THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2012 :
Un dialogue interreligieux
TOUTES LES RELIGIONS SE VALENT", disent les gens. Par contre, toutes les religions déclarent qu'elles ont la vérité et qu'hors de leur croyance, il n'y a pas de salut. Chacune d'elles revendique le droit d'être seule capable de répondre aux grandes aspirations de l'homme. Et bien souvent, chacune d'elles s'enferme dans sa tour d'ivoire et refuse de s'intéresser aux autres.
Que je sois chrétien ou non, quelle est mon attitude à l'égard des autres religions ? Question d'actualité en ces temps où notre monde ressemble à un petit "village planétaire".
Je ne peux pas ignorer plus longtemps mon voisin. Ce sera donc l'objet de notre recherche cette année : d'une part explorer quelques-unes des grandes religions, leur origine et leurs croyances, et d'autre part essayer de nous situer en chrétien par rapport à ces religions.7e Séquence : L'islam et les autres religions
(juillet 2012)
Disposition et dialogue dans l'islam
Tant que le christianisme représentait une force et que l'Europe était sûre de sa supériorité, pour les chrétiens, pas de doute : notre religion, comparée aux autres, était la meilleure, la plus évoluée. Nous ne pouvions donc être que missionnaires. Maintenant, la situation a changé, et notre attitude est plutôt celle du dialogue. Dans la littérature chrétienne au sujet de l'islam, on voit facilement l'évolution. Jusque dans les années 1930, on s'intéresse surtout aux éléments empruntés par Mohamed au judaïsme et au christianisme. On parle des "vérités de foi chrétienne" qui se retrouvent dans l'islam. En fait, on assiste à une certaine méconnaissance , voire une négation de l'originalité du Prophète. Le Coran est une sorte de ramassis de pensées souvent copiées ou traduites d'autres sources, au milieu desquelles on trouve quelques pépites originales.
Aujourd'hui cette façon de voir n'a plus guère cours. "Aucun énoncé sur une religion ne saurait être valable s'il ne peut pas être reconnu par les adeptes de cette religion", écrit un spécialiste. Par conséquent, on court plus que jamais le risque de se heurter à la désapprobation des musulmans. Car les musulmans ne sont pas encore tellement d'humeur à discuter, à dialoguer sur leur religion. Ils gardent le sentiment d'appartenir à une religion triomphaliste. On va pourrant essayer de chercher à comprendre les affirmations du Coran sur deux points : les énoncés sur Jésus et sur le Saint Esprit.
Jésus dans le Coran
Mohamed ne s'est pas lassé de parler de Jésus. Et ses propos sont d'une grande cohérence. Il a vu en Jésus un intéressant parallèle à son propre cas.
Pour le Coran, pas de doute : Jésus a prêché la vérité ; mais son langage n'est pas du tout celui des évangiles : le Jésus du Coran souligne explicitement qu'il n'est, lui aussi, qu'un homme. Dans le cadre d'une telle prédication, Jésus, selon le Coran, a également prédit la venue de Mohamed.
Le Coran reconnaît explicitement ses miracles. Mais il n'accomplit pas ses miracles à titre de Fils de Dieu, mais "avec la permission de Dieu". Il est au nombre des justes, de ceux qui sont proches de Dieu. Comme tout bon musulman, il satisfait au devoir de la prière et de l'aumône, et il témoigne de la bonté à sa mère. Ses contemporains récusent cependant son message. Seuls ses disciples le reconnaissent. Les Juifs cherchent à tuer Jésus et ils se vantent même de l'avoir fait effectivement. Mais en réalité ils ne l'ont pas tué et pas non plus crucifié. "Cela leur est seulement apparu ainsi. Ils ne l'ont certainement pas tué, mais Dieu l'a élevé vers lui."
Voilà qui est surprenant pour nous chrétiens : Jésus est à ce point transformé à l'image de Mohamed que la crucifixion est niée. "Cela leur est seulement apparu ainsi." Ils se sont trompés de personne et quelqu'un a été exécuté à sa place, peut-être Judas. On trouve de telles opinions dans la gnose : tous les prophètes, comme Mohamed, ont connu des périodes de succès, puis des moments de contestation, mais finalement tous ont réussi leur mission : ils n'ont pas le droit d'échouer. En fait la passion ne s'explique que s'il y a rédemption : voilà une catégorie que l'islam ignore. Sans rédemption, la passion serait tragique. C'est compréhensible dans la pensée grecque, pas dans la pensée musulmane., pour qui la passion serait quelque chose d'absurde.
