose d'essentiellement fragile. Aussi bien physiquement que psychologiquement. Je me souviens d'un homme qui venait de perdre sa femme et qui me disait : "Pour moi, il y a quelque chose d'assez scandaleux dans la nature. Je constate que tout tourne bien rond dans le domaine de ce qui est inanimé : les astres, les étoiles, le soleil, les planètes, dont on calcule avec une extrême précision les déplacements ; par contre, dans le domaine du vivant, c'est un immense gâchis : tout ce qui naît est destiné à mourir, à plus on moins longue échéance." Que lui répondre ?

Je crois qu'il nous faut reprendre contact avec les sources de notre être. Dépasser le culte de la possession, refuser ce monde d'âpre compétition et de conflit, pour retrouver les moyens d'une véritable communication avec autrui et en faire la valeur première, qui donne sens à notre existence. "Vous avez émergé de l'existence avec quelque chose d'infini au fond du coeur : désir de vie, désir d'amour, désir d'éternité. N'éteignons pas en nous un tel sentiment. Il faut au contraire s'efforcer de le dégager", écrit le Père Voillaume. Et Jésus proclame : "Je suis venu pour qu'ils aient la vie, en abondance." S'adressant à son Père, il lui dit : "Ceux que tu m'as donné, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi...Alors l'amour dont tu m'as aimé sera en eux, et moi, je serai en eux."

La vie, ce n'est pas n'importe quoi. J'ai entendu un jour cette réflexion : "Bon vivant ! Bon mourant !" Peut-être. Aimer la vie, c'est lui donner sens et valeur. C'est faire l'apprentissage de cette valeur essentielle qu'est l'amour. Mais aimer, ce n'est pas n'importe quoi ! L'apôtre Jean, qui écrit : "Nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères" s'empresse d'ajouter qu'il faut apprendre à aimer comme Jésus aimait. Je relis l'évangile et je vois, presque à chaque page, un homme plein de délicatesse, faisant attention aux autres, ayant le souci des autres, fraternel, paternel. Autant de signes concrets et quotidiens du grand amour qu'il manifeste envers tous.

Cet ami qui nous quitte aujourd'hui, m'avez-vous dit, aimait faire la fête. Il en avait, des amis ! A commencer par vous tous qui êtes là aujourd'hui. Jésus, quand il décrit l'au-delà, parle toujours de fête. Il le décrit comme un repas de fête, comme une noce, où l'on chante et où l'on danse. Je prie pour que notre ami soit, lui aussi, dès aujourd'hui, accueillir dans la fête sans fin. "Mourir, c'est s'ouvrir à ce qu'on a vécu ici-bas", écrit le philosophe Gabriel Marcel.

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