HOMELIE POUR LE JOUR DE PAQUES

(1996)

 

Toujours plus haut

Chaque fois que je regarde à la télé les images du décollage ou du retour sur terre de la navette spatiale, je suis fasciné, impressionné. Ce qui, pour beaucoup, devient d'une grande banalité, reste pour moi quelque chose d'éblouissant : un épisode de plus, mais combien important, nous disent les scientifiques, dans cette course que l'homme a entreprise pour que cette petite terre, qui est notre terre, ne soit pas l'horizon unique et limité de nos rêves. Nous voulons toujours aller plus haut, plus loin, être plus grands, dominer davantage cet univers. Tout cela est important. C'est significatif, pour nous, en cette fête de Pâques. Car ce que l'Eglise nous annonce depuis vingt siècles, ce n'est pas autre chose, mais dans une tout autre dimension, que la réponse de Dieu à ce rêve de l'homme d'être de plus en plus maître du monde et maître de son destin : celui qui écarte les obstacles pour pouvoir dominer le monde et en être le maître. Cela, c'est une réponse de Dieu parce que ce qu'il nous présente aujourd'hui à travers le signe du Christ Ressuscité et à travers le mystère de notre propre résurrection, ce n'est pas autre chose qu'une offre extraordinaire pour que chacun de nous puisse élargir les dimensions de sa propre vie, lui donner une dimension d'éternité. D'élargir tout ce qui, pour nous aujourd'hui, est important, essentiel, pour lui donner une dimension plus importante, plus essentielle encore.

Inimaginable

Je regarde ces hommes et ces femmes qui, les premiers, ont été les témoins de la résurrection de Jésus. Au premier abord, ils n'ont rien vu. Ils n'ont fait qu'une constatation : un tombeau vide. C'est ce que nous rapporte l'évangile d'aujourd'hui. Marie Madeleine court trouver les apôtres pour leur dire : On a enlevé le corps de Jésus, le tombeau est vide. Elle ne dit pas : Jésus est ressuscité. Pierre, de même. Jean, lui, nous dit qu'il a commencé à croire. Mais la plupart de ces hommes et de ces femmes ne pouvaient pas imaginer cela, l'ouverture sur une autre dimension de l'existence offerte par le mystère de la résurrection de Jésus. Pour eux, c'était impensable. Il leur a fallu du temps, il leur a fallu des contacts avec le Crucifié-Ressuscité. Il leur a fallu relire l'Ecriture qui, tout au long de ses pages, annonçait cette nouvelle dimension de l'existence humaine, pour qu'un jour, probablement des semaines plus tard, ils aient le courage - j'allais dire "le culot" - d'annoncer au monde entier : "Notre existence n'est pas finie à la mort, au bout de 50, 60 ou 70 ans. Notre existence a une dimension d'éternité."

Un nouvel horizon

Mais s'ils s'étaient contentés de le dire, ce ne serait rien. On s'est aperçu très vite que ces hommes, ces femmes vivaient leur propre existence avec cette dimension d'éternité. Que ce n'étaient pas seulement des paroles, du "blablabla", ce Christ ressuscité qu'ils annonçaient, mais que tout était transformé dans leur vie, et que, d'abord, il y avait un autre horizon que l'horizon bouché du trou et de la mort. Et que ce nouvel horizon, c'était justement de déboucher sur une vie nouvelle. Mais cette vie nouvelle n'était pas seulement pour plus tard, après la mort ; cette vie nouvelle était pour maintenant, dès aujourd'hui commencée. Et on en voyait les signes. Quelque chose de tout simple. D'abord, une extraordinaire confiance en l'avenir. Ah, toutes les peurs, toutes nos peurs, et en particulier toutes celles qui nous assaillent, en ce moment, dans notre existence, puisqu'on va nous rabâchant sans cesse que tout va mal, de plus en plus mal !. Et nous le croyons. C'est cela qui engendre nos peurs et notre pessimisme et notre morosité. Mais toutes ces peurs, pour eux, cela n'existait pas. Et l'apôtre Paul pourra dire, à travers les souffrances : "Qu'est-ce qu'on nous peut, puisque nous sommes déjà ressuscités avec lui."

Fraternité

Une autre dimension de l'existence des ressuscités, dès aujourd'hui, c'est cette dimension de vie fraternelle. Des hommes, des femmes qui, la veille, ne se connaissaient pas, mais qui avaient quelque chose en commun. Non seulement de dire : "Tu es mon frère". Oui, c'est facile à dire. Mais qui vivaient cela dans le partage quotidien. Non seulement le partage des biens, mais le partage des idées, des soucis, des peines et des joies les uns des autres. Et ce partage était symbolisé, signifié, chaque fois qu'ils se retrouvaient autour de la table pour refaire ce que Lui, le Ressuscité, avait fait avec eux la veille de sa mort ; qu'il avait refait au soir de sa résurrection avec ses deux amis à l'auberge d'Emmaüs, et le même soir encore avec ses disciples rassemblés à Jérusalem. Symbole, signe de cette vie fraternelle et de ce partage que des hommes et des femmes découvraient comme la grande valeur de leur vie ressuscitée. Et je n'en finirais pas de dire ce qu'ils étaient. Mais cela nous concerne, au premier chef. Parce que si notre existence se limite à cet horizon terrestre de 50, 60 ou 70 années, elle est absurde. Et tout est absurde. Et votre travail auquel vous consacrez tant de temps. Bien sûr, il faut vivre ! Mais quelle vie? Une vie qui se termine dans un trou ? Et même ce que vous avez de plus grand dans la vie, nos amours humaines, si elles n'ont qu'une dimension de quelques dizaines d'années, qu'est-ce que c'est, si c'est pour aboutir à cette absurdité d'une séparation horrible. Mais nos amours humaines n'ont pas de sens si le Christ n'est pas ressuscité et si nous n'avons pas, j'allais dire un "regard de cosmonautes", un regard d'hommes et de femmes qui regardent plus loin que nos horizons terrestres bouchés.

Une expérience quotidienne

Frères, voilà la grande leçon de Pâques. Ce n'est pas un raisonnement intellectuel. C'est une expérience. Et cette expérience, vous tous, vous pouvez la commencer dès maintenant. Les enfants, les jeunes, les adultes et les vieillards. Il n'est jamais trop tard pour la commencer dans ces deux dimensions que je vous indiquais il y a un instant : un regard d'espérance en l'avenir, notre avenir personnel et notre avenir collectif. Et des gestes de vie fraternelle et de partage.

Et alors, frères, je vous jure que nos messes, nos partages de chaque dimanche, signes du partage dans la vie quotidienne, prendront une tout autre dimension : elles auront une dimension d'éternité. Frères, le Christ est ressuscité. Soyons des vivants.

Retour au sommaire