THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

             
 
    Cette année 2012 : 

 Un dialogue interreligieux

 

TOUTES LES RELIGIONS SE VALENT", disent les gens. Par contre, toutes les religions déclarent qu'elles ont la vérité et qu'hors de leur croyance, il n'y a pas de salut. Chacune d'elles revendique le droit d'être seule capable de répondre aux grandes aspirations de l'homme. Et bien souvent, chacune d'elles s'enferme dans sa tour d'ivoire et refuse de s'intéresser aux autres.

Que je sois chrétien ou non, quelle est mon attitude à l'égard des autres religions ? Question d'actualité en ces temps où notre monde ressemble à un petit "village planétaire".


Je ne peux pas ignorer plus longtemps mon voisin. Ce sera donc l'objet de notre recherche cette année : d'une part explorer quelques-unes des grandes religions, leur origine et leurs croyances, et d'autre part essayer de nous situer en chrétien par rapport à ces religions.

1ère Séquence : L'Islam
(Janvier 2012)

Une chronologie

Vers 570 : Naissance de Mahomet
Vers 613 : Début de la mission de Mahomet
622 : L'Hégire - Mahomet quitte La Mecque pour Médine
630 : Prise de La Mecque
632 : Mort de Mahomet
635 : Prise de Damas
638 : Prise de Jérusalem
639-642 : Conquête de l'Égypte et de la Perse - Début de la conquête de l'Afrique du Nord
711-714 : Conquête de l'Espagne
732 : Bataille de Poitiers.

PERSPECTIVES ISLAMIQUES

1- Une image péjorative et ses conséquences.

Depuis longtemps, les Occidentaux se sont intéressés à l'islam. Mais l'information véhiculée n'est pas fiable. Aussi bien dans les médias que chez les intellectuels, la plupart du temps le tableau est effrayant. Souvent jugements faux, souvent discours au ton apocalyptique. Personne n'a peur de l'hindouisme ou du bouddhisme ; face à l'islam, par contre, la peur est normale. Cela ne date pas d'hier : au moyen âge ou aux débuts de l'époque moderne, c'est la peur qui provoquait l'intérêt  porté à l'islam. Les médias d'aujourd'hui sont plus mesurés dans leurs propos, et le Concile Vatican II a publié une déclaration  sur les musulmans qui est remarquable de mesure et d'intelligence. Mais l'opinion commune n'en demeure pas moins faite de préjugés , de clichés  ancrés dans le subconscient. L'islam n'appartient pas à notre fonds culturel européen. A part quelques pages dans les manuels d'histoire de 5e, il n'y a rien d'officiel comme source d'information. Et pourtant, depuis une trentaine d'années, les travailleurs musulmans et leurs descendants sont arrivés en masse. Ils sont aujourd'hui nos voisins. Les enseignants sont mal préparés pour présenter de manière valable les grandes  religions ; les Églises de même. Mais alors que les religions de l'Orient, parce qu'elles sont lointaines, sont auréolées d'un certain prestige, il n'en va pas de même de l'Islam, qui est tout proche de nous. Il partage son sort avec le judaïsme. Judaïsme, christianisme et islam ont un tronc commun : Abraham. Et tous trois ont la même prétention à la vérité absolue. Par ailleurs, il suffit d'interroger les chrétiens orientaux pour  entendre vouer aux gémonies aussi bien juifs que musulmans.

2 - Le critère chronologique

Ces trois religions monothéistes se suivent dans le temps. Les deux dernières - christianisme et islam - s'estiment abrogation ou dépassement de la précédente. Le judaïsme, quant à lui, part de l'idée que Dieu n'a parlé qu'une seule fois, à son seul partenaire. Ce que le christianisme récuse quand il parle de "nouvelle alliance", en opposition à une "ancienne alliance". Et à son tour l'islam se présente comme le progrès définitif, les religions antérieures n'étant que des ébauches, certes utiles, mais imparfaites. Mais, comme l'islam a connu quantité de vicissitudes, après la période initiale des conquêtes, et cela jusqu'à nos jours, sa façon de se présenter est largement déterminée par son passé glorieux. Ce passé auquel il s'identifie aujourd'hui encore coïncide pour l'essentiel avec le sort de la communauté primitive et les événements du Ier siècle de l'hégire, l'époque de ses grands succès, où il a fait l'expérience de son caractère de peuple élu. Rappelons donc quelques traits de cette période.

