THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE : LE MARIAGE

8 - UNE LONGUE ELABORATION.
(août 2002)

En juillet, nous avons regardé ce que la Bible, Ancien et Nouveau Testament, nous apprend sur le mariage. Et nous avons pu remarquer qu'il a fallu des siècles pour que saint Paul, en dernier, après les prophètes et à la suite de Jésus, commence à élaborer une pensée chrétienne à propos du mariage. Mais cette pensée de saint Paul est encore bien marquée par les mentalités de son époque. Nous allons donc poursuivre aujourd'hui notre recherche et regarder comment, à partir de l'Ecriture, toute une réflexion sur le mariage a mûri, jusqu'à nos jours. Et ce n'est pas fini.

1 - L'Église primitive.
L'Église primitive a repris simplement les modes de célébration des pays où elle était implantée. Il n'y a pas de mariage "à l'église". On ne parle pas de sacrement. On ne fait pas de théologie. Mais la vie quotidienne du couple chrétien est transfigurée par la perspective du Royaume de Dieu annoncé par Jésus. Apparemment, les chrétiens vivent comme les non-croyants. L'Epître à Diognète en témoigne. Mais dans le cadre de l'Église, ils vivent autrement une véritable petite société alternative : la vie conjugale est une des façons de vivre concrètement de l'amour du Christ. Par-delà l'union sexuelle et la procréation, l'union conjugale est une forme d'union spirituelle entre les époux unis par Dieu. Avant tout, ils perçoivent dans l'engagement du mariage sa dimension de fidélité. Par exemple, on n'envisage qu'avec réticence le remariage après le veuvage. L'expérience d'un amour vécu dans la foi prend valeur éternelle. On tolère que les jeunes veuves se remarient, mais on met en valeur celles qui ont été la femme d'un seul mari. Autre exigence de la fidélité : l'obligation de se séparer du conjoint adultère ou débauché. Pas pour se remarier, mais pour une véritable séparation de corps : le maintien d'une union charnelle coupée de sa dimension spirituelle devient une forme de débauche. C'est difficile, aussi les Pères déclarent qu'à côté de l'exigence de pureté il y a aussi un devoir de miséricorde et de pardon.

2 - Saint Augustin.
Issu d'une famille mixte - son père se réjouissait lors de ses premiers éveils sexuels et sa mère chrétienne s'en inquiétait - Augustin commença par mener une vie dissolue. Etudiant, il eut une maîtresse qui lui donna un fils. Converti, il va changer de vie parce que sa vie antérieure était un obstacle à la rencontre de Dieu. Mais il est marqué par le néo-platonisme qui exalte la vie spirituelle dégagée des contingences terrestres, si bien qu'il va se mettre à mépriser l'union conjugale, et d'une façon plus générale tout ce qui est "charnel". Pour lui, la vie conjugale est
entachée par la passion et le plaisir sexuel. Cependant, il reconnaît la légitimité du mariage. Pour lui, bien que pollué par le désir charnel, le mariage est nécessaire pour un bien supérieur : la procréation. Cette pensée de saint Augustin va avoir d'énormes répercussions sur toute la pensée chrétienne des siècles futurs ; l'aboutissement le plus radical étant le jansénisme, qui a imprégné les consciences, jusqu'à nos jours, hélas, dans certains cas. La vie sexuelle devient le "devoir conjugal" ; la dimension du couple est oubliée au profit du devoir de faire des enfants.
Donc, vision pessimiste de la vie sexuelle. D'une certaine manière, c'est vrai et il faut le rappeler à notre époque : il y a danger d'une vie sexuelle axée uniquement sur la recherche du plaisir pour lui-même, risquant de se fermer à toute dimension spirituelle dans la relation conjugale et à toute ouverture sur la transcendance, sur Dieu. Il y a un risque d'occulter la dimension de générosité de l'amour. Le couple qui exclurait systématiquement l'enfant tuerait les racines de ce qui peut le faire vivre. Il se condamne à la stérilité spirituelle et physique. Il s'exclut du royaume de la générosité et de la confiance en Dieu.

3 - Le Moyen-âge.
Rappelez-vous d'abord que si l'Église s'est mêlée de cette question du mariage, c'est à une époque où l'affaiblissement du pouvoir civil l'a poussée à remplir une fonction de contrôle social. Alors que pendant des siècles, les chrétiens s'étaient mariés "comme tout le monde", c'est-à-dire selon les coutumes de leur pays (il n'y avait toujours pas de mariage "à l'église"), voilà que progressivement l'Église exerce une fonction de contrôle et de régulation. Et les théologiens expliquent que la valeur spirituelle du mariage vient en premier lieu, non pas de l'engagement pris tel jour, à tel endroit, mais de l'union continuelle des époux. Les époux se donnent le mariage (et ses grâces) tout au long de leur existence. Celui-ci relève bien d'eux, et non du prêtre, qui n'est que témoin.
C'est seulement en 1274, au concile de Lyon, que pour la première fois certains évêques parlent du mariage comme d'un sacrement.

