THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE MARIAGE

3e séquence - L'histoire du couple !
(mars 2002)

 

En janvier et en février, notre regard sur le mariage s'est inspiré des recherches de la sociologie. Il s'agissait, pour commencer, d'analyser un peu les évolutions considérables qui se passent sous nos yeux : l'idée même de mariage est parfois remise en cause !
Ce mois-ci, nous entreprenons une autre recherche, plus historique celle-ci. Ne croyez pas que le mariage tel qu'il se pratique communément aujourd'hui a toujours existé. Nous irons de surprise en surprise. Mais cela nous permettra de prendre du recul par rapport à ce que nous vivons aujourd'hui.
Voici donc, succintement, "les multiples aventures du couple".
(D'après une conférence de Michel Rouche, professeur d'histoire à la Sorbonne)

Dès les origines, les savants et les philosophes se sont interrogés sur ce phénomène d'attirance entre un homme et une femme, qui a tendance à les rapprocher, à les déchirer ou encore à les réunir. Quels ont été les avatars de ces rencontres entre hommes et femmes ? Nous distinguerons trois périodes dans cette histoire du couple : le matriarcat, le patriarcat et l'époque "contemporaine".

1 - Le matriarcat.

Vers 2000 avant J.C. on constate l'existence de cellules familiales très larges (de 20 à 60 personnes). La femme, qui est à l'origine de la vie, y joue un rôle extraordinaire. C'est elle qui commande. Elle met au monde les enfants, se donne de nombreux époux, ce qui lui permet de disposer d'importantes troupes de guerriers. Cette femme qui dirige et qui a les pouvoirs est la mère unique. Son frère aîné est désigné comme le père putatif de la multiple progéniture, mais en fait, c'est la mère qui détient la direction du groupe social dont elle est la tête. Ce système extrêmement efficace existe encore dans quelques rares régions d'Afrique noire. C'est la polyandrie. Il permet de développer la capacité de violence masculine la plus déchaînée, confondue avec la virilité. La femme, qui est également prêtresse, qui sait fabriquer des potions aphrodisiaques, contraceptives ou abortives, pousse d'autant plus les hommes à la guerre que les unions qui se créent au sein de la cellule familiale large sont le plus souvent de type incestueux. On retrouve cette structure aussi bien chez les Sémites que dans les populations indo-européennes, chez les Germains qui arrivent de l'Est, puis chez les tribus slaves qui arrivent en Europe centrale.

2 - Le patriarcat.

Lorsque des civilisations plus pacifiques, notamment les civilisations urbaines, on commencé à se construire, le système du matriarcat révèle de nombreux inconvénients. On a un bel exemple de la mutation qui se produit lorsqu'on compare Sparte et Athènes. Sparte a une civilisation militaire de type totalitaire. Mais ce sont les femmes qui commandent. Elles possèdent, par exemple, tous les capitaux. Par contre Athènes est en train de passer à un système patriarcal. Cette évolution se déroule vers 950 avant J.C., en même temps en Grèce, à Rome et en Israël. On assiste à une inversion de la formule matriarcale : c'est le père qui désormais a tous les pouvoirs, y compris le droit de vie et de mort, sur toute la communauté, y compris sur les épouses. En Israël, les livres du Lévitique et du Deutéronome, à la même époque, interdisent formellement l'inceste, preuve qu'il se pratiquait couramment auparavant. A Rome, alors que le matriarcat est encore en pratique chez les Etrusques, se développe rapidement un système patriarcal, qui muselle littéralement les femmes. A Delphes, à la même époque, les prêtres interdisent à la Pythie de donner oralement réponse à ceux qui viennent la consulter : elle doit remettre sa réponse par écrit.
Pourquoi le patriarcat s'est-il développé ? Parce que la violence déchaînée qui caractérisait le stade antérieur ne permettait pas au couple de se stabiliser et de répondre au désir de paix qui commençait à se faire jour. Dans ce système, on exige la virginité de l'épouse, seul l'adultère féminin est grave, puisqu'il s'agit de vérifier que les enfants de l'épouse sont bien issus de son mari.
Cette formule, en apparence aussi dure que la précédente, a quand même des avantages, notamment pour l'enfant : il sait désormais qu'il a deux parents et il peut échapper à l'oppressante fusion affective avec sa toute-puissante mère autrement que par la seule pratique de la violence.