3 - Mahomet, un "prophète arabe".

A la différence de Jésus, dont la vie terrestre fut un échec, l'existence de Mahomet connut le succès, après bien des déceptions. Après ces "déceptions", c'est la conquête de La Mecque et l'unification de la péninsule arabique sous son autorité. Sa famille n'est pas aussi modeste que celle de Jésus. Son père était commerçant ; il mourut avant la naissance de Mahomet. Aussi la première expérience de Mahomet fut une expérience commerciale. Au service d'une veuve de commerçant, il conduisait des caravanes jusqu'en Syrie. La veuve, de quinze ans son aînée, lui proposa le mariage et lui donna plusieurs enfants qui tous moururent en bas âge. Le vécu de Mahomet n'est donc pas celui d'un nomade, mais d'un citoyen sédentaire. L'islam est né en ville. Le commerce de l'encens  passait par La Mecque. C'était une ville riche. De religion polythéiste.  Le judaïsme était établi dans le nord de la péninsule arabique et le christianisme, qui dominait en Syrie et en Éthiopie, était implanté dans le Yémen actuel, au sud de la péninsule. C'était le territoire de Saba. Les deux religions se concurrençaient  férocement. Un Arabe qui voulait se convertir à l'une ou l'autre de ces religions  avait ainsi accès à l'une des plus grandes civilisations du monde, les Perses ou les Byzantins, mais il se livrait ainsi à une puissance étrangère. Or les habitants de la péninsule arabique tenaient farouchement à leur indépendance.

4 - Une nouvelle révélation

Aussi, quand Mohamed reprit l'idée du jugement divin, il avait conscience de reprendre un modèle juif et chrétien, mais il tenait à la formuler de façon nouvelle. La langue de cette formulation était l'arabe. Là était la grande nouveauté . Mohamed était un prophète arabe, son livre de révélation était un "Coran arabe". Il apportait à ses compatriotes un contenu nouveau : le monothéisme et, liée à lui, l'eschatologie. Important, face aux riches commerçants de La Mecque : il leur faudra un jour présenter à Allah leurs livres de compte pour une grande mise au point : le Jugement.

Il ne s'agit pas, pour Mahomet, d'une révolution sociale en faveur des pauvres au détriment des riches. Même s'il rassemble autour de lui  les faibles, beaucoup de jeunes et même des esclaves. Ce qui est central dans sa pensée, c'est Dieu. En premier lieu Dieu créateur  plein de bonté ; et à la fin, Dieu juge.

Mahomet n'a pris conscience que tardivement de sa vocation. Il avait près de quarante ans. Prophète, certes, car il a surtout des visions. On parle de vécus extatiques : il se voile la face. Le Coran est un livre  difficile, car il ne suit aucun ordre chronologique. Son style prophétique est totalement différent du style des prophètes de la Bible. Mahomet ressemble davantage aux devins de son époque ; il est aussi poète. Son audience des premiers temps à La Mecque est assez réduite. Il parle des prophètes de la Bible, mais il les forge à son image : tous ont apporté un message divin, et tous ont été rejetés. Le dernier, Jésus. Mais Dieu est à leur côté ; de même il est aux côtés de Mahomet et il finira par le venger.

5 - Le départ pour Médine - l'Hégire

Le châtiment se faisait attendre. Mahomet risquait de sombrer dans l'oubli. C'est alors qu'il décida de quitter La Mecque et de partir pour Médine. C'est l'Hégire. Un pas décisif : pour les musulmans, l'Hégire est le point de départ de leur histoire. On compte les années, en Islam, à partir de l'Hégire.  Une rupture qui devait nécessairement engendrer la guerre : une inimitié ancestrale régnait entre les deux villes. Or Mahomet manoeuvra si bien qu'il fut considéré  comme un arbitre capable de ramener la paix entre les deux cités.

Il y avait à Médine trois clans juifs ; Mahomet pensait qu'étant comme lui monothéistes, ils allaient se rallier à lui pour lutter contre les polythéistes qui les entouraient. Pas du tout ! Les Juifs regardèrent de haut ce nouveau converti au monothéisme : pour eux, cela faisait des siècles qu'ils adoraient le Dieu unique. A la suite d'un tas de conflits entre les deux partis, Mahomet réussit à conquérir La Mecque  ; les Juifs avaient été préalablement expulsés de Médine et en partie réduits en esclavage ou exécutés.

