THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE MARIAGE

Avant-Propos

Parler du mariage, "vaste sujet", comme disait l'autre ! Il faut, pour bien le faire, être un peu "touche-à-tout". Faire de la sociologie, de l'histoire, de la démographie, de la sexologie, de l'éthique, de la théologie enfin, et j'en passe ! Comme je ne suis spécialiste d'aucune de ces matières, vous ne risquez donc pas de vous trouver devant de longs discours ultra-spécialisés et ultra-hermétiques. Vous risquez, par contre, de rencontrer parfois, dans ces pages, des propos un peu trop simplificateurs. Veuillez me le pardonner. Mon but est de vous aider, dans ce temps qui est le nôtre, où tant de "valeurs" sont dépréciées, à y voir un peu plus clair, à mieux comprendre ce qui nous arrive, et surtout, à tenir ferme dans cette existence que nous vivons. Bon courage !

1ère séquence - Qu'est-ce qui nous arrive ?

(Janvier 2002)

Vers 1970, lorsqu'on évoquait les diverses mutations qui résultaient de ce véritable tremblement de terre que fut mai 68, on pensait à la crise de l'Eglise, à la crise de l'école, à la crise de la plupart des institutions ; et en même temps, on ajoutait : "Heureusement, la famille tient bon !" Ce qui était vrai en 1970 ne l'était plus quelques années plus tard. On avait assisté aux conséquences d'un des faits culturels majeurs de notre époque : une mutation de la condition de la femme, une nouvelle conception du mariage, et les répercussions de ces mutations sur la relation parents-enfants. Aujourd'hui, arrêtons-nous sur la condition nouvelle de la vie de couple.

En 1946, on comptait 500 000 mariages. En 1974, 400 000. En 1998, 300 000 ! Qu'est-ce qui se passe ?

1 - Perspectives nouvelles pour la sexualité.
Essentiellement,
la contraception. Elle avait toujours existé, mais de façon, disons "artisanale". Du bricolage. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, elle est facilité par la pilule et le stérilet, pour ne parler que des moyens les plus répandus. En l'an 2002, il y a mieux. Cette nouvelle "technologie" a immédiatement des répercussions sur les mentalités. L'homme peut désormais maîtriser la procréation, la vie donnée. Maîtrise de la fécondité, dissociation de l'amour et de la fécondité, dissociation entre l'acte et ses conséquences possibles, telles sont les conséquences des progrès médicaux et pharmacologiques de notre temps. D'où une chance prodigieuse pour la richesse de la vie du couple : l'expression de l'amour l'un pour l'autre est vécue sans contrainte.
En conséquence : alors que jusque là, la famille était le moyen nécessaire et suffisant pour la survie du groupe humain (la transmission de la vie étant le but du mariage), aujourd'hui la famille est d'abord le lieu de la relation affective, avant toute perspective de procréation.
Autre conséquence ; la sexualité qui, autrefois, avait surtout un aspect fonctionnel, va devenir essentiellement "relationnelle".
Troisième conséquence : la contraception permet des aventures hors mariage sans risque (à part le sida), mais par contre ces expériences sont à haut risque affectif pour le couple : il en devient plus fragilisé.

2 - Les changements concernant le couple.

Premièrement, une valorisation du sentiment amoureux dans la relation conjugale.
Il n'y a pas si longtemps, c'était le père qui mariait sa fille : un garçon la lui demandait ! Aujourd'hui, le garçon et la fille se marient. Ils ne demandent plus la permission. Faites un petit test : losque vous recevez un faire-part de mariage, lisez-le attentivement, car il y a deux manières de le rédiger. L'ancienne : "M. et Mme Untel vous font part du mariage de Jocelyne avec René..." C'est le père qui marie sa fille. Nouvelle formule : "Jocelyne et René sont heureux de vous faire part...etc." Le mariage n'est plus un contrat entre deux familles, contrat qui, dans le monde rural particulièrement, était lié à la propriété. Alors que le mariage avait comme objectifs prioritaires la procréation des enfants et la transmission des biens (dot, héritage), aujourd'hui l'accent est mis sur l'attirance réciproque, sur l'amour, voire sur la passion. La constitution du couple est une décision personnelle pour laquelle on ne demande plus l'avis de personne. A tel point que, de nos jours, un "mariage de raison" paraîtra souvent comme une indécence.

Deuxièmement, un problème de durée.
On vit plus longtemps, donc, la durée d'existence des couples est théoriquement allongée. En 1860-65, elle était de 28 ans 1/2 en moyenne. En 1960-65, de 42 ans 4 mois. Aujourd'hui, près de 50 ans ! De plus, c'est actuellement dans les dix premières années du mariage que la famille est constituée, alors qu'autrefois, le couple procréait pendant trente ans. Donc, aujourd'hui, le couple subsiste longtemps après avoir achevé sa tâche éducative. Il n'est plus défini tout au long de son existence par le foyer. Cette longue durée du couple a évidemment un retentissement sur la fidélité.

