En juillet, nous avons regardé ce que la Bible, Ancien et Nouveau Testament, nous apprend sur le mariage. Et nous avons pu remarquer qu'il a fallu des siècles pour que saint Paul, en dernier, après les prophètes et à la suite de Jésus, commence à élaborer une pensée chrétienne à propos du mariage. Mais cette pensée de saint Paul est encore bien marquée par les mentalités de son époque. Nous allons donc poursuivre aujourd'hui notre recherche et regarder comment, à partir de l'Ecriture, toute une réflexion sur le mariage a mûri, jusqu'à nos jours. Et ce n'est pas fini.
1 -
L'Église primitive.
L'Église primitive a repris simplement les modes de
célébration des pays où elle était
implantée. Il n'y a pas de mariage "à l'église".
On ne parle pas de sacrement. On ne fait pas de théologie.
Mais la vie quotidienne du couple chrétien est
transfigurée par la perspective du Royaume de Dieu
annoncé par Jésus. Apparemment, les chrétiens
vivent comme les non-croyants. L'Epître à
Diognète en témoigne. Mais dans le cadre de
l'Église, ils vivent autrement une véritable petite
société alternative : la vie conjugale est une des
façons de vivre concrètement de l'amour du Christ.
Par-delà l'union sexuelle et la procréation, l'union
conjugale est une forme d'union spirituelle entre les époux
unis par Dieu. Avant tout, ils perçoivent dans l'engagement du
mariage sa dimension de fidélité. Par exemple, on
n'envisage qu'avec réticence le remariage après le
veuvage. L'expérience d'un amour vécu dans la foi prend
valeur éternelle. On tolère que les jeunes veuves se
remarient, mais on met en valeur celles qui ont été la
femme d'un seul mari. Autre exigence de la fidélité :
l'obligation de se séparer du conjoint adultère ou
débauché. Pas pour se remarier, mais pour une
véritable séparation de corps : le maintien d'une union
charnelle coupée de sa dimension spirituelle devient une forme
de débauche. C'est difficile, aussi les Pères
déclarent qu'à côté de l'exigence de
pureté il y a aussi un devoir de miséricorde et de
pardon.
2 - Saint
Augustin.
Issu d'une famille mixte - son père se réjouissait lors
de ses premiers éveils sexuels et sa mère
chrétienne s'en inquiétait - Augustin commença
par mener une vie dissolue. Etudiant, il eut une maîtresse qui
lui donna un fils. Converti, il va changer de vie parce que sa vie
antérieure était un obstacle à la rencontre de
Dieu. Mais il est marqué par le néo-platonisme qui
exalte la vie spirituelle dégagée des contingences
terrestres, si bien qu'il va se mettre à mépriser
l'union conjugale, et d'une façon plus générale
tout ce qui est "charnel". Pour lui, la vie conjugale est
entachée par la passion et le plaisir
sexuel. Cependant, il reconnaît la légitimité du
mariage. Pour lui, bien que pollué par le désir
charnel, le mariage est nécessaire pour un bien
supérieur : la procréation. Cette pensée de
saint Augustin va avoir d'énormes répercussions sur
toute la pensée chrétienne des siècles futurs ;
l'aboutissement le plus radical étant le jansénisme,
qui a imprégné les consciences, jusqu'à nos
jours, hélas, dans certains cas. La vie sexuelle devient le
"devoir conjugal" ; la dimension du couple est oubliée au
profit du devoir de faire des enfants.
Donc, vision pessimiste de la vie sexuelle. D'une certaine
manière, c'est vrai et il faut le rappeler à notre
époque : il y a danger d'une vie sexuelle axée
uniquement sur la recherche du plaisir pour lui-même, risquant
de se fermer à toute dimension spirituelle dans la relation
conjugale et à toute ouverture sur la transcendance, sur Dieu.
Il y a un risque d'occulter la dimension de
générosité de l'amour. Le couple qui exclurait
systématiquement l'enfant tuerait les racines de ce qui peut
le faire vivre. Il se condamne à la stérilité
spirituelle et physique. Il s'exclut du royaume de la
générosité et de la confiance en Dieu.
3 - Le
Moyen-âge.
Rappelez-vous d'abord que si l'Église s'est
mêlée de cette question du mariage, c'est à une
époque où l'affaiblissement du pouvoir civil l'a
poussée à remplir une fonction de contrôle
social. Alors que pendant des
siècles, les chrétiens s'étaient mariés
"comme tout le monde", c'est-à-dire selon les coutumes de leur
pays (il n'y avait toujours pas de mariage "à
l'église"), voilà que progressivement l'Église
exerce une fonction de contrôle et de régulation. Et les
théologiens expliquent que la valeur spirituelle du mariage
vient en premier lieu, non pas de l'engagement pris tel jour,
à tel endroit, mais de l'union continuelle des époux.
Les époux se donnent le mariage (et ses grâces) tout au
long de leur existence. Celui-ci relève bien d'eux, et non du
prêtre, qui n'est que témoin.
C'est seulement en 1274, au concile de Lyon, que pour la
première fois certains évêques parlent du mariage
comme d'un sacrement.