Mahomet finit par connaître le succès auquel il avait cru depuis les premiers jours, et même aux instants désespérés. A sa mort, avaient passé à l'Islam  non seulement les deux villes de La Mecque et Médine mais aussi les clans du désert et les habitants du sud de l'Arabie. . Ses troupes avaient poussé leur avance jusqu'à la rive est du Jourdain. Et sur le plan religieux l'attitude de Mahomet vis-à-vis des juifs de Médine et des membres de l'aristocratie de La Mecque le poussa à  changer de direction pour prier. Jusque là, les musulmans se tournaient vers Jérusalem. Désormais, sur l'ordre de Mahomet, on se tournerait vers La Mecque. C'était plus fort que lui : La Mecque, c'était sa patrie. Le pèlerinage à la Ka'ba  fera désormais partie intégrante du rituel islamique. La Ka'ba, dit le Coran, a été fondée par Abraham qui, dans un lointain passé, s'était arrêté à La Mecque avec son fils Ismaël. Avec Ismaël, pas avec Isaac. Pour Mohamed, Abraham est  beaucoup plus qu'un patriarche : il est à l'origine des trois religions monothéistes. C'est à Abraham que se rattache Mahomet, géographiquement et théologiquement. L'islam n'est pas, comme on pourrait le croire, le rejeton tardif des religions révélées, qui reprendrait leurs idées, mais la révélation originelle, reprise par Moïse puis par Jésus, falsifiée ensuite par leurs adeptes, juifs et chrétiens, dans la mesure où ils ne se convertissent pas à l'islam.

6 - La conscience prophétique de Mahomet

Mahomet ne croyait pas avoir apporté quelque chose de fondamentalement nouveau. Il n'avait apporté du nouveau qu'à son peuple, et uniquement parce que la première révélation était tombée dans l'oubli. L'islam se présente comme une réforme. Le nouveau est en même temps le plus ancien, une vérité originelle que Dieu a consignée dans un livre céleste, dont les livres précédents ne sont que des décalques. Les prophètes ne sont que des messagers, des intermédiaires, en travers desquels c'est Dieu qui parle. Ils ne sont pas métamorphosés, "je ne suis  qu'un mortel semblable à vous", dit Mohamed. ET c'est par pure grâce que Dieu délivre sa révélation. S'il le voulait, déclare-t-il, il "ferait disparaître ce qu'il a révélé."

Le prophète Mohamed ne connaît rien aux choses cachées, étrangères à la révélation. Il n'est pas un innovateur . Il ne fait que suivre ce qui lui est révélé; Il n'est qu'un avertisseur explicite. Il court le danger de tomber dans l'erreur et le péché. C'est ainsi que, ne voyant plus d'issue à La Mecque, il fut tenté, un jour, de rechercher un compromis avec les adorateurs des nombreuses divinités de la ville. C'est alors que Dieu le rappela à l'ordre dans une vision. Mohamed n'a pas non plus la facultéde faire des miracles. Dans ces auto-témoignages qu'o trouve dans le Coran, Mohamed insiste pour qu'on ne confonde pas le message et le messager . C'est la l'erreur, dit-il, dans laquelle sont tombés les chrétiens pour que Jésus est lui-même le Verbe, la Parole divine. Voilà qui n'empêche pas de reconnaître les miracles de Jésus. Le Coran lui-même s'y réfère. Mais ils ne sont que des signes par lesquels Dieu lui-même confirme le message. Ils ne témoignent pas de la nature surhumaine de Jésus. Le prophète n'est qu'un "avertisseur explicite."

7 - Le concept d'inspiration.

L'Écriture, voilà l'essentiel. Dieu se révèle dans un livre. C'est ainsi que l'islam voit aussi les religions qui l'ont précédé : judaïsme et christianisme sont des "religions du Livre" et leurs fidèles, des "gens du Livre". Ce sont là leurs titres de noblesse. Mais voilà ce qui les dépouille aussi de leur caractère concret et historique. L'Ancien Testament se ratatine au dimensions du Pentateuque et du psautier. Toute histoire se fige en pur exemple. La vie et l'agir de Jésus s'effacent derrière sa prédication et ce qu'il prêche se ramène à ce qu'ont prêché tous les prophètes : le monothéisme.

