10 - AMOUR, TOUJOURS. (Octobre 2002) L'amour d'un homme et d'une femme est signe de Dieu. Un signe qu'ils se font l'un à l'autre et qui leur indique dans quelle direction il faut chercher Dieu. C'est ce que j'ai commencé à vous expliquer le mois dernier. Je terminais en disant : "Veux-tu savoir qui est Dieu ? Apprends à aimer."
Je crois qu'il nous faut, ce mois-ci, bien préciser en quoi l'amour humain, en ses multiples localisations ( corps, esprit, coeur, volonté ) est un moyen privilégié pour nous faire connaître Dieu.1 - "Toi, je t'ai repérée."
Je vous ai dit, il y a quelques mois, qu'une des grandes intuitions des prophètes, notamment Osée, Jérémie et Ezéchiel, avait été de présenter la relation entre Dieu et son peuple en termes d'Alliance, de couple, Dieu étant le mari, et Israël étant son épouse. Le texte que je préfère est celui d'Ezéchiel, au chapitre 16. Si vous avez une Bible, commencez par le relire. Sommairement, voici ce que Dieu dit à Israël :
Quand tu es née, tu as été abandonnée, tu as été jetée dans les champs. Tu allais mourir quand je suis passé par là. J'ai dit : celle-là, je veux qu'elle vive. Alors je t'ai lavée, soignée, nourrie. J'ai pris soin de toi et tu as grandi. Tu es devenue une belle fille, tu avais de beaux seins. Tu étais nue, et tu étais parvenue à l'âge des amours. Alors "j'ai étendu sur toi le pan de mon manteau, j'ai couvert ta nudité, j'ai fait alliance avec toi et tu fus à moi". Des cadeaux, je t'en ai fait, des beaux habits, des belles chaussures, des bijoux... Tu étais la plus belle. Tu étais ma reine. Mais voilà que tu m'as trompé, tu t'es prostituée avec tous les passants. Les cadeaux que je t'avais faits, tu les as donnés à tes amants... Tu as multiplié les débauches. Et pourtant, moi, je te resterai fidèle. Je me souviendrai de mon alliance avec toi, et j'établirai avec toi une Alliance éternelle.
On trouve ainsi, dans les livres des prophètes, un certain nombre de pages où l'auteur prend l'image du couple humain pour dire l'alliance que Dieu a faite avec son peuple Israël. Histoire d'un couple pas toujours heureux en ménage, car la femme n'est pas toujours fidèle, Mais le mari (Dieu) ne désespère jamais de voir l'épouse revenir et de reprendre avec elle la grande histoire d'amour commencée autrefois. C'est toute l'histoire d'Israël qui est ainsi évoquée. On parle de couple - dans ces textes il n'est pas question de mariage - car le mariage, à l'époque, n'avait rien à voir avec l'amour. Il s'agit d'une alliance d'amour qui dépend de l'initiative de l'époux - "toi, je t'ai repérée" - choix purement gratuit, arbitraire même : "Pourquoi celle-là?" C'est l'amour vrai, avec toute sa fragilité - "l'amour est enfant de Bohème" - au cours d'une histoire tumultueuse. Aussi, pour lui donner de la consistance, l'amour dont il est question ici ne sera pas fondé sur le plaisir d'être ensemble, mais sur la soumission à la volonté de l'autre, la volonté de faire sa volonté. Dépasser l'aspect "sentiment" pour atteindre le lieu qui fonde tout amour durable : la volonté. Se déposséder de sa propre volonté pour faire la volonté de l'autre. Et comme ce n'est pas si évident que cela, l'amour invente le pardon. Le pardon, c'est ce qui donne de la durée à l'amour.
C'est en partant de la réalité de ce couple de l'Alliance entre Dieu et Israël que les prophètes vont faire découvrir au peuple juif ce que Dieu attend du mariage d'un homme et d'une femme. C'est de Dieu que l'homme va apprendre le mariage. Bien avant que le mot soit inventé, les prophètes ont découvert comment le couple humain était voulu par Dieu comme le "sacrement", le signe visible de son propre couple. En devenant sacrement du couple Dieu-Israël, le couple humain inverse ses priorités. La priorité n'est plus l'enfant, mais l'amour des époux.
