Sur Jean 11, 32 - 45
La mort, au fond, c'est un phénomène banal, courant. On ouvre chaque matin son journal : notre premier geste est de lire la rubrique nécrologique, pour voir s'il n'y a pas, parmi les morts du jour, quelqu'un qu'on connaît. Et, au fond, on est presque déçu si on ne connaît personne. On voit passer un enterrement : on se dit : "Tiens, il y a quelqu'un de mort dans le quartier !" Phénomène banal ! C'est une éventualité dans notre vie. Mais une éventualité qu'on évacue rapidement de notre esprit, dans le "divertissement". On n'y pense pas. Il vaut mieux ne pas y penser.
Par contre, quand la mort est proche de nous, quand il s'agit d'un parent, de quelqu'un que nous avons bien connu, la mort d'un être proche et aimé est toujours pour nous un déchirement. On ne l'accepte pas facilement. On cherche des responsables. On en arrive même à se culpabiliser. Et, que l'on soit croyant ou non, on se tourne vers Dieu, au moins pour la lui reprocher, cette mort qui nous scandalise. Comme disait Marthe à Jésus : "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort." Nous aujourd'hui, nous disons : "Mais, Dieu, qu'est-ce qu'il fait ? ", ou encore : "Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu", ou alors : "S'il y avait un Bon Dieu". De toutes façons, on se tourne vers Dieu. On écrit même dans les faire-part des journaux : "Il a plu au Seigneur de rappeler à Lui son fidèle serviteur." Qu'est-ce que Dieu a donc à voir avec la mort ?
Il a quelque chose à voir. Mais pas de la manière qu'on croit. Et pas Dieu tel qu'on l'imagine trop souvent. Relisons l'Évangile de la résurrection de Lazare. Il nous dit quelque chose de très important sur le Dieu de Jésus-Christ et sur notre destinée humaine. Pour bien comprendre cela, il faut nous rappeler cette phrase que Jean l'Évangéliste écrit dans le prologue de son livre : "Dieu, personne ne l'a jamais vu. Seul Jésus, le Fils, nous le fait connaître." En regardant vivre Jésus, j'ai sous les yeux la seule image visible du Dieu invisible.
Or, dans ce passage d'Évangile, il y a une première chose qui m'intéresse : je vois Jésus qui pleure en arrivant au tombeau de son ami Lazare. Et j'apprends ainsi que Jésus, fils de Dieu, donc Dieu lui même, pleure la mort de ses amis ; qu'il pleure la mort de tout homme qu'il aime, sur ma propre mort, sur la mort de vous tous. C'est exactement le contraire de l'idée que j'ai, que nous avons de Dieu : un Dieu impassible, insensible, un Dieu qui punit, un Dieu qui donne la mort. Non ! Pour l'Évangile, Dieu, c'est celui qui pleure la mort de ses amis. Dieu ne peut pas être assimilé à une puissance qui donne la mort. Il est du côté de la vie. Il est la vie : "Je suis la résurrection et la vie", déclare Jésus.
Allons plus loin dans notre recherche. Regardons de plus près le récit de la résurrection de Lazare. Certes, la mort est un phénomène qui ne peut pas nous être épargné. Mon corps, comme tout ce qui est matière, est mortel. Tout ce qui est vivant est mortel, dans le règne végétal comme dans le règne animal. Je ne peux pas prétendre vivre éternellement : les cellules de mon corps vivent, grandissent, se développent, puis meurent. Tout ce qui est vivant meurt. Mais voici que, pour Jésus, ce phénomène naturel qu'est la mort n'est pas une fin définitive, éternelle : la mort n'est qu'un passage. Vous avez entendu Jésus qui dit, en parlant de Lazare : "Lazare, notre ami, dort." Et c'est ainsi que Jésus décrit la mort humaine. La mort ne peut s'installer à demeure chez l'homme. Et c'est une très belle image que celle de la mort considérée comme un sommeil. Je m'enfonce dans la mort, je plonge dans la mort comme, tous les soirs, je plonge dans le sommeil. Cette mort est une espèce de perte de conscience de moi-même, comme lorsque je m'endors. Mais je sais que demain je me réveillerai à une journée nouvelle, à une vie nouvelle. C'est comme si Jésus nous disait : Il y a en chacun de nous un principe actif de vie indestructible. Et cette puissance est déjà à l'œuvre en nous. L'intervention de Dieu ne se produit pas après la mort, à la fin des temps. Elle se produit tout le temps, à chaque instant de notre existence. Lorsque Jésus demande à Marthe si elle croit à la résurrection, elle répond : "Oui, je crois à la résurrection à la fin du monde." Jésus lui dit alors : "Non ! Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, bien sûr, il passe par la mort, mais je peux t'assurer que par-delà la mort, il vivra." Parce que Dieu, c'est la vie. Et nous avons reçu au baptême la vie de Dieu, la vie éternelle. Non pas la vie plus tard, mais la vraie vie déjà commencée aujourd'hui.