Troisièmement, l'incidence de la croissance des divorces.
Je n'ai pas de statistiques récentes. Ce n'est pas nécessaire, tant le phénomène nous est connu à l'évidence. Je me souviens que leur nombre avaient doublé entre 1975 et et 1985. Plus du tiers des couples divorcent ; dans la région parisienne, la moitié. Alors qu'autrefois, les divorcés étaient montrés du doigt, actuellement, vu le grand nombre, le phénomène tend à se banaliser. La réprobation sociale n'existe plus guère, surtout en milieu urbain. Bien plus, je crois, le soupçon s'est déplacé : il porte davantage sur l'institution même du mariage. Le nombre important des divorces a un effet symbolique : c'est la nature même du lien conjugal qui est atteinte. Même si "amour" rime encore avec "toujours", l'engagement des conjoints est de plus en plus compris comme un contrat à court ou moyen terme, révocable, précaire, conditionnel. Le divorce est en train de s'inscrire dans une nouvelle logique du mariage : pour sauvegarder l'intensité et la vérité de la relation, sexuelle et amoureuse, le divorce devient signe de vérité, de sincérité. Le plus important, c'est la fidélité à soi-même, et non pas l'indissolubilité du mariage. On assiste à une certaine faillite de l'institution.

3 - Modifications du visage de la famille. (du moins dans nos sociétés occidentales)

Travail et loisirs.
Et d'abord, le travail des femmes. De plus en plus de femmes ont une activité professionnelle. Pour de nombreux couples, c'est une nécessité pour le niveau de vie. D'où un certain nombre de conséquences d'ordre conjugal et familial :
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Le statut de la femme au sein de la famille a évolué. Autrefois, la femme était soumise, dépendante. Celui qui gagnait le pain avait autorité sur l'épouse et sur les enfants. Essayez de divorcer si vous n'avez jamais travaillé ! Désormais, une égalisation croissante se fait jour, dans la relation entre époux ; égalisation dans l'autorité de l'un et l'autre, dans la vie du foyer. D'où une profonde modification du symbolisme de la relation homme-femme, et père-mère. Regardez autour de vous, chez vous !
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L'égalité des conjoints dans le travail atteint en effet la construction du couple. L'apport d'un deuxième salaire entraine un mode d'organisation du budget différent, une augmentation du niveau de vie. Surtout, lorsque les deux travaillent, leurs rôles dans la famille tendent à se modifier et à se ressembler. Nouvelle répartition des tâches, d'où plus de liberté des femmes (du moins en théorie !)
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Les femmes prennent davantage de décisions. Elles ont gagné une certaine indépendance économique, mais aussi, elles prennent plus de place dans les secteurs professionnels, sociaux, politiques, syndicaux. D'où, de plus en plus fréquemment, ce sont les femmes qui demandent le divorce.
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Par contrecoup, le sens social du mariage est atteint : privatisation croissante des couples, qui va de pair avec une plus grande place faite à l'affectivité. Risque pour la famille de se replier sur elle-même et de ne plus participer à la construction de la société. Le lien entre famille et société est de plus en plus lâche.
*A côté du travail,
les loisirs prennent une importance et une place de plus en plus grandes. On ne vit plus ensemble : on se retrouve. Et pour compenser la contrainte du milieu de travail, on se réserve du temps pour "s'éclater". Les loisirs deviennent le lieu de l'épanouissement, le lieu où l'on vit vraiment.

Le phénomène urbain.
L'urbanisation a fait éclater les familles rurales. Les liens de parenté sont distendus, la famille dispersée. La cellule familiale est close, peu ouverte sur l'extérieur. Ce phénomène est encore majoré par une scolarité et une sociabilité plus longues des adolescents. Le milieu urbain est un lieu de brassage. Il n'y a pas si longtemps, la communauté d'un village ou d'un quartier exprimait le sens du mariage, contrôlait les liens de parenté, faisait même la police sexuelle. De nos jours, même les parents ont peu leur mot à dire. En milieu urbain, le couple n'a plus de témoins. D'où, souvent, recherche du plaisir à tout prix dans le domaine sexuel : dans un milieu urbain trop permissif, aucune règle n'est reconnue, aucun contrôle n'est possible... et les sollicitations sont nombreuses !

Une culture sécularisée.
L'Eglise avait un monopole de fait : c'est fini. Elle régissait la majorité des mariages, et donc avait une fonction sociale. Ainsi, elle consacrait des modèles reconnus. Aujourd'hui, la conception du couple n'est plus soumise à des règles morales dictées par l'Eglise. Nous sommes en pleine sécularisation. Dans certains groupes, on est prêt à accueillir toutes les expériences, à renoncer à toute norme. On y reviendra quand on en arrivera à la "pastorale du mariage". Il y aura deux points à prendre en compte :
*Les contraintes venues de l'extérieur sont-elles légitimes ?
*L'évolution qu'on constate aujourd'hui va-t-elle aller en s'accentuant, ou bien y aura-t-il un ressaisissement. Et alors, n'est-elle qu'un phénomène passager ?

(A suivre)

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