2 - "A notre image"
Une remarque : les spécialistes de la Bible nous apprennent que le récit de la création, qui se trouve à la première page de la Bible, n'a été rédigé que bien après les livres des prophètes. Il est le fruit de la réflexion du peuple juif à une époque précise de son histoire. Vous le savez bien : il ne s'agit pas d'un reportage sur la création de l'homme, mais d'un poème. Et comme beaucoup de poèmes, il dit pour toutes les générations qui le lisent et le liront des choses essentielles.
Donc, dans ce récit de la création, on trouve cette phrase : "Dieu dit : 'Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance'... Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa." Ce qui veut dire que dans l'intention primordiale de Dieu, ce n'est pas l'homme (mâle) qui est image de Dieu, ni la femme, mais le couple : mâle et femelle, masculin et féminin, homme et femme ensemble. C'est ensemble qu'ils sont image de Dieu. Le couple homme-femme n'est plus, comme chez les prophètes, image de l'Alliance de Dieu avec Israël, mais image de l'être même de Dieu.
Au chapitre 2 du même livre de la Genèse, autre récit de la création. L'homme est le commencement, et ce n'est que lorsqu'il est là qu'apparaissent la nature et les animaux. Mais rien ne peut combler sa solitude. Sa domination le rend encore plus solitaire. La relation ne sera possible que lorsque l'autre sera un autre lui-même, "l'os de mes os, la chair de ma chair", quelqu'un de sa race, quelqu'un à qui parler. Alors "l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair." C'est ce que rappellera Jésus dans un des rares passages des évangiles où il est question du mariage. La Torah (la Parole de Dieu) permet le divorce ? Jésus en appelle à l'intention fondatrice de Dieu - "au commencement" - pour disqualifier la Torah. : "Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas."
3 - Le couple idéal : le Christ et son Eglise.
C'est saint Paul qui poussera le plus loin la réflexion biblique en ce qui concerne le mariage, en plusieurs passages de ses lettres. Nous nous arrêterons à un seul de ces passages, le plus dense et le plus difficile à admettre (du moins à première vue) : c'est Ephésiens 5, 21-33. Si vous avez un Nouveau Testament, je vous conseille de commencer par le lire.
Que dit l'apôtre ? Il commence par dire (versets 1-2) : "Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu'il aime ; vivez dans l'amour, comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même..." Puis, après quelques conseils plus ou moins pratiques, il aborde la question du couple, à partir du verset 21: "Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres ; femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. Car le mari est le chef (la tête) de la femme, tout comme le Christ est le chef (la tête) de l'Église, lui le Sauveur de son corps. Comme l'Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré pour elle... C'est ainsi que le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui-même...Ce mystère est grand : je déclare qu'il concerne le Christ et l'Église. En tout cas, chacun de vous, pour sa part, doit aimer sa femme comme lui-même, et la femme, respecter son mari."
Quelques remarques.
Premièrement : je pense que ce texte a de quoi hérisser de nos jours, la plupart des lecteurs (et surtout des lectrices) non avertis. Allez demander à votre femme de vous être soumise ! Mais, à la réflexion, on peut comprendre les conseils que saint Paul donnait aux chrétiens d'Ephèse, au premier siècle de notre ère. C'était un fait qu'à l'époque, toutes les femmes étaient soumises à leurs maris. Que pouvaient faire les chrétiens ? Ils n'avaient pas les moyens de changer la société, ni les mentalités collectives. Par contre, saint Paul donne un conseil nouveau pour l'époque : "Maris, aimez vos femmes". Rappelez-vous que dans le monde gréco-romain de l'époque, cela n'allait pas de soi. L'épouse était "la mère de mes enfants", mais pas celle que le mari aimait : il y avait, pour l'amour, d'une part les jeunes garçons, d'autre part les prostituées. Je regrette, mais c'était comme cela ! La jeune mariée passait de la soumission à son père à la soumission à un autre homme, son mari. C'est donc comme si saint Paul écrivait : "D'accord, je n'y peux rien, les femmes sont soumises à leur mari ; mais vous, les maris, il faut changer radicalement d'attitude : il faut aimer vos femmes. Et pas n'importe comment : comme le Christ a aimé l'Église, c'est-à-dire en donnant sa vie par amour."