"Alors, quelle grâce confère le mariage ?
- Il endigue la convoitise, répond Pierre Lombard au XIIe siècle.
- Hum, c'est un peu négatif, dit l'idéaliste.
- Ce n'est déjà pas si mal, rétorque, informé, le réaliste.
- Il y a tellement mieux ! dira saint Thomas d'Aquin cent ans plus tard : le mariage confère la grâce qu'il symbolise, c'est-à-dire l'amour même qui unit le Christ et l'Église, cet amour par lequel le Christ a donné sa vie pour son Eglise.
Dès lors, le mariage n'est pas l'instant du "oui" échangé ; il a toute l'épaisseur, toute la longueur de la convivence conjugale à vie. "Le mariage n'est pas le consentement lui-même, mais cette communauté de vie et de projet inaugurée par le consentement". (T. Rey-Mermet)

4 - Le Concile de Trente.
Luther va réagit vivement contre l'identification du sacrement et du contrat. Il déclare que l'union conjugale relève du droit naturel lié à la création. Ce n'est pas l'Église qui crée la réalité du mariage. On peut vivre le mariage sans s'en trouver pour autant uni au Christ. On ne saurait mettre sur le même plan des sacrements comme le baptême, l'Eucharistie, voulus par le Christ pour engager les croyants à sa suite, et l'union conjugale. Il ne nie pas que le mariage puisse être vécu chrétiennement, mais il lui refuse la qualité de sacrement. L'Église ne fait que bénir une union qui se contracte indépendamment d'elle.

Le Concile de Trente (1545-1563) définit les sacrements d'une autre manière que Luther. Il déclare que la réalité naturelle de l'union conjugale prend une dignité nouvelle du fait de sa consécration religieuse. Le Concile définit le mariage comme un sacrement, mais il ne dit pas comment l'union conjugale opère l'insertion des époux dans la vie du Christ. Il déclare simplement que Jésus a donné un sens nouveau à cette union et l'a rendue source de grâce. L'Église est responsable de ce sens et de la communication de cette grâce.

Le Concile n'a pas tellement fait oeuvre de théologie ; encore une fois, il ne précise pas comment le mariage insère dans le courant de la vie du Christ. Il affirme le fait, mais il est surtout soucieux de définir canoniquement - juridiquement - les conditions dans lesquelles l'Église reconnaît le mariage comme ayant vraiment valeur sacramentelle à ses yeux. Ceci en réaction contre la plaie des mariages clandestins, unions qui se faisaient et se défaisaient au gré des époux. C'est un avantage mais qui a ses inconvénients. Il a conduit à mettre l'accent sur l'aspect public, donc juridique, du mariage. Pour beaucoup de chrétiens, la seule réalité qui compte est le fait de "passer devant le curé". Seule la célébration est importante, alors qu'en réalité, l'important, c'est la vie commune affective. Dans sa réalité profonde, le mariage chrétien, inauguré en présence de la communauté, se célèbre à nouveau chaque jour dans l'acte de fidélité et de don réciproque des époux.

5 - A la source des difficultés actuelles.
Cette conception du mariage provoque, aujourd'hui encore, mais même depuis le Concile, de graves difficultés. Dans une société de plus en plus marquée par la valorisation de l'économie, donc peu soucieuse des personnes, on aboutit à la sacralisation d'un contrat social exclusif de toute véritable rencontre. Voir les "mariages de raison" qui, même s'ils se font rares de nos jours en Occident, existent encore dans maintes parties du monde. Le danger de l'identification du mariage et d'un contrat social est d'autant plus grand que le lien entre l'Église catholique et une société définie à priori comme chrétienne a socialement fait de la bénédiction nuptiale un point de passage obligé pour les baptisés, quelle que soit leur foi effective. On en arrive alors à un paradoxe : dans une société où beaucoup de chrétiens de nom ne sont plus toujours croyants, l'Église ne reconnaît la validité d'un mariage que s'il est sacramentel. Mais en même temps, elle doit rappeler que le sacrement ne prend valeur que par la foi.
C'est la source de nombre de difficultés actuelles. Les prêtres sont tiraillés entre une exigence légale qui les conduit normalement à bénir à l'église le mariage de tous les baptisés qui le demandent, alors que leur sens pastoral les pousse à ne conférer le sacrement qu'à ceux qui veulent réellement vivre leur union dans la perspective de la foi chrétienne. De leur côté, les chrétiens (de nom) méconnaissent souvent le sens véritable du sacrement : pour eux, le mariage, c'est simplement l'engagement formel pris à l'église.
Plus grave encore : le mariage tend à devenir un acte posé par des individus coupés de toute communauté chrétienne proposant un mode de vie qui trancherait sur celui du monde ambiant. Le couple ne dispose plus de l'environnement de cette nouvelle famille qu'entendait susciter le Christ : une Eglise qui pourrait permettre au couple d'insérer vraiment sa vie conjugale dans la perspective du Royaume de Dieu.

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