THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE MARIAGE

Avant-Propos

Parler du mariage, "vaste sujet", comme disait l'autre ! Il faut, pour bien le faire, être un peu "touche-à-tout". Faire de la sociologie, de l'histoire, de la démographie, de la sexologie, de l'éthique, de la théologie enfin, et j'en passe ! Comme je ne suis spécialiste d'aucune de ces matières, vous ne risquez donc pas de vous trouver devant de longs discours ultra-spécialisés et ultra-hermétiques. Vous risquez, par contre, de rencontrer parfois, dans ces pages, des propos un peu trop simplificateurs. Veuillez me le pardonner. Mon but est de vous aider, dans ce temps qui est le nôtre, où tant de "valeurs" sont dépréciées, à y voir un peu plus clair, à mieux comprendre ce qui nous arrive, et surtout, à tenir ferme dans cette existence que nous vivons. Bon courage !

2e séquence - Que de changements !
(février 2002)

Depuis que le mariage est en crise, enquêtes et travaux de toutes sortes se multiplient pour essayer de cerner l'ampleur des changements survenus et de prévoir dans quel sens va continuer l'évolution.
Pendant des siècles (et aujourd'hui encore dans certaines régions du globe), il y avait une seule et unique formule : appelons cela le "mariage traditionnel". Puis, dans nos pays occidentaux, progressivement a vu le jour une autre forme de couple, que nous appellerons le "mariage bourgeois". Enfin, depuis une trentaine d'années, les deux modèles sont mis à mal. Les jeunes en arrivent soit à refuser le mariage, soit à adopter un nouveau modèle que nous appellerons le "mariage-compagnonnage". 
Ces trois modèles coexistent, plus ou moins, de nos jours.

1 - Le mariage traditionnel.
Ce modèle date de plusieurs siècles. Concrètement, on trouve, sous le même toit, plusieurs générations, sous l'autorité d'un seul chef de famille : le père, ou le grand père. Le mariage, dans cette conception, est une institution stable, qui fonde l'union des époux. C'est une institution, donc une réalité
sociale. Ce n'est pas du domaine du privé. Le mariage est considéré comme indissoluble.
Il n'y a pas d'égalité entre les conjoints.
Le mari est le chef. La femme dépend entièrement de lui sur le plan économique. Certes, la femme travaille, mais jamais à l'extérieur. Toujours dans l'exploitation familiale. C'est le lot de 80% de la population rurale en France au XIXe siècle.
Entre les époux règne une grande
réserve. Il ne faut pas oublier que depuis l'enfance, les sexes sont séparés, aussi bien à l'école qu'à l'église. D'où, même dans le couple, il n'y a jamais de manifestation publique de tendresse.
Pas question de prendre mari ou femme en-dehors de son milieu social. Le jeune ménage vit sous le même toit que les générations précédentes, formant un groupe familial à l'intérieur duquel les relations sont continuelles.
On entretient de fréquents rapports avec les foyers proches. Pour survivre, le noyau familial est contraint d'entretenir des
liens de solidarité assez forts avec l'ensemble de la société qui l'entoure.
Dans certaines classes sociales, notamment les nobles, les cultivateurs, les bourgeois, ce qui est prioritaire dans le mariage, c'est la
transmission du patrimoine. Les parents choisissent un époux ou une épouse pour leur fille ou leur fils, non en fonction du sentiment, mais seulement par rapport aux biens à transmettre. On parle de "mariage de raison", ce qui ne veut pas dire que les époux n'arrivaient pas à s'aimer.
Dans cette perspective de la transmission du patrimoine, l'enfant, c'est avant tout
l'héritier. Longtemps a subsisté le droit d'aînesse, pour ne pas morceller l'héritage. Sons l'Ancien Régime, l'enfant partageait la vie des adultes, qui lui transmettaient leurs connaissances, leur savoir-faire, leur culture. C'est seulement au XVIIe siècle qu'apparaissent les "petites écoles", qui sont le début de la scolarisation des enfants. Parallèlement, l'enfant va devenir l'objet de la tendresse privilégiée de ses parents, ce qui n'existait pas préalablement.

