Après ces longs préambules, pendant les huit premiers mois de cette année consacrée au mariage, j'allais enfin en arriver à la théologie et vous parler du Sacrement de Mariage. Mais je me suis aperçu qu'il m'était impossible de parler du Sacrement sans avoir, au préalable, parlé de l'amour. Car, sans l'amour, le mariage n'est qu'un contrat, un marchandage, une bonne (ou une mauvaise) affaire. Je le sais bien - et nous en avons déjà parlé - longtemps il en fut ainsi : on se mariait (plus exactement : on mariait un garçon et une fille) pour perpétuer la lignée, ou pour accroître le patrimoine familial. Mais de nos jours, en Occident, lorsque je demande à un garçon et une fille pourquoi ils veulent se marier, ils me répondent, comme une évidence : "Parce qu'on s'aime !" Donc, dans la plupart des cas - et c'est tant mieux - amour et mariage vont ensemble.
Seulement voilà ! Qu'est-ce que l'amour ?
Avant de vous présenter le "Sacrement de l'Amour", il nous faut donc prendre le temps de bien préciser ce qu'on veut dire quand on parle d'aimer.
Notre langue française est (relativement) pauvre quand il s'agit d'exprimer cette réalité de l'amour : elle n'a qu'un seul mot - aimer- pour dire des réalités totalement différentes. "J'aime le jambon" et "j'aime ma femme", ce n'est pas l'expression du même sentiment. Par contre, la plupart des langues ont plusieurs mots pour désigner les diverses réalités. Les Anglais disent : "I like" pour le jambon et "I love" pour ma femme. De même, les Allemands disent "Ich habe gern" et "Ich liebe". Il parait que certaines langues ont jusqu'à vingt mots pour dire l'amour !
Par ailleurs, on met sous ce mot "aimer" (quand il s'agit d'aimer quelqu'un) quantité de sentiments totalement différents, voire opposés. Il y a l'amour conquérant qui prend, qui cherche à avoir, à posséder, et l'amour qui donne, qui se donne. Ce n'est pas la même chose, n'est-ce pas ! Et pourtant on emploie le même mot. Aussi, depuis toujours, on a chercher à distinguer, à classer les diverses manières d'aimer. Les Grecs, par exemple, employaient trois mots : Eros, pour désigner la sexualité, et d'une façon plus générale ce qui relève de l'instinct ; Agapè (que l'on traduit couramment par "charité"), c'est-à-dire un sentiment plus contrôlé, plus raisonné, qui relève de la volonté humaine ; et Philia, qu'on peut traduire par "Amitié".
Cette distinction nous permet déjà de mieux préciser ce qu'on veut dire quand on dit "je t'aime". Les philosophes chrétiens du Moyen-Age avaient une autre manière de décrire le sentiment amoureux. Ils distinguaient la concupiscence égoïste, la complaisance servile, la bienveillance limitée, la générosité fondée sur la reconnaissance et enfin l'altruisme absolu. Le théologien protestant Kierkegaard, quant à lui, pensait pouvoir décrire les divers stades de l'amour en parlant de l'amour "esthétique", puis "éthique", et enfin "métaphysique".
Distinguer pour unir. Je préfère personnellement, ces distinctions étant faites (et d'autres seraient possibles), faire appel à notre propre conscience individuelle. A la conscience que nous avons de nous-mêmes quand nous parlons d'aimer. Que se passe-t-il en nous ? La plupart du temps, naît en nous le désir. Je rencontre telle personne, je désire la connaître davantage, et pour cela, la fréquenter plus ou moins assidument. Comme je suis un être sexué, il y a en moi un désir plus ou moins fort dans cette rencontre, qui me prend tout entier, corps et âme. Un désir qu'il va me falloir orienter, maîtriser, domestiquer. Ainsi va le sentiment amoureux. Il naîtra - ou ne naîtra pas - de cette première rencontre. Ou alors, ce peut être le "coup de foudre", personnel ou réciproque. Coup de foudre ou lente fréquentation, parole échangée, parole donnée, désir de possession ou don de soi, une histoire à deux commence, qui avortera peut-être rapidement, ou qui se poursuivra longtemps ? Il faudrait être poète pour décrire valablement une expérience toujours unique et sans cesse renouvelée, qui fait de la rencontre de l'autre la source d'un bonheur et d'un désir "impatient de tout réinventer". Disant cela, j'ai bien le sentiment d'être pauvre dans mon expression, tant la réalité de l'amour que j'éprouve pour quelqu'un est bien au-delà des mots !