Deuxièmement. Je regarde le Christ. Tout le sens de sa mission a été de vivre l'amour. Relire le début du chapitre 5. Pour lui, aimer, ce n'est pas n'importe quoi : c'est donner sa vie. Pas seulement "mourir pour..", mais d'abord "vivre pour..." Il suffit d'ouvrir les évangiles à n'importe quelle page : on verra jusqu'où va l'amour du Christ pour celles et ceux qu'il rencontre. Ce don de soi, quotidien, multiple, va culminer dans le don total de sa vie, sa mort sur une croix. Saint Paul ajoute qu'il a fait cela pour "son épouse", l'Église.
Troisièmement. Il s'agit de retrouver le sens premier du mot "Eglise", qui est assemblée, rassemblement de gens convoqués, invités à se rassembler, à faire corps. C'est un mot profane qui a été emprunté normalement par la première génération chrétienne pour désigner le peuple des croyants. Ils ont immédiatement pensé qu'il y avait entre le Christ et le collectif qu'ils formaient un lien étroit, que Paul traduit par une image : l'image du corps. De même que la tête (le chef, comme dans "couvre-chef") commande à tout le corps à qui elle est étroitement liée, de même le Christ est la tête (le chef) de ce corps qu'est l'Église. Si le corps est dépendant de la tête, de même l'Église est dépendante de sa tête, le Christ.
Quatrièmement. "Ce mystère est grand, il s'agit du Christ et de l'Église." Le couple primordial n'est plus le couple marié ni le couple originel, mais le couple Christ-Eglise. C'est ce couple-là qui est le vrai couple, le couple dont tous les autres doivent s'inspirer. Saint Paul reprend la tradition des Prophètes, mais en opérant une substitution audacieuse. Au couple traditionnel de l'Ancien Testament : Dieu et le peuple d'Israël, il substitue le couple Christ-Eglise. Jésus est présenté comme l'époux au même titre que le Dieu d'Israël, et l'Église comme le nouveau peuple de Dieu. "L'homme quittera son père..." : Jésus a quitté son Père pour s'attacher à l'Église et ne faire qu'un seul corps avec elle. Ce sont là les noces véritables, celles qu'il a conclues sur la croix en lui livrant son corps. Le mystère de la croix est le mystère nuptial par excellence.
Cinquièmement. De même que tout mariage chez les Juifs était appelé à ressembler à l'Alliance de Dieu et d'Israël, de même tout mariage chrétien doit ressembler à celui du Christ et de l'Église. Il doit être à son image et à sa ressemblance. Relisez le texte des Ephésiens et notez l'usage du mot "comme". Aimer comme Jésus, non pas en dominant, mais en se livrant, en se consacrant tout entier à son épouse. L'aimer comme on s'aime soi-même, car on ne fait qu'une seule chair. Aimer l'autre fait partie de l'amour de soi. C'est la meilleure façon de s'aimer soi-même.
Sixièmement. "Femmes, soyez soumises à vos maris." Je reviens maintenant à cette parole rebutante. Elle s'éclaire (un peu) si on propose comme référence l'amour de l'Église pour le Christ. La soumission (au moins théorique) de la femme n'est pas soumission à la tyrannie de l'homme. Si le mari se conduit vraiment comme le Christ et si tout ce qu'il demande à sa femme a pour but, non pas de se satisfaire lui-même, mais de contribuer à la rendre "sainte... splendide, sans tache ni ride ni aucun défaut", l'adhésion de l'épouse en sera facilitée. A condition, bien sûr, qu'il ne commande que ce qui est vraiment bon pour elle. Paul ne voyait aucun inconvénient à un tel type de soumission. Il empêchait le rapport homme-femme de devenir un rapport tyrannique du type maître-esclave. A son époque, c'était déjà une libération. Dans bien des régions de notre petite planète, ce serait sans doute aujourd'hui un grand progrès.
Il nous reste encore deux séquences (novembre et décembre) pour envisager d'autres perspectives. Nous n'épuiserons certes pas le sujet. S'il y a des questions concernant le mariage qui vous préoccupent, dites-le moi avant la fin de l'année. On verra ce qu'on peut faire ensemble.
(à suivre, le mois prochain)