Ainsi, je peux lire le geste de Jésus rendant la vie à Lazare comme un signe. Un signe de sa propre résurrection et un signe de notre résurrection. Je crois vous avoir déjà cité cette parole du philosophe Gabriel Marcel : "Aimer quelqu'un, c'est lui dire : Toi, tu ne mourras pas." Eh bien, c'est ce que fait la Père pour son Fils bien-aimé, prototype (premier-né) de tous les chrétiens. Lui aussi, Jésus, passera par la mort humaine. Le soir du vendredi, sur la croix, il s'endort en prononçant la prière du soir de tout bon Juif : "Entre tes mains, Seigneur, je remets ma vie." Et son sommeil n'est qu'un sommeil passager, jusqu'au matin du troisième jour. Vous savez sans doute que lorsque la première génération chrétienne a cherché un mot pour rendre compte de l'expérience dont ses membres ont été les témoins éblouis, la résurrection de Jésus, elle a employé deux mots : "Éveiller" et "Relever". Elle dit : Jésus s'est éveillé...Dieu l'a réveillé...Il l'a relevé."
Aimer quelqu'un, c'est lui dire : "Toi, tu ne mourras pas." C'est aussi ce que Dieu fait pour chacun des hommes qu'il aime. A chacun de nous il dit : "Toi, je t'aime. Tu ne mourras pas. Ta mort humaine n'est qu'un passage. Moi, je te réveillerai."
Il y a déjà dans notre vie des signes de résurrection. Il s'agit de les voir. Déjà Ezéchiel disait au peuple juif en déportation : "Mais, regardez donc les signes de résurrection dans votre vie, même pour vous, qui êtes captifs à Babylone." Pour nous aujourd'hui, il en va de même. Souvent, on ne regarde que ce qui ne va pas. Dieu, au contraire, nous invite aujourd'hui à regarder ce qui renaît, ce qui repart, ce qui réussit, ce qui marche. Tout cela, c'est une illustration de la puissance de vie à l'œuvre dans le monde. Ce peut être la maîtrise des éléments de la nature : regardez combien de réussites en ce domaine. Je sais bien qu'il peut y avoir un risque de se comporter en maîtres irresponsables du cosmos. Mais je sais aussi tous les efforts pour mettre en valeur notre terre, pour la protéger, pour la sauver. Regardez également les découvertes de la médecine pour soulager, prolonger la vie, et parfois même guérir. Regardez les progrès sur le plan de l'émancipation des peuples. Regardez combien d'hommes travaillent pour que tous puissent avoir un élémentaire niveau de vie. J'arrête là mon énumération. Vous pouvez continuer. Ils sont nombreux, les signes de résurrection, les signes d'une réussite de notre humanité. Soyons attentifs à tout ce qui naît, à tout ce qui surgit, même dans la crise économique que nous vivons, sans doute à cause de cette crise qui oblige les hommes à un sursaut créateur.
Il ne suffit pas de lire les signes de résurrection. Il faut être nous-mêmes des signes de résurrection. Dans tous les actes de notre vie, dans toutes nos attitudes, et même quand nous rencontrons l'échec, la souffrance, la mort. Car la mort n'est pas éternelle. Être des signes de résurrection, c'est croire que, par-delà la nuit, il y a la lumière du jour. Le croyons-nous ?