Qu'est-ce qu'aimer ? Saint Paul fait une bonne description de l'amour dans ce qu'on appelle communément "L'hymne à l'amour" (1 Corinthiens 13). Après avoir déclaré que j'aurais beau être le plus intelligent, le meilleur chrétien, le plus grand croyant, le plus généreux des hommes et le plus fraternel, s'il me manque l'amour, je ne suis rien (je suis une cloche !), Paul continue en présentant l'amour au quotidien. Celui qui aime est patient (et Dieu sait s'il faut de la patience pour vivre en couple !) ; il se met au service de l'autre (ce qui ne veut pas dire que le mari doit prendre sa femme pour la bonne, mais que le mari et la femme, tous deux, doivent se sentir réellement au service l'un de l'autre). Celui qui aime n'est pas jaloux, parce que son amour n'est pas possessif et que cet amour est basé sur une confiance totale et même aveugle. Bien plus, "il excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout." Saint Paul dit encore que l'amour au quotidien est celui qui pardonne - ce qui, nous le savons bien, n'est pas facile : tant de couples se déchirent parce qu'ils n'ont pas appris à pardonner ! Enfin, nous dit-il, l'amour nous apprend quotidiennement à être vrai et à être juste.
Je ne connais pas meilleure description de l'amour. Pour réussir à aimer de cette manière, il faut du temps. Il faut toute une vie. Mais cela en vaut la peine. Je vais maintenant vous dire pourquoi : c'est parce qu'un tel amour est signe de Dieu.
2 - LE SACREMENT DE L'AMOUR. Je reprends le vieux catéchisme de mon enfance. Je vous assure qu'il vaut bien des livres de théologie. Il était rédigé par questions et réponses. A la question : "Qu'est-ce qu'un sacrement ?" la réponse est : "Un sacrement est un signe sacré, institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour produire la grâce dans nos âmes et nous sanctifier."
Première remarque. Tout sacrement n'a valeur de signe que pour le croyant. Il est un signe sacré, c'est-à-dire un geste signifiant, un geste qui montre dans quelle direction il faut chercher l'intention de Dieu, et même la réalité de Dieu. Il faut d'abord que le geste soit signifiant. Il y a des gestes in-signifiants, c'est-à-dire qui ne veulent rien dire pour celui à qui ils s'adressent. Quelqu'un me fait un signe, de loin. Et je me demande ce qu'il veut me dire. Est-ce un geste amical ou un geste de rejet ? Je ne le sais pas immédiatement. Il va falloir qu'il joigne une parole à son geste pour que je le comprenne. Tout ceci pour vous dire qu'un signe, ce n'est pas n'importe quoi. Tout sacrement comporte un signe. L'eau pour le baptême, par exemple? On plonge le nouveau baptisé dans l'eau et tout le monde comprend que ce geste veut dire qu'on va laver, purifier le nouveau baptisé, en faire un être tout neuf. Mais l'eau a un autre symbolisme : l'eau c'est la vie. Plongé dans l'eau baptismale, je suis plongé dans la vie même de Dieu. Tout ce symbolisme ne dit rien à celui qui n'est pas croyant. Il ne devient parlant que dans la foi au Seigneur Jésus mort et ressuscité.
Deuxième remarque, concernant le "ministre" du sacrement, c'est-à-dire celui qui administre tel ou tel sacrement. Le prêtre (ou le diacre) est le ministre ordinaire du sacrement de baptême. Le prêtre seul est ministre de l'Eucharistie et de la Pénitence. L'évêque seul est ministre du sacrement de l'Ordre, qui consacre les prêtres. Et pour le mariage, savez-vous qui est le ministre du sacrement ? Eh bien, ce sont les mariés eux-mêmes. Le prêtre (ou le diacre) n'est là que comme témoin. Mais ce sont les mariés qui se donnent le sacrement de mariage.
Ils se donnent le sacrement, c'est-à-dire qu'ils se donnent un signe ( ils se font un signe), un geste qui veut dire quelque chose, dans la mesure où ils sont croyants (car les sacrements sont toujours conditionnés par la foi de ceux qui les reçoivent). Quel signe ? Essentiellement leur amour, comme signe de Dieu-Amour.
Amour exprimé, au jour du mariage, par une parole publique : "Je te reçois comme époux (épouse) et je me donne à toi pour t'aimer fidèlement tous les jours de notre vie." Amour qui s'exprime ensuite, tous les jours, non seulement par des "je t'aime" fréquents (nécessaires, mais pas suffisants), et surtout par tous les gestes de l'amour au quotidien que décrit saint Paul, et par bien d'autres gestes, car l'amour vrai est inventif. Car le sacrement de mariage n'est pas le rite d'un jour, mais la réalité sans cesse renouvelée d'un amour signifiant, à longueur de vie.
Pour le croyant, tout geste d'amour est signifiant : il dit Dieu. Aussi bien dans la relation sexuelle que dans un calin qu'on fait à sa femme ou dans le fait de laver la vaisselle quand elle est fatiguée. Et naturellement plus encore lorsqu'on est amené par les aléas de la vie à se pardonner ou à se demander pardon.
Veux-tu savoir qui est Dieu ? Apprends à aimer.
(à suivre, le mois prochain)