THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE MARIAGE

7 - LA BIBLE PARLE DU MARIAGE.
(juillet 2002)

1 - Dans l'Ancien Testament. Une histoire faite de contrastes.

N'oubliez pas qu'il n'y a pas de vérités éternelles. Il s'agit, dans toute la Bible, d'un cheminement de la pensée humaine sous l'influence de l'Esprit. Disant cela, je pense à ce prince protestant du XVIe siècle qui, ayant lu dans la Bible que des personnages célèbres étaient polygames, déclarait que la Bible, parole de Dieu, autorisait la polygamie. Il voulait surtout justifier sa propre bigamie. Il ne faut pas non plus gommer les tâtonnements. L'homme ne découvrira les exigences véritables de l'amour qu'à travers des échecs et des fautes.

Dans l'Ancien Testament donc, la description des moeurs sexuelles et matrimoniales n'a rien de reluisant. Un fond de violences sexuelles et de visions mercantiles : la femme est surtout objet de convoitise érotique et pourvoyeuse de descendance mâle. Matthieu tient à le souligner, qui, dans la généalogie de Jésus, met seulement quatre femmes (au milieu des hommes), et trois sur quatre sont des victimes de cette violence : Tahar, belle-fille de Jacob qui couche avec elle ; Rahab, la prostituée de Jéricho ; Bethsabée enlevée par David ; enfin, il y a Ruth, une moabite, une étrangère, qui réussit à se faire épouser par Booz, l'arrière-grand-père de David. Mésalliance bienheureuse !

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Dans cet univers de "bruit et de fureur", la Loi intervient au nom d'un idéal de liberté et de justice. C'est ainsi qu'on trouve un premier interdit : celui de l'adultère. Bien plus, elle crée un certain nombre de commandements destinés à perfectionner la vie du couple et, déjà, à en faire une image de l'alliance du peuple et de son Dieu. Ainsi des lois protégeant la femme contre l'arbitraire masculin.
Pourtant, cette loi a ses limites. La femme reste avant tout la propriété de l'homme. Il peut répudier l'épouse stérile. Il y a d'ailleurs de multiples autres cas de répudiation possible. Ce n'est que très lentement qu'on va en arriver à exalter l'amour au sein du couple, le sommet étant le Cantique des Cantiques. Et si Israël, puis, plus tard, l'Église ont rangé ce petit poème érotique au sein des livres sacrés, c'est qu'on a depuis toujours interprété le jeu de cache-cache des amants comme l'expression de la relation Dieu-homme. Preuve que la rudesse des moeurs n'a pu étouffer le véritable élan d'amour et que celui-ci dépasse largement la législation officielle de l'époque. Ainsi, petit à petit, la piété juive en arrive à percevoir dans le mariage une réalité sainte répondant à la vocation divine de l'homme. Je n'en veux pour preuve que ce beau petit passage du livre de Tobit (
8, 5-8) : "Tobit et Sara (le soir de leurs noces) se mirent à prier et ils dirent: Béni sois-tu, Dieu de nos pères ! Béni soit ton nom dans toutes les générations à venir ! Que te bénissent les cieux et toute la création dans tous les siècles ! C'est toi qui as fait Adam, c'est toi qui a fait pour lui une aide et un soutien, sa femme Eve, et de tous deux est née la race des hommes. C'est toi qui as dit : 'Il n'est pas bon que l'homme soit seul, faisons-lui une aide semblable à lui.' A présent donc, ce n'est pas un désir illégitime qui me fait épouser ma soeur que voici, mais le souci de la vérité. Ordonne qu'il nous soit fait miséricorde, à elle et à moi, et que nous parvenions ensemble à la vieillesse. Puis ils dirent d'une seule voix : 'Amen, amen !' et ils se couchèrent pour la nuit".

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C'est dans le livre de la Genèse que s'exprime le mieux la méditation juive sur le sens du couple. Faisant appel à des traditions anciennes longuement méditées, il affirme une correspondance profonde entre l'alliance de Dieu avec son peuple et celle qui lie l'homme et la femme. C'est d'abord Genèse 2, 18-25, récit raconté dès avant l'an 1000 et écrit sous sa forme actuelle vers 500 avant Jésus Christ : "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je vais lui faire une aide semblable à lui... C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair. Or tous deux étaient nus et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre." L'essentiel du texte, c'est l'unité dans la différence. L'être humain ne s'achève que par la rencontre de l'autre. Ce qui suppose une rupture : "L'homme quittera son père et sa mère..." La vocation essentielle de l'homme y est exprimée : "être pour l'autre."

