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Un signe
Il nous faut réfléchir quelques instants sur la signification de ce repas auquel nous participons ce soir. Pourquoi le Christ, à quelques heures de son arrestation et de sa mort, nous a-t-il donné cette recommandation : "Ce que je viens de faire, faites-le en mémoire de moi." Ce rite auquel nous participons ce soir, comme chaque dimanche, est chargé d'une profonde signification, d'un sens vital. A nous de le saisir pour en vivre dans notre vie quotidienne.
Rappel
Il y a d'abord le rappel d'un autre repas, celui que les Israélites ont pris, un soir de printemps, juste avant de fuir la terre d'esclavage, l'Egypte, pour marcher vers la terre de la liberté. Avant leur départ, ils font un plantureux repas : un "méchoui". Une bête de leur troupeau. Normal, avant la longue marche. Mais ils vont ritualiser ce geste. Le sang de la bête égorgée, l'agneau pascal cuit à la broche vont servir de signe. Et chaque année, lors de la pleine lune de printemps, ils referont les mêmes gestes. Pourquoi manger et pourquoi ritualiser un repas ? C'est que la vie de l'homme se paie cher. Nous ne vivons que de la vie des autres. Des animaux et des plantes. Des choses vivantes. Signe immémorial de ce qui se fait chaque jour. La libération de l'homme, chaque jour, par le biais de ses progrès techniques ou de ses conquêtes politiques, se paie cher. Pour "croître et multiplier", il faut manger. Il y a des morts. C'est une loi de la nature.
Une loi de liberté
De ce qui est une loi, une nécessité, Jésus va faire une loi de liberté. Il faut qu'un homme meure pour tout le peuple ? La vie a besoin de la mort ? Jésus sera l'agneau du repas. Avec cette différence essentielle : l'agneau pascal n'avait qu'à subir sa mort. Jésus, lui, donne sa vie. Il se met librement dans la situation de celui qu'on sacrifie. Il donne sa chair et son sang. "Ma vie, nul ne la prend, mais c'est moi qui la donne." Ce faisant, il désamorce la violence. C'est comme s'il coupait l'herbe sous les pieds du mal et de la violence. La vie humaine n'était basée que sur la consommation de l'autre, pour pouvoir mieux exister. Ce n'est plus la vérité, en Jésus Christ. La vie est basée sur le don de notre propre vie pour que l'autre existe mieux. C'est un retournement complet. Une révolution. Les choses restent les mêmes : on mange et on est mangé, mais le sens qu'on donne à notre vie est changé radicalement : notre projet, c'est de faire vivre.
Ce serait inhumain s'il n'y avait pas l'espérance. On va désormais penser que "celui qui sauve sa vie la perdra, et celui qui donne sa vie la sauve." Car celui qui donne sa vie, jour après jour, est le seul à donner de la valeur à sa vie. Sa vie, enfin, prend sens. Elle prend une valeur d'éternité.
Quand le Christ nous dit : "Faites ceci en mémoire de moi", il ne veut pas dire simplement de répéter chaque dimanche le geste de la Cène. Il veut que nous, ses disciples, nous refassions, tous les jours, de notre vie quotidienne, un don généreux. "C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi comme j'ai fait pour vous." Le Christ parle du lavement des pieds comme d'un exemple. Il ne s'agit que d'un exemple. Nous qui allons répétant sans cesse le mot "amour", apprenons à vivre de façon très réaliste et dans la liberté cette loi qui veut que l'homme se nourrisse de l'homme.