Il est pourtant deux points particuliers, dans le Coran, à propos de Jésus. D'abord la naissance virginale. Jésus est né de la Vierge Marie. Ensuite, le Coran reconnaît que Jésus est "la Parole de Dieu." Mais l'interprétation de ces deux points est différente. La naissance virginale ne signifie pas que Jésus est fils de Dieu, mais simplement que Dieu est tout-puissant. Quant à Jésus - Parole de Dieu, le Logos n'a pas le même sens chez les musulmans que pour la pensée grecque.
Selon le Coran, Jésus aurait donc prédit la venue de Mohamed. Le Coran dit : "Je suis en effet le Prophète de Dieu envoyé vers vous pour confirmer ce qui, de la Torah, existait avant moi ; pour vous annoncer la bonne nouvelle d'un prophète qui viendra après moi, au nom très glorieux." D'abord, on trouve à peu près la même formule dans la bouche de Jean Baptiste. D'autre part, qui est ce prophète ? L'expression "au nom très glorieux" fait difficulté. On peut traduire en effet "dont le nom est Ahmad". C'est ainsi que le comprennent les musulmans. Ahmad est de la même racine que Mohamad. Et certains spécialistes pensent découvrir, sous le "très glorieux", signification du futur prénom Ahmad, le grec periklètos, célèbre, lui-même altération de paraklètos, le Paraclet de l'évangile. Dès lors, le Paraclet, descendu sur les chrétiens à la Pentecôte, serait apparu en la personne de Mohamed selon la croyance musulmane.
Un peu tiré par les cheveux, quand même !
Le (Saint) Esprit
Il s'agit peut-être d'emprunts. Déjà Mani (le fondateur des Manichéens) s'était présenté sous l'appellation de Paraclet. C'est donc chez lui sans doute que Mohamed a été puiser l'appellation évangélique. Encore que Mohamed lui-même ne se désigne pas sous cette appellation. Il n'a jamais dit qu'il était le Saint Esprit. Alors, pour lui, qu'en est-il de l'Esprit ? Parfois, il fait fonction de souffle de vie : ainsi pour la conception virginale de Marie (Coran 17, 85). D'autres fois, il apparaît comme un ange messager, peut-être Gabriel. Parfois il est assimilé au Logos. Dans tous les cas, il est un instrument de Dieu. En tout cas, on n'y voit jamais d'implication trinitaire.
Judaïsme et Christianisme
Alors que, pour les chrétiens, la nouvelle alliance s'édifie sur l'ancienne, dans l'islam, au contraire, le Coran remonte d'un seul coup au-delà de la Torah et du Nouveau Testament : en lui se trouve reprise la religion d'Abraham. Et même la descendance d'Adam avait accepté l'islam de toute éternité. Abraham lui-même ne fut donc pas le premier musulman. L'islam fut la première confession des hommes, avant tous les temps, et quand un musulman dit sa profession de foi, il ne fait que répéter un témoignage qu'il a déjà rendu dans la préexistence.
Tout homme naît dans la religion islamique originelle. Ce sont ses parents qui en font un juif, un chrétien, un zoroastrien. Il a une âme naturellement musulmane. On murmure la profession de foi musulmane à l'oreille du nouveau-né. Chrétiens et juifs ne sont pas des incroyants, mais lorsqu'ils lisent autrement dans leurs Écritures ce que disent les musulmans, ce ne peut être que parce qu'ils déforment les textes ou dissimulent leur teneur véritable. Ce fut déjà l'argumentation de Mohamed contre les Juifs de Médine, et c'est aujourd'hui encore la position des théologiens musulmans : nous sommes des faussaires.
Juifs et chrétiens dans le Coran
Il nous faut aussi parler de la façon dont le monde islamique traite concrètement les non-musulmans. Les positions du Coran sont diverses. Mohamed s'est heurté aux Juifs qui constituaient alors un groupe fermé et furent ses adversaires politiques. Par contre, les chrétiens qu'il rencontre furent principalement des individus, pas des groupes. Aussi "les Juifs sont-ils moralement condamnés dans le Coran en raison de leur insubordination et pour d'autres raisons encore", tandis que les chrétiens sont plutôt réprimandés "en raison de certaines affirmations dogmatiques et conclusions erronées." Les chrétiens sont même parfois félicités pour leur conduite pratique, par comparaison avec les Juifs. "Tu constateras que les hommes les plus hostiles aux croyants, dit Dieu à Mohamed, sont les juifs et les polythéistes. Tu constateras que les hommes les plus proches dse croyants par l'amitié sont ceux qui disent : 'Oui nous sommes chrétiens'" parce qu'on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s'enflent pas d'orgueil."
