LETTRE A MIREILLE

MARS 2017


Jeudi 30 mars 2017

Mireille,

 Croyez-moi : j'ai une profonde admiration et un grand respect pour les historiens. Tout au moins pour les historiens sérieux, ce qui n'est pas toujours le cas. Mardi soir, comme presque tous les soirs, je me suis installé dans mon fauteuil, avec le sentiment du devoir accompli après ma journée de travail. J'ai cherché pour savoir si, par hasard, il y avait un programme intéressant à la télé. Ah tiens, sur une chaine, on nous proposait, à des heures honnêtes et pour un temps raisonnable, "Les mystères de la Bible - La crucifixion - la véritable histoire de Marie-Madeleine." Allons-y pour Marie-Madeleine !

 

Hélas ! Les vénérables professeurs d'université anglo-saxons, sous couvert de recherches récentes et de découvertes sensationnelles, nous ont raconté tout un roman plein de révélations, toutes plus extraordinaires les unes que les autres, sur cette sympathique Marie de Magdala. Une fois de plus, ils en ont fait la bien-aimée de Jésus ; et ils ont insisté sur la rivalité qui a existé entre elle et Pierre ; elle, à qui Jésus confiait ses secrets, et Pierre qui tenait à construire une Eglise dominée par le sexe masculin, reléguant les femmes à un rôle subordonné, etc. etc. Si bien que - en conclusion - l'Eglise catholique romaine, Eglise dominée par la gent masculine (comme chacun sait) est une déviation humaine de la véritable Eglise, celle de Marie Madeleine, qu'on a réduit complètement au silence, etc. etc.

 

Je me suis passablement irrité en écoutant ce fatras d'affirmations aussi péremptoires qu'infondées. Puis, après une nuit de sommeil réparateur, j'en ai tiré deux conclusions. La première, c'est que la tentation la plus forte de tout historien doit être celle de romancer les faits et d'instaurer de pures suppositions comme des faits établis et scientifiquement vérifiés. Deuxième conclusion : il est urgent d'armer les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté d'une véritable formation à l'esprit critique, notamment grâce à une solide culture religieuse, libérée de tous préjugés.

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Lundi 27 mars 2017

Mireille,

Il y a quelques jours, nous évoquions avec quelques amis, nos années de jeunesse. Le couple qui nous recevait a presque mon âge.  Or il y avait là l'un de leurs petits-fils qui m'a posé cette question : "Mais pourquoi vous vous êtes fait prêtre ?" Et j'ai été bien embarrassé pour lui répondre.

Bien sûr, cette question, on me l'a posée cent fois. C'était plus facile d'y répondre autrefois. Mais depuis une bonne vingtaine d'années, j'ai l'impression d'une sorte d'incommunicabilité qui s'instaure entre mes jeunes interlocuteurs et moi. Autrefois, je parlais de réponse à un appel, j'osais dire vocation, générosité, don de soi. Toutes ces valeurs étaient parfaitement intelligibles et admises comme allant de soi par les gens de ma génération. Aujourd'hui, j'ai l'impression que cela paraît terriblement démodé, voire inacceptable. En tout cas, l'autre jour, je sentais presque physiquement que mes explications demeuraient incompréhensibles pour mon jeune interlocuteur.

Notre génération a grandi dans le respect de nos pères qui venaient de terminer la première guerre mondiale. Même s'ils étaient personnellement discrets, les journaux, les revues, les livres exaltaient leurs exploits. Qui de nous n'a pas vibré au souvenir de ces premiers as de l'aviation naissante, qui se conduisaient face à l'ennemi en parfaits "chevaliers du ciel" ! On rêvait de les imiter un jour. On osait parler d'héroïsme. Bergson vantait "l'appel du héros et du saint". Nous étions portés dans un tel climat que la générosité, l'esprit de sacrifice et le don de soi paraissaient naturels à toute âme bien née !