3 - La crise du couple romain.

Les Romains sont des juristes. Pour eux, l'institution du mariage est fondée sur un contrat juridique. Ce contrat peut être révisé avec possibilité de divorce et de répudiation de la femme par l'homme, puis bientôt de l'homme par la femme. Cela pose certaines difficultés.
A partit du moment où on n'est plus obsédé par la procréation, que la montée du niveau de vie se fait plus générale, le mariage perd une bonne partie de sa justification. Le mariage, pour quoi faire ? En 100 avant J.C., Minucius Felix écrit que le mariage étant une source de tracas, il faut s'y résoudre uniquement par civisme. Désenchantement vis-à-vis du mariage, rapide augmentation du nombre des divorces, baisse de la natalité : tout concourt à la ruine de l'institution. Même la politique nataliste de l'empereur Auguste (qui accorde des droits importants à la femme si elle est mère de trois enfants) n'est pas suffisamment efficace. Le mariage étant considéré comme une source de tracas, obéissant davantage à des intérêts familiaux et financiers qu'à des penchants amoureux, à partir du troisième siècle il est largement remplacé par le concubinage (Saint Augustin, avant sa conversion, vit en concubinage et il a un fils avec sa concubine.) Le mariage tend à disparaître au moment où commencent les grandes invasions.

4 - L'arrivée du christianisme.

Vous pensez bien que les chrétiens, petit groupe minoritaire au milieu de populations largement païennes, n'ont rien révolutionné. D'ailleurs, ce n'est qu'au cours du IVe et du Ve siècles que la doctrine chrétienne sur le mariage commence à être élaborée, avec saint Ambroise et saint Augustin. Il faudra du temps pour qu'elle passe dans la pratique, tant elle est contraire à la situation et à l'évolution des moeurs de l'époque. Pensez donc ! Deux civilisations cohabitent : d'un côté le concubinage romain, de l'autre la polygamie des envahisseurs germains. Tous deux contestent le couple monogame indissociable proposé par l'Eglise. Pendant sept siècles, l'Eglise luttera contre cette famille large de type tribal devenue patriarcale, mais avec néanmoins une très forte influence de la femme (chez les barbares.) Contre l'inceste, les différents conciles interdisent les mariages de consanguinité, jusqu'au septième degré de parenté. Ce qui va obliger le futur marié (ou sa famille) à aller chercher loin, à plusieurs dizaines de kilomètres, la future épouse. Les gens sont en train de découvrir que l'époux ou l'épouse est quelqu'un d'autre, quelqu'un de différent.
Deuxième combat de l'Eglise : pour l'indissolubilité du mariage. L'interdiction du divorce sera progressivement acceptée, notamment à partir de 862 avec le célèbre refus du divorce de Lothaire II, roi de Lotharingie, d'avec son épouse qui n'avait pas d'enfant, alors qu'il en avait un avec sa concubine. Le combat a été très violent, mais l'Eglise n'a pas cédé. Ce qui était parfaitement incompréhensible et scandaleux pour les gens de l'époque qui n'hésitaient pas à trucider leur première épouse pour pouvoir se remarier.

5 - Le couple sans divorce.

Après l'an 1000, on aboutit à un premier équilibre et au triomphe de la famille nucléaire où le couple vit sous le même toit avec ses enfants et souvent même avec les grands-parents. L'expansion économique du Moyen-Age a également favorisé le succès du couple chrétien.
Mais à peine ce résultat a-t-il été atteint que l'on connaît une nouvelle période de turbulence avec la crise des XIVe et XVe siècles. Epidémies de peste, guerre de Cent Ans, crises économiques sans précédent : on se marie de plus en plus tard, vers 30 ou 32 ans. Mysoginie généralisée , apologie de l'adultère, recrudescence des viols collectifs dans les villages, tels sont quelques-uns des aspects de cette période.
Avec le Concile de Trente (1563) l'Eglise précise encore sa position concernant le mariage. A la question : "Le couple, pour quoi faire ?" elle répond : pour la procréation d'abord, mais aussi pour la réjouissance mutuelle, l'éducation commune des enfants et la satisfaction de l'instinct. Et l'Eglise de fixer entre autres (nous y reviendrons) une règle : le mariage doit être célébré publiquement devant un prêtre et des témoins. Seulement voilà ! Les décrets du Concile ne sont pas promulgués en France. Le Parlement les refuse. (Ils ne seront promulgués qu'en 1615, grâce à une femme, Catherine de Médicis.) Le roi Henri III avait proclamé deux ordonnances, l'une qui rend obligatoire l'accord des parents, l'autre qui interdit le remariage des veufs. Et jusqu'à la Révolution française, des prêtres ont été traînés devant les tribunaux du roi pour avoir célébré des mariages sans l'accord des parents. C'est la Révolution qui, en 1792, en généralisant le mariage civil, a satisfait une revendication vieille de mille ans, à savoir la liberté des consentements lors du mariage.