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Avec les prophètes, Osée, Jérémie, Ezéchiel, Isaïe, va s'affirmer une nouvelle dimension de l'amour humain. Son vrai modèle, c'est l'amour que Dieu porte à son peuple et à travers lui à toute l'humanité. Car le Seigneur aime Israël gratuitement, comme doivent s'aimer l'homme et la femme.
L'idée s'affirme à travers les misères d'un époux bafoué : Osée. Il a épousé une femme qui se révèle n'être qu'une prostituée. Il la répudie, mais à travers sa souffrance il perçoit ce que peuvent être les sentiments de Dieu trompé par le peuple d'Israël, comparé à une fiancée aimée. Il découvre alors ce que peut être l'amour gratuit de Dieu ; il comprend ce que peut être le sens bouleversant de la fidélité. Il se décide alors à reprendre sa femme et à lui pardonner.
Jérémie reprend le même symbolisme nuptial et oppose les infidélités du peuple à l'amour éternel de Dieu, avant d'annoncer l'Alliance nouvelle qui viendra changer le coeur de l'homme.
Beaucoup plus brutalement encore Ezéchiel illustre la conduite du peuple en le comparant à une fillette abandonnée, recueillie par Dieu, unie à lui, tendrement aimée, mais échappant à son bienfaiteur pour se prostituer avec des étrangers. Le jour viendra où l'époux trompé viendra lui-même rétablir l'alliance détruite. Il vous faut absolument lire le chapitre
16 d'Ezechiel : c'est un des plus beaux textes de la Bible.
Enfin, mentionnons Isaïe
54, 4-8 : "N'aie pas honte, tu n'auras plus à rougir car ton époux, c'est ton créateur. Répudie-t-on la femme de sa jeunesse ? Un court instant je t'avais délaissée, mais dans un amour éternel j'ai eu pitié de toi."

2 - Dans le Nouveau Testament.

A - Jésus et le mariage.
Pour Jésus, l'essentiel, c'est le Royaume qui vient. Le travail, la richesse, l'amour conjugal, la famille ne prennent leur vrai sens qu'en fonction de leur relation à la réalité nouvelle, au peuple saint qu'il vient créer.
Jésus ne se penche pas particulièrement sur l'amour de l'homme et de la femme. Celui-ci n'est qu'une façon particulière de vivre la grande loi d'amour qui est celle de tous ceux qui vivent dans la perspective du Royaume de Dieu. L'époux, l'épouse, c'est le premier prochain. Jésus lui-même vit sa relation aux autres, et en particulier aux femmes, de façon étonnamment nouvelle. A une époque où elles étaient considérées comme des êtres mineurs, il manifeste envers elles une aisance totale : elles sont son prochain, font partie de ses disciples à part entière. Lui, le pur par excellence, peut relever la pécheresse méprisée et affirmer qu'il lui sera beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé. Il arrache la femme adultère à la condamnation des hommes. Et, en fonction du Royaume qui vient, il donne son vrai sens au mariage en l'intégrant dans un projet de vie total. Il appelle ses disciples, ceux qui n'ont pas tout quitté pour le suivre, à vivre de façon radicalement différente leur réalité quotidienne. Il reconnaît ainsi la pleine valeur de la vie conjugale et familiale : vécues dans l'esprit du Royaume, elles trouvent un sens définitif en Dieu.

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L'occasion lui en est fournie par le piège légaliste tendu par les pharisiens : "Moïse a permis le divorce... et toi ?" Jésus reprend : "Moïse a permis le divorce en raison de la dureté de vos coeurs. Mais dès l'origine "il les créa homme et femme". Ainsi donc, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront qu'une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas." C'est donc la fin du mariage où le contrat n'était fait qu'en fonction de l'intérêt de l'homme. L'engagement dans le mariage est une prise en charge réciproque de l'autre sur la route de l'aventure humaine conduisant à Dieu. Il est un engagement définitif, irréversible, car à travers lui se joue quelque chose de plus essentiel : la relation à Dieu, source de tout amour.
Aussi les évangélistes vont présenter Jésus comme l'époux venant réaliser les noces de Dieu et de l'humanité en sa propre personne. C'est le sens de l'épisode des noces de Cana. L'eau changée en vin par Jésus, symbolise le changement profond de régime spirituel que Jésus vient inaugurer. "Son heure" vient, l'heure de ses épousailles définitives avec l'humanité sur la croix. Le régime de la Loi (l'eau des ablutions rituelles) fait place à celui du don gratuit de l'amour.
Jésus n'en dit pas plus sur le mariage. Cela suffit d'ailleurs : il ouvre aux croyants une perspective nouvelle sur le mariage lui-même. A nous d'en tirer les conclusions.