Il m'est arrivé de dire, par manière de boutade, que je me sentais parfois, aujourd'hui, un vrai dinosaure. Et je pensais de nouveau à cela en regardant à la télé une rétrospective présentant les visages des "vétérans" du débarquement de 1944. Pourquoi y a-t-il eu tant de volontaires pour venir libérer un continent dont ils savaient peu de chose ; et lutter contre une idéologie dont ils ignoraient les forfaits monstrueux dans leurs détails concrets ? On leur eût parlé alors d'héroïsme, ils auraient trouvé cela bien grandiloquent, sans doute. Par contre, on pouvait leur parler de "devoir" : çà, ils connaissent. Pour eux, tout cela était bien naturel.

Nous sommes de la même génération et nous avons été portés par le même appel. "De nos jours, serions-nous aussi courageux", se demandait un homme politique à la fin de cette rétrospective . Je le souhaite.

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Jeudi 23 mars 2017

Mireille,

Eprouvez-vous parfois cette impression de déjà-vu, ou de déja-entendu ? Une personne vous fait une remarque, et d'un seul coup, vous êtes reporté par-delà le temps, dans le même environnement, où l'on vous a fait la même remarque. J'ai eu soudain cette impression très forte, en lisant l'article d'un hebdomadaire consacré aux préparatifs de guerre d'une de ces nations belliqueuses qui empoisnnent actuellement notre humanité. D'un seul coup je me suis retrouvé en 1939, en train de lire dans un hebdomadaire de l'époque une chronique bien documentée sur la guerre franco-allemande imminente. Même type d'information, même luxe de détails, même série de slogans. Pour schématiser : "Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts" : que de milliers d'affiches de ce type n'ont-elles pas été collées dans les mois précédant la deuxième guerre mondiale !

Cette année-là, nous avions un prof' de géographie qui traitait - je crois bien que le programme n'a pas changé depuis - "les grandes puissances économiques". Il nous a démontré péremptoirement qu'il était impossible que l'Allemagne gagne la guerre, faute de matières premières, et notamment de pétrole. Je l'ai cru, comme j'ai cru tout ce que nous expliquaient en détail les hebdomadaires sur la conduite d'une guerre qu'on annonçait gagnée d'avance. N'avions-nous pas l'incontournable ligne Maginot ? Etais-je naïf ? Le premier jour de la débacle, notre convoi de fuyards a croisé un char allemand avec sur le capot un drapeau à croix gammée, et nous avons pensé que c'était un char que nos braves soldats venaient de faire prisonnier ! Non. Simplement, l'armée allemande avait quelques heures d'avance sur nous.

Depuis, j'ai appris à me méfier et à douter : tant d'informations supposées fiables ne sont que de pure propagande. Aussi, quand je lis une information soi-disant puisée aux meilleures sources, annonçant quelque part une guerre "fraîche et joyeuse" comme une partie de campagne, franchement, j'ai peur !

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Lundi 20 mars 2017


Mireille,

On nous copie ! "On", ce sont des chinois, et quand j'écris "nous", il s'agit des catholiques. On aura tout vu ! Une revue m'apprenait récemment que depuis le 1er janvier s'est ouvert à Shanghai une simili-chapelle catholique avec faux curé, où des vrais couples branchés viennent faire célébrer leur "mariage". Villa d'Roma est un joyau de contrefaçon ecclésiale : façade d'église, clocher, coupole même. Et à l'intérieur, les bancs de chaque côté de l'allée, un choeur avec un autel, une croix, des vitraux représentant des anges. Et le faux curé est un étudiant américain devenu journaliste recruté sur petites annonces. C'est une affaire qui marche : dès le premier mois, quarante inscrits ; on en espère 200 cette année et 300 l'an prochain. Selon la solennité de la cérémonie, il en coûte de 730 à 1200 euros pour ce pseudo-mariage religieux.

Qu'est-ce qui pousse les jeunes chinois à demander de telles cérémonies ? Le faux curé répond que "les jeunes d'aujourd'hui réclament de la solennité et de la passion pour un tel tournant dans leur vie." Un professeur de sociologie de l'université de Canton déclare, quant à lui, que "maintenant que les besoins matériels sont satisfaits avec le développement économique, les gens aspirent à une croyance... Les jeunes recherchent la confiance réciproque. La solidité de la relation et le caractère sacré du mariage chrétien répondent à cette quête." Bel hommage rendu aux jeunes chrétiens qui, aujourd'hui encore, croient au caractère sacré de leur engagement.