6 - Le couple et l'amour.

Jusqu'ici, remarquez-le, il n'a pas été question d'amour. On reviendra un jour sur la question. Mais il faut reconnaître que si, épisodiquement, il a dû y avoir amour entre l'homme et la femme dans le couple, ce n'était pas là l'essentiel. Nous n'appelons pas "amour" ce qui n'était souvent que satisfaction de l'instinct sexuel. Dans la plupart des cas d'ailleurs, ce n'étaient pas les futurs mariés qui décidaient, mais leurs familles. Pour trente-six raisons, et notamment pour des motifs économiques. Mais, encore une fois, on en reparlera.
Toujours est-il que jusqu'au XVIIIe siècle, l'Eglise a eu un mal énorme à faire triompher la notion d'amour conjugal, dans la mesure où elle était subversive pour une société qui privilégie le caractère social du mariage. Mais voilà que les philosophes du "siècle des Lumières" vont reprendre le flambeau et prêcher la liberté, la spontanéité comme fondamentaux. C'est Mme Roland qui réclame la constatation de la présence de l'amour avant la célébration de la cérémonie du mariage. Voltaire ira beaucoup plus loin : il veut qu'on dissocie l'amour du couple. Mais cependant pour beaucoup, notamment Rousseau, la notion de devoir est capitale quand on parle du couple et du mariage.
Or, à cette époque-là la natalité augmente brusquement, alors que le niveau de vie croît sensiblement. On commence à pratiquer la restriction des naissances. On passe brutalement d'une époque où il fallait lutter contre la mort à une époque où il faut lutter contre la vie pour équilibrer le couple. Cette réclamation d'un amour par choix mutuel qui réussit grâce aux efforts de l'Eglise, puis grâce à l'influence des Philosophes aboutit vers 1760 à une explosion des naissances illégitimes.
Cette importante proportion de naissances illégitimes illustre le malaise qui existe au sein du couple. Si bien qu'en 1795, lorsque la Convention autorise le divorce par consentement mutuel, on enregistre pour la première fois un nombre de divorces supérieur à celui des mariages.
Reteour de bâton avec Napoléon qui, dans le code civil, décide de faire revenir la femme à la situation inférieure qu'elle n'aurait jamais dû quitter :
"L'homme a sur la femme une supériorité naturelle", avait déclaré Merlin de Douai, député montagnard, révolutionnaire. La femme est désormais considérée comme une mineure perpétuelle.
Au XIXe siècle, l'Eglise fait alliance avec les écrivains romantiques : on exalte la passion amoureuse. On reprend les expressions de saint Augustin qui avait employé une quinzaine de termes particuliers pour définir l'amour conjugal. On construit une nouvelle conception du couple où le sentiment amoureux et la passion amoureuse deviennent des éléments solides et constructifs. On en arrivera ainsi, à la fin du siècle, à une quasi-généralisation du couple par choix mutuel du conjoint.

Ce type de couple, nous avons tendance à le considérer comme traditionnel : nous nous rappellerons qu'il date de moins d'un siècle. La suite ? Elle est sous nos yeux. Nous en avons déjà parlé les mois précédents. Inutile d'y revenir. Mais le mois prochain, nous ne parlerons pas encore de théologie. Je vous raconterai quelques cérémonials de mariage (quand il y avait cérémonie) au cours des âges. Vous verrez, c'est instructif. Ensuite seulement, nous ferons de la théologie.

26 février 2002

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