2 - Le mariage "bourgeois" ou romanesque.
C'est le type de mariage le plus répandu au milieu du XXe siècle. Mais ce style de mariage ne date pas du XXe siècle. Dans une partie de la bourgeoisie, on en trouve les premières expériences au temps de Jean-Jacques Rousseau. Mais ce type de mariage se généralisera en France après la première guerre mondiale. Autrefois, passion amoureuse et mariage appartenaient à deux univers différents et incompatibles. Le sentiment amoureux, d'abord recherché par les classes dirigeantes (et souvent en dehors du mariage) devient l'objectif général et il trouve dans le mariage sa forme normale. On se marie parce qu'on s'aime.
L'institution y tient toujours sa place. Mais ce n'est pas elle qui fonde en premier l'union des époux. Il y a d'abord le sentiment. Ce type de mariage n'est plus considéré comme indissoluble, mais institution et sentiment sont les deux piliers qui lui assurent une certaine stabilité.
Disparaît également l'inégalité entre époux. On commence à partager droits, responsabilités et tâches ménagères. L'homme n'est plus le chef incontesté : la femme tend à le supplanter dans ce rôle. Pourtant, en majorité, ce sont encore les hommes qui assurent les ressources financières du ménage. La femme est avant tout maîtresse de maison. Elle n'a pas de statut propre, elle n'a que celui de son époux. Elle est "la femme de M. Untel".
Il n'y a plus de distance entre époux. Désormais le sentiment est prioritaire. L'idéal rigoriste, pour lequel il ne devait pas y avoir de rapports sexuels avant le mariage, est balayé. On assiste à une rapide libéralisation des moeurs, même dans le mariage.
Avec la diffusion du travail féminin salarié, on assiste à une transformation de la vie de famille. La cellule familiale n'est plus soudée : elle éclate dans la journée. Elle n'est plus une unité de production (sauf à la campagne). Elle est de plus en plus une unité de consommation. En même temps, on assiste à de nombreux autres changements. Avec l'urbanisation, et donc des logements plus exigus, on ne trouve presque plus jamais des groupes familiaux élargis vivant sous le même toit. La cellule familiale réduite aux parents et aux enfants se referme sur elle-même. Elle entretient moins de relations avec le monde extérieur.
La question de la transmission du patrimoine ne compte plus guère dans la formation du couple. Les parents ne se chargent plus de marier leurs enfants : ceux-ci choisissent eux-mêmes leur conjoint. N'est réussi que le mariage où l'amour résiste au temps, demeure toujours aussi spontané, authentique. Il n'est plus question de "devoir" mais de "sincérité". L'enfant reste attendu, désiré, mais pour donner tout son sens à l'amour de ses parents, du couple. On a de plus en plus le souci de sa position sociale. On a le souci de son éducation, et même, pour cela, on consulte le psychologue. Ainsi le nid familial se referme sur lui-même, pour préserver une chaude tendresse entre parents et enfants. C'est comme si les parents, pour vivre heureux, avaient grand besoin de l'affection sécurisante des enfants, cette affection qu'ils donnent eux-mêmes à leurs enfants.
Conséquence : raréfaction des familles nombreuses. Autrefois, l'enfant, dans la famille patriarcale, était source de richesse ; dans la famille "bourgeoise", il coûte cher. Il est une charge de plus en plus grande (encore que pour l'instruction, les soins médicaux, les loisirs, une grosse part de ces charges est assumée par la société.)

3 - Le mariage-compagnonnage.
Et voici que survient, vers les années 1970 en Europe, un nouveau type de mariage, qui est comme une radicalisation du précédent. Ce nouveau type nous arrive des USA, avec des années de retard. Quelques symptomes :
Augmentation considérable du nombre des divorces.
Diminution du nombre des naissances
"Cohabitation juvénile", puis cohabitation à tout âge
L'amour suffit à justifier les relations sexuelles, avant que les relations sexuelles ne se suffisent à elles-mêmes, sans relation avec une idée d'amour.
Le mariage-institution perd de son crédit, mais reste normal pour beaucoup. Seule compte l'affectivité. Le mariage ne relève plus de l'institution, mais de la psychologie.
Avant de passer devant le maire (ce que beaucoup feront un jour) on vit pendant des années un ou plusieurs "mariages à l'essai". Il s'agit de vérifier le sérieux de leur attachement avant tout engagement définitif. On passe insensiblement de la liaison prénuptiale à la vie conjugale. Pour beaucoup, le mariage se réduit à un "mariage à l'essai" supplémentaire. Si les conjoints continuent à être heureux ensemble, il pourra durer.
On cherche une fusion, mais la stabilité de cette union demeure précaire. Elle ne dépend que de la solidité, de la durée du sentiment amoureux. Lorsqu'il faiblit ou disparait, le couple n'a plus qu'à se séparer. Ou alors, dans le meilleur des cas, on consulte des conseillers conjugaux, dont on attend des recettes miracles.
Les conjoints revendiquent une égalité absolue : aucun rôle spécifique pour l'un ou l'autre, d'où indifférenciation des sexes. Mais quand même, la relation mère-enfants est plus forte que la relation père-enfants. Cependant, la vie professionnelle de la femme, qu'il est hors de question de sacrifier à la vie de famille, qui lui assure une indépendance économique, complique les choses : pour elle, il y aura toujours une certaine tension entre foyer et lieu de travail.
Les parents attendent toujours plus de satisfaction de leurs enfants qui devraient être pour eux uniquement source de bonheur. Donc ils redoutent fort les contraintes imposées à leur existence par leur progéniture. On se contentera donc d'un ou deux enfants. Et on compte sur la société pour assumer les fonctions remplies autrefois par la famille. Mais en même temps, cette société est tristement anonyme, déshumanisante, si bien qu'on se méfie d'elle. On n'attend rien d'autre d'elle que des services.

En conclusion. Aucun de ces trois schémas, forcément caricaturaux, n'existe sous une forme absolument pure. Ils peuvent être différents d'un groupe social à l'autre. Mais on peut encore trouver ces trois modèles dans la société actuelle. On ne fait que constater, dans les lignes qui précèdent, le sens d'une évolution. Hier le mariage était le fondement de la société : il avait pour but d'instaurer un système stable d'alliances et d'échanges, bref, de rendre l'homme social. Etrange renversement : le mariage est devenu le lieu par excellence où l'on peut se retrancher des autres. Il est aujourd'hui le moyen de supporter l'absence de vie en société, de sociabilité.

(29 janvier 2002)

 

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