Naturellement, le bureau des affaires religieuses de Shanghai est intervenu. Les signes religieux ont été effacés: la croix a été remplacée par un symbole bizarre : deux croissants de lune adossés l'un à l'autre, et sur les vitraux les anges ont cédé la place à des colombes de la paix. Quant au faux curé, interdiction lui a été signifiée de prononcer le nom de Dieu, mais il a le droit de parler des "coeurs en joie", des "fleurs de l'amour, merveilles du monde". Bref, une véritable laïcisation de l'endroit et de la cérémonie. Et pourtant, la "chapelle" respire encore assez le sacré pour attirer les clients. Et l'on s'y presse. Même s'il ne s'agit que d'un simulacre de mariage chrétien. Notez bien que cette mode n'est pas propre à la Chine : elle vient du Japon où il est du dernier chic de se marier ainsi, dans une simili-chapelle, selon des rites copiés sur le rituel catholique, avec un faux curé. Mais au Japon, il y a, paraît-il, de vrais anges sur les vitraux.

Et pendant ce temps-là, chez nous, combien de jeunes qui boudent le mariage et son "caractère sacré" !

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Jeudi 16 mars 2017

Mireille,

Décidément, nos amis journalistes continuent à faire de la morale. Avant-hier, ils prêchaient l'humilité ; hier, ils récidivaient en vantant la prudence. Si ça continue, toutes les vertus cardinales y passeront. C'est à craindre qu'ils n'en viennent à usurper les missions spécifiques des prêtres et autres prédicateurs !

Donc, hier, c'était pour commenter les propos d'un homme politique qu'ils vantaient sa prudence. Etait-ce, dans leur bouche, louange ou critique ? Les deux sans doute, selon l'humeur ou les opinions de chacun. Car si la "prudence est mère de sûreté", l'expression "prudence des serpents" est plus péjorative, même si Jésus recommande de posséder, en même temps que la prudence des serpents, la simplicité de la colombe.

Prudence ! Le mot grec signifie initialement sagesse, intelligence, raison. Par son étymologie latine, il est cousin de prévoyance, de providence, de provision ; chaque fois, il s'agit de "voir plus loin que le bout de son nez". C'est donc une vertu bien utile. Pas étonnant que le philosophe Aristote l'ait définie comme "la vertu de la raison pratique dirigeant tous nos actes conformément à la vérité". Saint Thomas va faire de cette qualité purement humaine une des quatre vertus "cardinales", c'est-à-dire essentielles, qui sont, avec la prudence, la justice, le courage et la tempérance.

L'une de mes aimables correspondantes m'écrivait un jour de grand froid en me recommandant d'être prudent si je sors en auto, car, me dit-elle, les routes sont très mauvaises ces jours-ci. J'au tenu compte de son conseil, en me rappelant qu'être prudent quand on conduit son auto, ce n'est pas nécessairement rouler lentement, mais savoir anticiper, et donc - toujours l'étymologie - être prévoyant. Quant à notre homme politique, il a mille bonnes raisons d'être prudent, s'agissant du dossier des retraites où tant de ses prédécesseurs sont allés au fossé, à moins qu'ils aient préféré ne pas prendre de risques en laissant au garage, en l'occurrence, le char de l'Etat.

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Lundi 13 mars 2017

Mireille,

C'est un vieil ami qui était de passage dans la région et qui a tenu à venir passer un moment chez moi, il y a quelques jours. Avez-vous remarqué qu'avec certains, la conversation s'établit sans préambules, même si on ne s'est pas rencontré depuis des années, alors qu'avec d'autres, il faut "tourner autour du pot" (comme disait ma grand-mère) pendant des heures, avant d'aborder une discussion sérieuse ?