B - Le Mariage dans la perspective de saint Paul.
Dans les lettres de Paul, la réflexion va être plus poussée. Mais avant d'en venir aux textes traitant des problèmes conjugaux proprement dits, il faut re-situer la réflexion de Paul dans le contexte de sa vision globale. Jésus a introduit un renouvellement total de l'existence humaine. Ce que Paul reprochera constamment aux Juifs, c'est d'avoir souvent ignoré la gratuité de l'amour divin et de se comporter vis-à-vis de Dieu selon une mentalité mercantile liée à une vision légaliste de l'Alliance : ils prétendent donc avoir droit à l'amour de Dieu. Pour Paul, celui qui vit de la foi entre dans le monde du seul amour véritable, celui dont Dieu lui-même nous a montré le modèle en Jésus crucifié.

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A l'exemple de Jésus, Paul a renoncé à la vie conjugale pour se consacrer entièrement à sa mission. C'est pourquoi sa première réaction, la plus spontanée, est de souhaiter que ses correspondants de Corinthe, qui lui ont posé la question, acceptent le célibat pour se donner entièrement à la tâche la plus urgente : la préparation du monde nouveau qui va survenir. Mais il n'en reconnaît pas moins la valeur de l'amour et, contre certaines tendances grecques à déprécier le mariage, il défend la valeur de la vie conjugale. Il donne un conseil au sujet du célibat, pas un ordre. Et immédiatement il pose le principe d'une réciprocité totale entre le pouvoir du mari sur sa femme et celui de la femme sur son mari. Dans le monde grec, le mari achetait sa femme pour en avoir des enfants légitimes, puis il avait des relations avec des prostituées souvent pour son épanouissement intellectuel et des éphèbes pour sa satisfaction charnelle. La prise de position de Paul est donc révolutionnaire.

Quelques années plus tard; dans la Lettre aux Ephésiens, nouvel élément de réflexion. Il envisage le mariage chrétien dans la perspective du Corps du Christ à faire grandir. L'amour de l'homme et de la femme ne constituent plus un handicap par rapport à la venue du Royaume, il est au contraire une façon d'en manifester la réalité. Il reprend donc la symbolique des prophètes : il établit un parallélisme entre la relation conjugale et l'alliance de Dieu avec les hommes (mais en Jésus Christ). Lire Ephésiens 5, 21-33. Certes, ce texte, par certains aspects, date aujourd'hui. Il est difficilement acceptable. Mais Paul est de son époque et même s'il l'eût voulu, il ne pouvait rien changer. Pourtant si, il change une chose essentielle : il répète que le mari doit aimer sa femme comme le Christ a aimé l'Église et cela, c'est du neuf. Il reprend la perspective de la Genèse sur le couple, mais il la réinterprête à la lumière de l'alliance. "Ce mystère est grand", conclut-il. Mystère : le croyant inséré dans la totalité de l'amour divin. Le mariage est donc posé comme un signe qui renvoie à l'activité de Dieu en Jésus Christ. Le chrétien vit l'existence conjugale dans la perspective pascale. Dans son amour vécu au quotidien, il peut entrevoir ce qu'a été l'amour de Dieu en Jésus-Christ : jusqu'à donner sa vie. Bien plus, il vit dans la perspective de cet amour qui est celui de Dieu même. Par là, il vit pleinement. L'amour humain, reflet de l'amour gratuit du Seigneur. En révélant par son fils la manière dont il aime, Dieu fait connaître ce que doit être l'union des époux.

L'amour peut naître de la chair (du désir et du sentiment) tout comme Jésus est né de la chair, d'une lignée charnelle. Mais pas seulement de la chair. L'Esprit est intervenu comme une rupture dans sa généalogie. De la même façon, celui qui aime spontanément, humainement, est appelé à faire un saut : accepter de se laisser transformer, féconder par l'Esprit. C'est la condition nécessaire pour échapper à ses contradictions et être ancré "sur le roc", donc sauvé. Là où l'homme ne pensait que satisfaction, avantage, Dieu vient proposer don, confiance, marche en avant dans la foi, fidélité absolue. Cela implique risque, effort, mort à soi-même. C'est aussi la source de la vie. C'est le salut possible.

Pratiquement, la relation entre époux est une application particulière, la plus riche qui soit, des prescriptions universelles touchant les rapports avec les autres, ceux que Paul a décrits parfaitement dans l'hymne à l'Amour.

Un simple conseil, pour terminer : relisez donc dans la Première Lettre aux Corinthiens, chapitre 13, 1-8.

Vous avez de quoi réfléchir pendant ce mois de juillet.
Nous aborderons bientôt la théologie du mariage.

1er juillet 2002