THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE 2003 :

L'INCARNATION

"Jésus, l'homme-Dieu "


Rembrandt : Jésus, l'homme-Dieu

10 - Fils de Dieu dans sa résurrection

Ce n'est pas du premier coup que les chrétiens ont découvert la véritable identité de Jésus et le sens de sa mission. Ils ont d'abord marché derrière lui avec une foi un peu tâtonnante, pour ne pas dire plus. Voir la désespérance des deux disciples sur la route d'Emmaüs. Il faudra que le Christ ressuscité lui-même s'y mette pour faire accéder ses disciples à la foi nouvelle. C'est lui qui nous apprend à lire sa mort et sa résurrection. Seul l'Esprit qu'il donne alors peut nous mener à la vérité tout entière. Tout se comprend à partir du terme : Pâques. Là Jésus est manifesté comme celui qu'il a toujours été : le Fils éternel du Père.

Jésus intronisé comme Fils

Lisons le début de la Lettre aux Romains, où Paul définit la Bonne Nouvelle, "cet Evangile que Dieu avait promis par ses prophètes dans les Ecritures saintes, concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David, établi, selon l'Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts, Jésus Christ notre Seigneur".

C'est sans doute une vieille expression de la foi en Jésus Christ, qui distingue comme deux degrés, deux étapes dans l'existence de Jésus : ce qu'il a vécu avant Pâques, dans le réalisme de l'incarnation et de ses racines juives, et ce qui lui est advenu dans l'événement de la résurrection.

Tout comme ce titre de Fils, les autres titres attribués à Jésus : Seigneur, Christ, Sauveur, semblent avoir d'abord été utilisés dans les premières prédications de l'Église pour dire quelque chose de ce qui est advenu au Ressuscité : "Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous aviez crucifié" (Actes 2, 36) ; "c'est lui que Dieu a exalté comme Prince et Sauveur" (Actes 5, 31)

Fils de David.

Les Juifs attendaient un Messie descendant de David. Ce messie serait vraiment un fils selon le coeur de Dieu. On le chantait par avance dans les psaumes. La communauté chrétienne reprend ces psaumes (au psaume 2 : "Tu es mon Fils") pour annoncer Jésus, fils de David, devenu réellement fils par sa résurrection ("moi aujourd'hui je t'ai engendré"). Le titre de Fils est donc ici un titre royal. Il ne s'agit plus de royauté au sens politique du terme, comme les admirateurs de Jésus l'entendaient avant sa résurrection, quand ils voulaient le faire roi. Ce que les premiers chrétiens chantent maintenant dans la résurrection, c'est le règne de Dieu instauré par la victoire du Christ sur la mort et le péché. Que Jésus soit alors "établi", proclamé "Fils de Dieu" dit bien la plénitude de l'alliance réalisée en lui. Elle signifie que "les derniers temps", le temps du salut et de la présence de Dieu, sont arrivés. Jésus est Fils de Dieu, donc Dieu se révèle à nous comme Père.

L'oeuvre de Dieu.

Cette exaltation du Christ comme Roi, Seigneur, Prince, dans sa résurrection, est presque toujours exprimée par l'Église primitive comme une initiative du Père. C'est lui qui ressuscite, qui glorifie, qui exalte Jésus. C'est lui qui nous le donne comme Christ et Seigneur. Les disciples comprennent cette exaltation comme une contestation de la croix, fruit du péché des hommes. Dieu intervient dans le péché tronqué de Jésus. Il intervient pour son Christ, il témoigne en sa faveur. Il casse le jugement. Le vrai désespoir des disciples devant la croix, c'était le sentiment que Dieu avait abandonné Jésus. Mais dès que l'Église va prêcher sa résurrection, elle va le faire en opposition au procès et à la croix. Les habitants de Jérusalem et leurs chefs l'ont mis à mort, mais Dieu l'a ressuscité.

Les langages de la résurrection.

Pour exprimer la résurrection, les chrétiens ont dû se forger un langage, ou plutôt des langages. Mais ces langages sont toujours faibles pour dire la réalité. C'est pourquoi, même si certaines expressions ont été privilégiées par la Tradition, il ne faut pas s'y attacher comme si elles étaient la foi elle-même. La foi ne porte pas sur les mots, mais sur ce qu'ils visent humainement, maladroitement. On distingue habituellement trois types de langage. Chacun a son importance, mais aussi ses limites et ses ambiguïtés.

Se lever d'entre les morts.

Premier vocabulaire, celui qui nous est le plus habituel : le vocabulaire de "résurrection". Deux verbes : se lever et s'éveiller. Ils font référence à cette expérience quotidienne du réveil et du fait de se lever. Mais aussi, dans l'Ecriture, ils expriment l'attente du jour où tous seront appelés par le Seigneur à se lever d'entre les morts. La "résurrection" est ici une vie attendue pour tous et pour "après". Rien n'est précisé sur la nature de cette vie, sinon qu'elle s'oppose à la mort. Pour un Juif, "résurrection" est un mot du vocabulaire religieux : Dieu seul a pouvoir sur la vie. Quand les apôtres parlent de Dieu qui a "ressuscité" son Fils, le mot a une signification religieuse, en relation avec cette espérance juive.

