(juin 2002)

Après avoir traité, le mois dernier (mai 2002), l'histoire du mariage chez les chrétiens depuis les origines jusqu'au XVIe siècle, il nous reste à voir aujourd'hui la troisième étape qui nous mènera jusqu'à aujourd'hui.

III - Du Concile de Trente à nos jours.

Deux problèmes se posent alors à l'Église, en ce qui concerne le mariage des chrétiens : une contestation venant de la part des Réformés, et le problème des mariages clandestins. Le Concile de Trente va avoir à résoudre ces deux problèmes.

• 1 - La contestation des Réformés.
  Luther récuse tous les empêchements de mariage (consanguinité - affinité - parenté spirituelle - voeux), sauf ceux contenus dans le livre du Lévitique.
  Il rejette naturellement les dispenses de ces empêchements, que l'Église accordait moyennant finances.
  Il remet en cause le pouvoir de l'Église sur le mariage des fidèles.
  Il admet le divorce en cas d'adultère ainsi que le remariage du conjoint innocent.
  Enfin, pour lui, le mariage est une loi de nature, mais pas un sacrement. Et à propos de la phrase de saint Paul dans Ephésiens 5, 31-32 (" Les deux ne feront qu'une seule chair. Ce sacrement est grand") Luther fait remarquer que le mot grec "musterion" ne doit pas être traduit par "sacrement", mais par "mystère", réalité sainte.
  Pour Calvin, le mariage n'est pas un sacrement. L'Église n'a pas le droit de se réserver la législation sur le mariage.
• 2 - Les mariages clandestins. C'était une plaie de l'époque, notamment en France. Au concile, le 24 juillet 1563, une requête est présentée par le Cardinal de Lorraine : "Le roi très chrétien demande que les antiques solennités du mariage soient rétablies (donc, elles avaient plus ou moins disparu) et que les mariages soient célébrés ouvertement et publiquement à l'église, et si, dans certains cas, on juge à propos de permettre le contraire, que du moins un mariage ne puisse être réputé légitime avant d'avoir été célébré par le curé, ou par un prêtre, en présence de trois témoins ou plus."
• 3 - Au Concile de Trente, dès la première session (1545-1549), on définit la liste des 7 sacrements, dont le Mariage. Mais c'est au cours de la troisième et dernière session (1562-1563) qu'a lieu la préparation et la discussion du texte conciliaire sur le Mariage. Ce travail prendra presque toute l'année 1563, de février à novembre. 4 moutures différentes du texte seront proposées aux pères du concile, jusqu'à l'adoption définitive le 11 novembre 1563.
  Dans ce texte, il y a trois parties :
  A - un préambule doctrinal qui rappelle l'origine divine du mariage, l'obligation de la monogamie, l'indissolubilité du mariage et le mariage comme l'un des 7 sacrements, producteur de grâce.
  B - Ensuite, on trouve 12 canons qui frappent d'anathème ceux qui nient l'origine évangélique du sacrement, prônent la polygamie, légitiment le divorce. Ceci vise directement la pensée de Luther. On y trouve d'abord la légitimation du pouvoir de l'Église qui a le droit de déterminer les empêchements de mariage et d'autoriser les séparations de corps et de bien. Puis on réaffirme le pouvoir de l'Église qui ordonne le célibat des prêtres, la supériorité de l'état de virginité sur le mariage et enfin le pouvoir de l'Église sur la célébration du mariage.
  C - Suit le décret "Tametsi" : 10 chapitres qui établissent les règles à suivre pour la célébration du mariage :
  * les mariages clandestins, jusqu'alors valides, sont désormais nuls. Donc le mariage doit obligatoirement être contracté devant le curé (ou un prêtre autorisé par lui) et deux ou trois témoins, après la publication des bans. Le prêtre qui célèbre le mariage sans permission est "suspens a divinis". Le curé a pour obligation de tenir un registre des mariages.
  * pour les cérémonies, on peut garder les usages locaux.
  * en ce qui concerne l'empêchement de "parenté spirituelle", il concerne le parrain et la marraine.
  * le texte prévoit des sanctions contre ceux qui se marient sans demander dispense et "on n'accordera jamais dispense au 2e degré, si ce n'est en faveur des grands princes et pour intérêt public."
  * le mariage est strictement interdit entre le ravisseur et la femme ravie.
  * le concubinage est interdit sous peine d'excommunication.
  * il est interdit à quiconque a une autorité de faire pression sur ceux qui veulent se marier. Ce qui signifie une protection de la liberté des contractants contre seigneurs, magistrats, parents.
  * Enfin, le texte établit deux temps prohibés pour la célébration des mariages : Avent et Carême.
• Quelques remarques, maintenant.
  Les pères du Concile ont travaillé sur deux registres :
  Celui de la foi, contre les réformateurs.
  Celui de la pastorale, au regard des nombreux abus.
  Donc nous avons des documents, soit théologiques (le mariage comme sacrement, le pouvoir de l'Église sur le sacrement), soit disciplinaires et juridiques.
  Ce qui est affirmé très fort, c'est, d'une part, que tout mariage est un sacrement, et d'autre part, que les mariés (et non le prêtre) sont ministres du sacrement, le prêtre n'étant que témoin. (Nous y reviendrons, naturellement).
  
