THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2013 :
MARIE
10e séquence : L'ASSOMPTION
(OCTOBRE 2013)
C'est en 1950 que le pape Pie XII, par la constitution apostolique Munificentissimus Deus, devait définir un deuxième dogme marial spécifiquement catholique, celui de l'Assomption, selon lequel Marie, à la fin de son existence terrestre, a été élevée corps et âme dans la gloire divine. Je vous déjà parlé de la fête de la "Dormition". Il nous faut maintenant y revenir en détail.
I - L'AFFIRMATION TRADITIONNELLE
1 Le silence des premiers siècles.
Il nous faut d'abord remarquer le silence total du Nouveau Testament et des Pères de l'Église au sujet de la fin de l'existence terrestre de Marie. Épiphane de Salamine écrit : "Si certains estiment que nous faisons fausse route, qu'ils suivent eux-mêmes les traces des Écritures. Ils n'y trouveront rien sur la mort de Marie, ni si elle est morte, ni si elle n'est pas morte ; ni si elle a été ensevelie, ni si elle ne l'a pas été."
2 - L'explosion des traditions apocryphes (les "transitus Mariae")
C'est à partir du Ve siècle que fait son apparition un genre littéraire nouveau dans la littérature apocryphe : celui de la Dormition ou du Transitus Mariae (le "passage" de Marie). On trouve trois types de textes :
* La Dormition sans Assomption. (Tradition essentiellement syrienne). Il y est rapporté que Marie se rend régulièrement au tombeau de Jésus pour y prier ; l'ange Gabriel lui annonce sa mort prochaine ; les apôtres arrivent tous, miraculeusement, par la voie des airs ; les juifs projettent diverses violences ; apparition de Jésus qui emporte l'âme de sa mère ; inhumation du corps de Marie dans un tombeau neuf à Gethsémani, "et voici qu'un parfum délicat se dégagea du saint tombeau de notre Maîtresse, la Mère de Dieu, et pendant trois jours on entendit des voix d'anges invisibles qui glorifiaient le Christ, notre Dieu, né d'elle ; et, le troisième jour achevé, on n'entendit plus les voix. Dès lors, nous sûmes tous que son corps irréprochable et précieux avait été transféré au paradis."
* L'Assomption distincte de la Dormition. (Tradition essentiellement copte) Ici il y a bien résurrection de Marie avant son enlèvement par Jésus sur un char de lumière. Je cite : "Le miracle qui eut lieu ce jour-là, où la Vierge est ressuscitée des morts, est plus grand que celui où le Seigneur est ressuscité des morts. Le jours où le Seigneur est ressuscité des morts, nous ne l'avons pas vu, mais seulement Marie sa mère et Marie la Madeleine. Ce sont elles à qui il est apparu. Mais nous, nous ne l'avons pas vu avant que nous soyons arrivés en Galilée où nous l'avons trouvé. Elle, quand elle est ressuscitée des morts, nous avons vu des éclairs et nous avons entendu des trompettes, nous avons vu." Notez également qu'on parle d'une apparition de Jésus ressuscité à sa mère, au matin de Pâques.
* L'Assomption avec ou sans résurrection. On a un texte intitulé Panégyrique pour la fête de l'Assomption de la sainte Mère de Dieu, texte qui date de la fin du VIe siècle, qui emploie le mot "assomption " et non pas "dormition", où c'est le mode de l'enlèvement qui diffère : "Aussi le corps sans tache de la très-sainte et son âme aimée de Dieu et pure furent-ils élevés au ciel, escortés par les anges." Mais le scénario n'interdit pas le trépas de Marie. C'est donc un corps mort qui monte au ciel en même temps que l'âme, sans que l'on puisse savoir à quel moment s'opère leur réunion. La mention de l'absence de corruption du cadavre peut constituer un indice ténu en faveur de l'assomption sans résurrection. En somme, c'est sur l'élément final que les récits divergent : endormissement dans la mort et transfert du corps au paradis ; ensevelissement du corps et, après un délai, son enlèvement au paradis où il se réunit avec l'âme ; Assomption simultanée de l'âme et du corps.