Le réalisme de la résurrection.

Transposés dans une culture grecque, ces expressions de la résurrection vont prendre un sens plus précis. Les Grecs, qui sont surtout attachés à l'immortalité de l'âme, vont interpréter le mot "résurrection" comme une re-vitalisation du corps. D'où le scandale quand ils entendent Paul, Athènes, parler de la résurrection de Jésus. Les chrétiens ne chercheront jamais à atténuer ce scandale, bien au contraire. Ils tiendront, en employant les mots "se lever" et "se réveiller", à souligner le réalisme de la résurrection de Jésus. Résurrection, et non une quelconque apothéose spirituelle, une survie glorieuse dans la mémoire collective, ni même la simple immortalité de l'âme. Elle est vraiment un acte de Dieu qui rend la vie, lui qui l'avait déjà données, et cette vie va concerner toutes les dimensions de notre personne, corps et âme.

Il est vivant.

Deuxième langage utilisé par l'Église primitive, le langage "Vie" : Christ est vivant et il nous fait vivre. Dire que le Christ est ressuscité peut évoquer un événement du passé ; dire qu'il est vivant, c'est souligner l'actualité de cet événement. Souvent Paul et Luc emploient de telles expressions. On le trouve également fortement marqué dans les nouvelles méthodes catéchistiques publiées en France depuis une trentaine d'années. Il a l'avantage de mettre en valeur l'aujourd'hui de la résurrection, son "pour nous". Mais il ne dit rien de la nouveauté et de la spécificité de cette "vie" que la résurrection inaugure.

Dieu l'a exalté.

C'est pourquoi il semble très important de restaurer un troisième type de langage, qui dit encore autre choses sur la résurrection, qui mettra davantage en valeur le rapport, la relation de Jésus à son Père : c'est le langage "exaltation".

Dès l'origine, la résurrection de Jésus a été comprise, non seulement comme un retour à la vie, mais comme une intronisation, une sorte de changement de statut, de fonction. On parlera de "glorification" ou "d'exaltation". "Dieu l'a exalté, surexalté, souverainement élevé". Nous voici avec un schème haut-bas; celui qui avait été abaissé dans la mort, non seulement en a été relevé, mais il a été élevé au-dessus de tout. C'est le thème de l'hymne qu'on trouve en Philippiens 2, 6-11.

Il est vrai que l'on peut dire, comme dans les symboles des Apôtres et e Nicée, que "Jésus est ressuscité", qu'il s'est ressuscité, si l'on veut ("J'ai le pouvoir de me dessaisir de ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre", déclare Jésus en Jean 10, 18). Mais la foi des premières communautés s'exprime d'une façon plus précise : certes Jésus se dessaisit de lui-même, il s'en remet pleinement entre les mains de celui qui l'envoie, mais c'est ce Père, qui l'a engendré, qui l'exalte, le glorifie.

La Passion, la mort, c'était le geste de Jésus qui s'en remet à son Père, c'était la vie risquée jusqu'au bout, la mission de dire la miséricorde du Père accomplie jusqu'au risque de la mort. C'était toute la vie de Jésus comme un cri filial. La résurrection est alors comme la réponse du Père. C'est la libération de la mort, l'intronisation "auprès" du Père, l'entrée dans le Saint des Saints de la divinité, la pleine manifestation que Dieu est proche : en Jésus, un homme est maintenant dans la gloire de Dieu. Il ne s'agit donc pas simplement du retour ) la vie de Jésus de Nazareth. Il s'agit de la pleine participation de cet homme Jésus, au terme de son existence humaine, à la gloire même de Dieu. Le Fils est pleinement glorifié.

L'oeuvre de l'Esprit.

Ce dynamisme qui pousse Jésus dans son mouvement vers le Père, c'est l'Esprit qui, dès l'origine, repose sur lui. Jésus est bien "le Fils issu selon la chair de la lignée de David, établi, selon l'Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d'entre les morts." (Romains 1, 3-4) Saint Pierre, dans sa première lettre, dit : "Lui, mis à mort selon la chair, il a été rendu à la vie par l'Esprit."

Tout se passe donc comme s'il y avait un lien entre la glorification du Fils par le Père et le don de l'Esprit qui nous est fait. Jean déclare : "Il n'y avait pas encore d'Esprit parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié" (Jean 7, 39). L'Esprit que nous recevons est en nous comme le rayonnement, la contagion de la résurrection. Il est pour nous promesse de vie jusque dans nos corps mortels.

Par l'Esprit, Jésus intronisé comme Fils de Dieu, devient donc le premier-né d'une multitude de frères (Romains 8, 29) Et nous aussi, animés du même Esprit, nous pouvons vivre de cette vie fraternelle et filiale. Ce qui est advenu à Jésus dans sa résurrection nous dit que lorsqu'un homme va jusqu'au bout de l'homme, qu'il vit sa condition d'homme comme une liberté qui se reçoit du Père et s'accomplit dans un total don de soi,il entre, comme fils, dans le Dieu de vie, il devient une création nouvelle.

La communauté chrétienne primitive a toujours fait le lien entre la Pâque du Christ et le don de l'Esprit.

 30 septembre 2003 

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