Avec Marcel, il ne fut pas besoin de longs préambules pour que notre conversation soit un peu comme si on reprenait le fil d'un vieux débat là où précisément où on en était resté la veille. Il s'agissait de l'avenir de l'Eglise. Vaste sujet, vous vous en doutez ! Mon vieil ami est très engagé dans sa paroisse, une paroisse de ville ; et depuis qu'il est en retraite, il consacre une grande partie de son temps aux multiples services qu'il assume. Il est devenu l'ami des prêtres de cette paroisse, et il en dit le plus grand bien. "Alors, lui dis-je, ça baigne ! "

Et voilà qu'il me rétorque : "Eh bien non, ça ne baigne pas, (comme tu dis !) Bien sûr, si on ne juge que sur l'apparence, on a la chance d'avoir une paroisse dynamique, des prêtres dévoués, quantité de laïcs engagés. D'un point de vue purement humain, on se dit que ce n'est pas si mal que çà. Beaucoup de monde à la messe, de beaux offices, une chorale efficace... Il y a même des servants, ce qui est une denrée rare de nos jours, n'est-ce pas. Et pourtant ! A y regarder d'un peu plus près, je me pose quantité de questions. Et d'abord, qu'est-ce que ça représente, l'Eglise, dans une ville comme la nôtre ? On ne rencontre plus de jeunes, il y a belle lurette que l'aumônerie des lycées a été réduite à sa plus simple expression ; quant aux jeunes couples, on les remarque dans nos assemblées, tellement ils sont rares ! Ne crois-tu pas que notre Eglise est une Eglise de vieux ?"

Une Eglise de vieux ? Pour un regard superficiel, c'est certain. Et chacun de se lamenter sur le vieillissement de nos communautés paroissiales, sur la charge des services divers qui repose particulièrement sur les aînés, sur les nombreuses grand-mères d'un âge certain qui continuent de faire le caté, faute de jeunes mamans pour prendre la relève... Il y a des années que j'entends ce refrain. Mais je me demande si notre regard sur la situation n'est pas un regard légèrement étroit, hexagonal, pour ne pas dire régional. On peut également porter le même regard en-dehors des réalités d'Eglise. Les doléances de mon ami recoupaient les doléances de cet homme de plus de 65 ans, rencontré l'autre jour, qui continue à son âge à tenir à bout de bras un club de foot ; et les doléances de tant de responsables d'associations diverses, qui attendent désespérément la relève ! Voir le nombre de communes où il est actuellement difficile de constituer des listes et de trouver de jeunes conseillers municipaux. Lee jeunes couples cesseront-ils un jour de "cocooner" ?

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Jeudi 9 mars 2017

Mireille,

Elle a connu bien des malheurs, cette brave sexagénaire que j'ai rencontrée un jour. Sachant que j'étais prêtre, elle m'a abordé à la sortie du magasin, s'est présentée, et m'a demandé de l'entendre. Ce que j'ai accepté bien volontiers. Effectivement, elle avait besoin de raconter un peu sa vie. Elle n'avait sans doute pas trouvé dans son entourage "une oreille qui écoute" suffisamment attentive. Bref, une fois de plus, j'ai été ému d'entendre le récit d'une vie, avec ses joies, certes, mais aussi avec ses peines. Un mari décédé prématurément, des enfants qui vivent loin d'ici, et qui ne se soucient pas tellement de leur maman. "Vous comprenez, m'a-t-elle dit comme pour les excuser, ils ont leur vie, leur famille, leurs propres soucis." Bref, la solitude, jusqu'à ce qu'un jour elle rencontre le compagnon idéal pour une nouvelle existence. Hélas, le "compagnon idéal" s'est révélé, à l'usage, un compagnon frivole, égoïste et profiteur. Et un jour, il est parti.