"Alors, quelle grâce confère le mariage ?
- Il endigue la convoitise, répond Pierre Lombard au XIIe siècle.
- Hum, c'est un peu négatif, dit l'idéaliste.
- Ce n'est déjà pas si mal, rétorque, informé, le réaliste.
- Il y a tellement mieux ! dira saint Thomas d'Aquin cent ans plus tard : le mariage confère la grâce qu'il symbolise, c'est-à-dire l'amour même qui unit le Christ et l'Église, cet amour par lequel le Christ a donné sa vie pour son Eglise.
Dès lors, le mariage n'est pas l'instant du "oui" échangé ; il a toute l'épaisseur, toute la longueur de la convivence conjugale à vie. "Le mariage n'est pas le consentement lui-même, mais cette communauté de vie et de projet inaugurée par le consentement". (T. Rey-Mermet)
4 - Le
Concile de Trente.
Luther va réagit vivement contre l'identification du sacrement
et du contrat. Il déclare que l'union conjugale relève
du droit naturel lié à la création. Ce n'est pas
l'Église qui crée la réalité du mariage.
On peut vivre le mariage sans s'en trouver pour autant uni au Christ.
On ne saurait mettre sur le même plan des sacrements comme le
baptême, l'Eucharistie, voulus par le Christ pour engager les
croyants à sa suite, et l'union conjugale. Il ne nie pas que
le mariage puisse être vécu chrétiennement, mais
il lui refuse la qualité de sacrement. L'Église ne fait
que bénir une union qui se contracte indépendamment
d'elle.
Le Concile de Trente (1545-1563) définit les sacrements d'une autre manière que Luther. Il déclare que la réalité naturelle de l'union conjugale prend une dignité nouvelle du fait de sa consécration religieuse. Le Concile définit le mariage comme un sacrement, mais il ne dit pas comment l'union conjugale opère l'insertion des époux dans la vie du Christ. Il déclare simplement que Jésus a donné un sens nouveau à cette union et l'a rendue source de grâce. L'Église est responsable de ce sens et de la communication de cette grâce.
Le Concile n'a pas tellement fait oeuvre de théologie ; encore une fois, il ne précise pas comment le mariage insère dans le courant de la vie du Christ. Il affirme le fait, mais il est surtout soucieux de définir canoniquement - juridiquement - les conditions dans lesquelles l'Église reconnaît le mariage comme ayant vraiment valeur sacramentelle à ses yeux. Ceci en réaction contre la plaie des mariages clandestins, unions qui se faisaient et se défaisaient au gré des époux. C'est un avantage mais qui a ses inconvénients. Il a conduit à mettre l'accent sur l'aspect public, donc juridique, du mariage. Pour beaucoup de chrétiens, la seule réalité qui compte est le fait de "passer devant le curé". Seule la célébration est importante, alors qu'en réalité, l'important, c'est la vie commune affective. Dans sa réalité profonde, le mariage chrétien, inauguré en présence de la communauté, se célèbre à nouveau chaque jour dans l'acte de fidélité et de don réciproque des époux.
5 - A la
source des difficultés actuelles.
Cette conception du mariage provoque, aujourd'hui encore, mais
même depuis le Concile, de graves difficultés. Dans une
société de plus en plus marquée par la
valorisation de l'économie, donc peu soucieuse des personnes,
on aboutit à la sacralisation d'un contrat social exclusif de
toute véritable rencontre. Voir les "mariages de raison" qui,
même s'ils se font rares de nos jours en Occident, existent
encore dans maintes parties du monde. Le danger de l'identification
du mariage et d'un contrat social est d'autant plus grand que le lien
entre l'Église catholique et une société
définie à priori comme chrétienne a socialement
fait de la bénédiction nuptiale un point de passage
obligé pour les baptisés, quelle que soit leur foi
effective. On en arrive alors à un paradoxe : dans une
société où beaucoup de chrétiens de nom
ne sont plus toujours croyants, l'Église ne reconnaît la
validité d'un mariage que s'il est sacramentel. Mais en
même temps, elle doit rappeler que le sacrement ne prend valeur
que par la foi.
C'est la source de nombre de difficultés actuelles. Les
prêtres sont tiraillés entre une exigence légale
qui les conduit normalement à bénir à
l'église le mariage de tous les baptisés qui le
demandent, alors que leur sens pastoral les pousse à ne
conférer le sacrement qu'à ceux qui veulent
réellement vivre leur union dans la perspective de la foi
chrétienne. De leur côté, les chrétiens
(de nom) méconnaissent souvent le sens véritable du
sacrement : pour eux, le mariage, c'est simplement l'engagement
formel pris à l'église.
Plus grave encore : le mariage tend à devenir un acte
posé par des individus coupés de toute
communauté chrétienne proposant un mode de vie qui
trancherait sur celui du monde ambiant. Le couple ne dispose plus de
l'environnement de cette nouvelle famille qu'entendait susciter le
Christ : une Eglise qui pourrait permettre au couple d'insérer
vraiment sa vie conjugale dans la perspective du Royaume de
Dieu.