Quoi qu'il en soit, les divergences portant sur l'élément final laisseront des traces, tant dans les liturgies d'Orient et d'Occident que dans les débats doctrinaux du Moyen Âge latin. Un quatrième scénario apparaîtra d'ailleurs ça et là : celui d'une Assomption directe de Marie vivante, élevée au ciel corps et âme, sans aucun passage par la mort.
II - LA DEFINITION DE 1950
Vous pouvez lire le texte in extenso de la Constitution apostolique Munificentissimus Deus en ouvrant ce texte sur Google (où l'on trouve tout). Quant à nous, nous nous contenterons d'en faire un petit commentaire.
Le préambule.
Ce préambule a des accents légèrement dramatiques lorsqu'il évoque le contexte historique de l'époque de sa rédaction (athéisme; communisme athée)
Les pétitions
Mention est faite du dogme de l'infaillibilité pontificale (1970) sur lequel s'appuie le droit à définir solennellement ce dogme nouveau. S'y ajoutent les pétitions du peuple chrétien, la consultation des évêques, à l'appui de la décision papale. C'est d'ailleurs bien le consensus des fidèles qui constitue la preuve que le dogme de l'Assomption est contenu dans le dépôt de la foi chrétienne.
L'aspect liturgique
La création de la fête liturgique remonte effectivement aux VII et VIIIe siècles. On évite, bien sûr, de mentionner que tout cela puise son origine dans ces traditions de la littérature apocryphe (hérétique) des premiers siècles. . De même, toutes les divergences entre les divers scénarios s'effacent : tout se trouve ramené à l'attestation de l'Assomption, sans détails superflus. Mais il nous faut remarquer que cette fois on mentionne les livres liturgiques par leur titre, et les auteurs ecclésiastiques par leur nom.
L'aspect théologique
C'est un argument de convenance qui commande toute cette partie de la Constitutions apostolique : celui du lien intime, impossible à défaire, entre Jésus et sa mère. Alors que dans les évangiles on note quelques divergences entre le fils et la mère; voire même des relations conflictuelles, la tradition catholique a toujours présenté la relation entre Jésus et Marie comme harmonieuse. Elle privilégie notamment à ce propos l'image conjugale, de sorte que la mère et le fils apparaissent plutôt comme un couple formé de la nouvelle Eve et du nouvel Adam, ou même les deux amants de Cantique des cantiques.
C'est bien ce qui ressort des diverses citations du textes officiel. Ici également, le texte donne des références précises, même s'il se plaît à reprendre les désignations quelque peu sibyllines de leurs auteurs : qui sait, par exemple, que le "Docteur évangélique", c'est saint Antoine de Padoue, le "Docteur universel", Albert le Grand, le "Docteur angélique", saint Thomas d'Aquin, et le "Docteur séraphique", saint Bonaventure ?
Sous la plume de ces éminents théologiens, les références bibliques ne visent qu'à appuyer l'argument de convenance que je viens d'indiquer. Le texte même de la Constitution prend soin de noter que c'est avec "une certaine liberté dans l'interprétation" qu'il faut lire ces textes bibliques cités : tous n'ont qu'un très lointain rapport avec l'Assomption de Marie. Lisez, si vous le voulez, Luc 1.28, Apocalypse 12.1, Cantique des cantiques 3.6, ou le psaume 131.8
Points d'appui scripturaires
La Constitution semble annoncer des points d'appui scripturaires plus solides. A vrai dire, ils illustrent surtout le lien indissoluble entre Jésus et Marie, liens d'un fils à sa mère (avec une allusion à Exode 20.12, mais aussi lien conjugal : Marie comme nouvelle Eve.) L'utilisation de 1 Corinthiens 15.54 suggère, quant à elle que le sort de Marie est l'anticipation du sort de tous les croyants.
La définition elle-même
Elle précise que la Vierge Marie " a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste." Certains ont souligné le vague de la formule : faut-il comprendre que Marie est passée par la mort biologique ? Il faudra attendre une déclaration récente de Jean-Paul II qui, l'affirme. En fait, le texte lui-même de la Constitution apostolique est suffisamment explicite sur la question. C'est bien le "troisième schéma" des textes apocryphes qui est privilégié : celui de l'Assomption, et plus précisément de l'Assomption avec résurrection. Mais l'intention du texte pontifical n'est pas de préciser un événement historique, mais bien plutôt son aspect dogmatique :celui de la glorification anticipée du corps de Marie.
(la suite, début novembre)