Le Livre, rien que le Livre. Aussi, comme l'ont fait avant lui le judaïsme et le christianisme primitif, mais dans l'islam beaucoup plus rapidement, on fixe le canon de l'Ecriture  (une génération après la mort du prophète) et rien n'y sera changé jusqu'à nos jours,  et toutes les versions divergentes seront brûlées.

Depuis, Dieu a gardé le silence. Il n'y a pas d'Esprit Saint dont l'action se prolongerait dans la communauté. Mohamed est "le sceau des prophètes". Dans l'Islam, on croit à l'inspiration littérale de Mohamed et de lui seul. Et si Dieu parle, c'est pour se répéter. Rien de neuf. Tout a été transmis. Dans sa parole, le Coran le musulman s'approche de Dieu comme nulle part ailleurs. Le musulman fait l'expérience de Dieu dans la récitation du Coran , car dans le Coran, la Parole s'est faite Livre. Les chrétiens, eux, se sont habitués, du moins depuis la réforme liturgique, à l'idée que les textes sont manipulables. Rien de tel pour le musulman. Écrit en arabe, même ses traductions sont suspectes. Il est en principe intraduisible.

Pour le chrétien, à la limite, l'interprétation prime le texte : on risque d'attacher plus d'importance à la prédication qu'au texte. Dans l'islam, il y a aussi la prédication, mais elle joue un autre rôle. Au début, elle était la prérogatives du souverain ou du gouverneur et servait à assurer l'obéissance des gouvernés à Dieu et aux hommes par recours à des formules religieuses. Aujourd'hui elle est souvent l'instrument d'une révolution religieuse. Elle n'est pratiquement jamais utilisée comme une explication de l'Écriture.

8 - Le caractère merveilleux du Coran

En dehors de la prédication, l'exégèse du Livre a sa place, comme chez nous. Souvent sous forme d'une interprétation allégorique des textes ; ou aussi pour l'actualiser. Pourtant, dans l'islam on a de plus en plus tendance à conférer une valeur extratemporelle à la lettre même du Coran. On le considère comme le document définitif, tout simplement parfait, porteur de la parole immédiate de Dieu.  Mohamed déclare même que "l'Écriture est l'unique miracle." Pas dans son contenu, mais surtout dans sa forme. Dieu parle en arabe et il ne fait pas de fautes. En conséquence, la grammaire, la rhétorique et la poétique s'aligneront sur le modèle du Coran. Or, historiquement, si une grande partie du Livre est due à Mohamed, on sait aussi qu'une rédaction postérieure, souvent faite de pièces et de morceaux a été dirigée par le calife Uthmân. C'est seulement alors que le texte est définitivement fixé et devient la norme. Problème : beaucoup d'arabes vénèrent une langue que la plupart d'entre eux ne maîtrisent pas parfaitement, certains pas du tout ; ils ne parlent que des dialectes où ils ne peuvent voir que les effets de la décadence. Mais c'est aussi pour cette raison que l'arabe littéraire s'est conservé jusqu'à nos jours, contrairement au latin qui a donné naissance à de nombreuses langues individualisées.

9 - L'exaltation du prophète.

L'image du prophète s'est elle aussi modifiée au fil des siècles. Au début, pour garder l'image d'un livre divin, on a eu tendance à rabaisser l'image de Mohamed. On a fait de lui un analphabète. On a supposé qu'il ne savait ni lire ni écrire ; il n'avait donc pas pu lire l'Ancien et le Nouveau Testament, et par conséquent le copier ou s'en inspirer.

Mais on n'a pas continué dans cette voie. D'abord parce que les arabes de la péninsule arabique parlent un bon arabe. Et Dieu parlant à Mohamed ne parle pas un dialecte quelconque, mais une langue très pure, celle qui était en usage chez les gens des villes de la péninsule.

Exaltation du prophète ? On en vint à le considérer comme un homme cultivé ; et quand naquit la mystique islamique, Mohamed devint parfois l'homme parfait. On avait oublié qu'il avait été un idolâtre pendant les quarante premières années de son existence. On déclara même qu'il était l'homme que Dieu avait créé avant toute autre créature, et en qui était préfigurée toute création. Prophète exalté ? Certes, mais pas au point d'oublier qu'il n'est pas Dieu. Dieu est Dieu et Mohamed n'est que son prophète. L'incarnation a toujours été une abomination pour l'islam.

(à suivre, en février : un début de réponse chrétienne)

Retour au sommaire