Mohamed n'a donc rien d'un anticlérical. Quand, sur la fin de sa vie, Mohamed conclut des accords avec des tribus partiellement christianisées, seuls les païens furent contraints d'adopter l'islam, tandis qu'on laissa aux chrétiens leurs églises et leurs prêtres. Il y eut d'ailleurs des accords même avec les juifs. Il y eut, il est vrai, les massacres de juifs à Médine, mais plus tard , Mohamed ne massacra plus les juifs ni ne les contraignit à émigrer ou à abjurer. Ils devaient simplement payer un tribut en nature leur vie durant.
Ces dispositions se retrouvent partiellement dans le Coran. On y retrouve aussi, bien sûr, l'appel à combattre les "gens du Livre" comme tous les non musulmans. "Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu et au jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient directement le tribut après s'être humiliés." Et un peu plus loin : "Ils répètent ce que les incrédules disaient avant eux. Que Dieu les anéantisse ! Ils sont tellement stupides. Ils ont pris leurs docteurs et leurs moines, ainsi que le Messie, le fils de Marie, comme seigneurs, au lieu de Dieu. Mais ils n'ont reçu l'ordre que d'adorer un Dieu unique. Il n'y a de Dieu que lui !" A la fin, même les moines sont visés !
Le droit islamique a érigé en système ces dispositions issues de situations historiques. Il y a ainsi l'obligation du djihad, le "combat saint", un combat qui n'est pas destiné à étendre l'islam, mais à étendre la souveraineté musulmane. Sont concernés les véritables païens, qui n'ont le choix qu'entre la conversion ou la mort, "crois ou meurs" Quant aux gens du Livre, ils ne sont tenus qu'à payer le tribut. En conséquence, un traité de paix avec des États non musulmans se trouvait fondamentalement exclu. Quand un territoire musulman est attaqué par une puissance non musulmane, donc quand il s'agit d'une guerre défensive, tout musulman est tenu de prendre les armes. Au début de la Première Guerre mondiale, le cheikh al-Islam a lancé un tel appel. Il ne rencontra à l'époque qu'un écho limité. Il en va de même aujourd'hui. Le djihad est très minoritaire.
Avec le temps, de nombreux gouvernements musulmans ont annulé de nombreuses dispositions du droit de guerre. Nombre de juristes vont même jusqu'à réinterpréter le Djihad, dont le sens premier signifie "se donner du mal, faire des efforts" sous entendu "sur le chemin de Dieu." Il s'agirait donc essentiellement du combat spirituel, de l'ascèse. L'exégèse est capable de tout ! D'autant plus qu'il existe aujourd'hui quantité de traités de paix entre pays musulmans et non musulmans, et naturellement des relations amicales.
La conduite pratique à l'égard des "gens du Livre"
La situation des gens du Livre était différent selon qu'ils vivaient à l'extérieur ou à l'intérieur du monde musulman. A l'extérieur, c'étaient des ennemis. A l'intérieur, ils étaient tolérés, et même ils jouissaient de droits précis. Une certaine autonomie leur était reconnue. Autonomie, ce qui ne signifiait pas ségrégation. Pas de ghettos dans le monde musulman jusqu'à l'époque moderne. Ils n'étaient pas comme impurs. On pouvait les inviter à sa table. Ils n'étaient pas considérés comme des étrangers. D'un point de vue historique, ils habitaient le pays bien avant arrivée de l'islam.
Les possibilités d'ascension sociale étaient grandes. Des chrétiens et des juifs occupaient des postes très élevés. En Égypte médiévale, les coptes avaient la mainmise sur tout le corps des fonctionnaires. Les médecins étaient, pour la plupart, juifs ou chrétiens. Les coptes étaient même spécialisés dans le commerce lointain, les banques, l'espionnage. Certes, ils payaient un impôt spécial, ils manifestaient un certain respect vis à vis des musulmans, ils n'avaient pas le droit d'épouser une musulmane. Ce système survit toujours, ici et là. Au Liban par exemple avant les troubles des dernières décennies. En Irak et en Égypte également, il y a quelques dizaines d'années encore. Aujourd'hui ?
Tolérance à l'extérieur et à l'intérieur.