  Cette pensée ne variera plus dans l'Église (sauf quelques détails), là où les décrets du concile seront promulgués. Car pour qu'ils aient force de loi, il faut qu'ils soient promulgués. Or l'application des décrets mit un certain temps à se faire dans toute la chrétienté. Il fallut quarante ans en France, par exemple. Autre exemple : en Ecosse, les décrets ne furent publiés qu'en 1918, et jusque là, le mariage selon le rite écossais était encore pratiqué. Connaissez-vous la pratique du mariage devant le forgeron de je ne sais plus quel village écossais ? J'ai connu un jeune couple qui avait ainsi filé en Ecosse pour se marier devant le forgeron, vers 1956 (ils étaient trop jeunes pour pouvoir se marier en France).
  
  C'est la Révolution française qui amorcera sérieusement un processus de sécularisation du mariage, d'abord dans les faits et ensuite dans les mentalités. En réalité, le processus de sécularisation date du XVIe siècle, surtout chez les Calvinistes, qui veulent transférer la législation matrimoniale à l'État. En pratique, les mariages avaient lieu au sein des communautés. Au XVIIIe siècle, avec le gallicanisme qui prône le mariage civil, on assiste à la poursuite de ce processus de sécularisation. Mais c'était déjà le cas en Angleterre où depuis 1563, on pouvait se marier civilement. Idem en Hollande depuis 1580. L'État commençait simplement à reprendre en mains des fonctions civiles que l'Église, pour des raisons historiques, exerçait de façon exclusive. Rappelez-vous qu'au début de l'histoire de l'Église, il n'y avait pas de mariages religieux.
  
• Le nouveau code de droit canon de 1983.
  Jusque là, on distinguait entre la "fin première" et la "fin secondaire" du mariage.
  * la fin première du mariage, c'est la procréation et l'éducation des enfants.
  * la fin secondaire, c'est le secours mutuel et "le remède à la concupiscence."
  En 1983, nouvelle définition :
  * Le mariage est une alliance (terme biblique) matrimoniale par laquelle l'homme et la femme constituent une communauté de toute la vie, ordonnée au bien des conjoints, ainsi qu'à la génération et à l'éducation des enfants.
  * Pour les baptisés, cette alliance est sacrement. Cette alliance est double :
  - entre eux (échange des consentements et remise de l'anneau).
  - entre le couple et Dieu (ils le prient dans le Notre Père et il leur répond par la bénédiction nuptiale.)
  * Ce n'est donc pas un simple contrat résiliable. C'est se donner pleinement et se recevoir avec ses qualités, ses défauts et ses limites, pour créer une communauté de vie et d'amour. C'est pourquoi le consentement doit être vrai (loyal), libre, lucide. Aucune puissance humaine ne peut y suppléer. Ce sont les époux qui se marient (on ne les marie pas), librement, avec volonté de fidélité et d'indissolubilité.
  * Dans l'Église catholique, un certain nombre de normes sont précisées pour que le sacrement soit valide. C'est la "forme canonique" (un prêtre et deux témoins). Un certain nombre d'empêchements "dirimants" sont précisés : l'âge, l'impuissance, la parenté rapprochée. L'Église peut accorder des dispenses assez larges, notamment pour les mariages "mixtes". Ainsi, elle peut reconnaître le mariage d'un catholique et d'un protestant célébré devant le pasteur. Il suffit d'en faire la demande. De même (mais cela a toujours existé) l'Église reconnaît comme valide le mariage entre deux non-catholiques, si la forme publique (par exemple mariage civil) est respectée.
  

  Voilà où nous en sommes, au bout de six mois de recherche. Un peu de sociologie, beaucoup d'histoire, ce mois-ci, pas mal de "droit canon". Nous allons pouvoir, à partir de juillet, traiter de la pensée biblique au sujet du mariage, avant de parler de la "théologie" du mariage. J'ai des choses à dire. A bientôt. 

  28 mai 2002

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