Voilà ce que les musulmans appellent aujourd'hui la "tolérance" de l'islam. Mais si l'on se rallie au langage de l'islam d'aujourd'hui il faut savoir de quoi l'on parle. Cette tolérance ne signifie pas liberté religieuse au sens moderne habituel. Tous ces "privilèges" ne valaient que pour les gens du Livre, pas pour les manichéens, les bouddhistes ou les hindous. Pas plus que pour les sectes dissidentes de l'islam, comme les bahais (qui pensent que leur fondateur est le prophète qui a succédé à Mohamed et l'a supplanté). En Iran, depuis Khomeiny, ils sont rejetés et persécutés.
Cette "tolérance" n'inclut pas les droits civiques tels que nous les concevons en Occident. Les non musulmans, de même que les esclaves et les femmes, n'ont pas les mêmes droits que les hommes musulmans. Certes, la tolérance islamique a généralement empêché les persécutions, mais elle n'a pas empêché des discriminations. Des discriminations qui, d'ailleurs, n'étaient pas permanentes. Cela dépendant de l'interprétation plus ou moins restrictive des hommes au pouvoir. Mais les textes restaient là, inchangés. Les maisons des non musulmans, par exemple, devaient toujours rester plus basses que celles des musulmans, ils devaient se déplacer à dos d'âne et non à cheval, ils devaient porter des habits distinctifs ou un insigne permettant de les reconnaître.
Conversion et mission
Ces attitudes étaient tout de même moins graves que la haine que les chrétiens vouaient aux juifs au Moyen-Âge. Cependant, au fil des siècles, le rapport a évolué : en maintes régions, les non-musulmans, surtout les chrétiens, étaient plus nombreux que les musulmans, mais progressivement ils sont devenus minoritaires. Ainsi, dans le Maghreb, les juifs sont restés jusqu'à nos jours, alors que les chrétiens ont disparu, eux qui étaient les plus nombreux au temps de saint Augustin. Alors que les juifs, habitués depuis toujours au mépris, se trouvaient relativement en meilleure situation, les chrétiens ne pouvaient pas supporter leur abaissement, eux qui avaient été les maîtres jusque là.
L'islam ne s'est pas implanté par des activités missionnaires. D'ailleurs,bien souvent les souverains interdirent toute conversion des juifs ou des chrétiens : ils devaient rester des "protégés". Ils payaient d'ailleurs plus d'impôts, ce qui n'est pas négligeable. Ce qui s'est passé, c'est un phénomène de corrosion lente : les chrétiens sont devenus musulmans. Il n'en fut pas de même lorsque l'islam s'étendit au détriment des "païens", en Inde notamment et en Afrique où une politique de conversion forcée et violente fut bien souvent mise en oeuvre. Mais, à part ces cas de conquête violente, les grands succès missionnaires ont plutôt été le fait d'infiltration paisible. Là, l'islam s'est propagé par l'apostolat des laïcs, Ce qui est infiniment mieux que pour les chrétiens, dont l'apostolat missionnaire des clercs fut bien souvent contrecarré par le mauvais exemple donné par les colons laïcs.
Récapitulation.
Si on peut oser une comparaison globale entre islam et christianisme, on entendra le musulman déclarer que sa religion est la meilleurs, d'abord à cause de l'absolue rationalité de sa doctrine, et ensuite grâce à une certaine liberté de sa pratique. On peut contester les deux choses. Mais il est certain qu'il ne viendrait pas à l'idée d'un chrétien de se définir ainsi. On remarque de considérables différences d'appréciations. La Trinité, mystère pour un chrétien, est un non-sens logique pour un musulman. Le célibat, libération du monde pour un chrétien, est outrance ascétique pour un musulman. Nous, chrétiens, ne voyons que mesquineries dans les prescriptions religieuses de la loi coranique : nous pensons immédiatement aux pharisiens, alors que pour un musulman c'est la mise en ordre toute naturelle de sa vie.
Mais quelle est donc la faiblesse de l'islam ? Peut-être sa faiblesse réside-t-elle en ce qui fait précisément sa force : dans son succès. Et même dans ses périodes d'incertitude, l'islam se tourne immédiatement vers ces périodes du début de son histoire où les succès furent extraordinaires. Il pense alors que Dieu, par sa loi, a donné forme au "bon vieux temps" jusque dans le moindre détail. D'où un réel fondamentalisme. Les musulmans ne se rendent pas compte, la plupart du temps, que cette réactualisation de l'idéal des premiers temps n'est qu'illusion. Les fondamentalistes nient les changements historiques, en vertu de la vérité éternelle de la révélation. Et jusqu'ici, ils n'ont pas fait la critique historique nécessaire des fondements de leur religion? Dommage !
La suite, début août
Retour au sommaire