Depuis, elle attend. Elle l'attend, lui, espérant qu'il reviendra. Elle est prête à lui pardonner, à tout effacer, à recommencer. Et en attendant, elle consulte les voyantes. C'est d'ailleurs pour avoir mon avis, je pense, qu'elle a demandé à me rencontrer. Eh oui, elle dépense des sommes folles en téléphone. Elle m'a expliqué : on fait un numéro (vous savez, les fameux 08..., à tant de centimes d'euros la minute), et on attend son tour. En attendant, on écoute les demandes de ceux et celles qui vous précèdent. Puis, quand vient votre tour, vous posez vos questions et le ou la voyante vous dit votre avenir. Ma brave dame demande toujours la même chose : si elle peut espérer qu'il reviendra, et quand. Les réponses varient selon les jours, entretenant l'espoir. L'espoir d'un avenir heureux. L'espoir fait vivre, m'a-t-elle dit, comme pour s'excuser de ce qu'elle-même, qui est une femme intelligente, m'a-t-il semblé, considère comme une bêtise. Mais c'est plus fort qu'elle, a-t-elle précisé !

J'ai expliqué le plus simplement possible pourquoi je n'y croyais pas. Même pas en raison de ma foi chrétienne, mais simplement parce que je sais que personne ne peut dire ce que sera demain. Et d'ailleurs, c'est ce qui fait l'intérêt de la vie, cet imprévu quotidien. J'ai essayé d'expliquer. Et voilà qu'en dernier argument, elle m'a dit : "Mais, le jour de l'Epiphanie, le prêtre a dit que les Mages étaient des astrologues, des diseurs de bonne aventure, Et pourtant, c'est leur science qui les a mené à Bethléem !"
Interloqué, je n'ai pu que lui répondre : "Tous les chemins mènent à... Jésus".

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Lundi 6 mars 2017

Mireille,

Que de messages me sont parvenus, me souhaitant mille félicités à l'occasion de mon anniversaire ! Parmi eux, quelques lignes d'Anne. Quel plaisir ! Anne, je l'ai connue petite fille, mais d'elle je n'avais pas de nouvelles depuis des années. Elle est maintenant mariée, heureuse épouse et heureuse maman de deux petits, un garçon et une fille. Elle me l'écrit, à propos de sa "joie de vivre, dit-elle. C'est vrai que je suis heureuse. C'est mon mariage qui me rend heureuse. Il y a des mariages heureux; il faut que cela se sache ! J'ai mon lot de tracas et de soucis, bien-sûr; mais je suis en bonne santé et aimée. Que demander de plus."

Il faut que cela se sache, qu'il y a des mariages heureux. La remarque d'Anne m'a fait réfléchir. C'est vrai qu'on porte davantage attention à ce qui ne marche pas, à ce qui rate, à ce qui est source de malheur, qu'au simple bonheur quotidien. Souvent, quand on me dit : "Rendez-vous compte, il y a 35% de couples qui divorcent", je réponds : "Rendez-vous compte : il y a donc 65% des couples qui marchent !"

"Les peuples heureux n'ont pas d'histoire", dit le proverbe. C'est faux. Ils ont une histoire, mais qui n'intéresse pas les mauvais historiens toujours en quête de sensationnel. L'histoire des peuples heureux, elle intéresse les vrais historiens. C'est plus ingrat, et ça ne fait pas vendre beaucoup de bouquins, mais c'est important. Il en est de même pour les couples. "Les couples heureux n'ont pas d'histoire", diront les gens superficiels. Et c'est vrai qu'avec leur histoire, on ne fera jamais des romans aussi célèbres que Madame Bovary. Mais sous le regard de Dieu et sous le regard des hommes attentifs, leur histoire est infiniment plus riche et plus belle. C'est une histoire sacrée. "Il faut que cela se sache !".

Voilà, Anne, c'est fait.

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Jeudi 2 mars 2017

Mireille,

La sclérose nous guette tous. Pas nécessairement le durcissement de tel ou tel organe de notre corps (du moins je l'espère). Mais cet état d'esprit de celui qui ne sait plus évoluer, qui a perdu toute souplesse, qui reste figé dans ses manières de faire, ses modes d'agir, ses idées fixes. Avec l'âge, sclérose du coeur et de l'esprit, comme sclérose de nos tissus, risquent de nous paralyser et de nous faire mourir.

Je me disais cela l'autre jour, en rentrant d'un repas sympathique auquel j'étais convié, avec un couple ami, chez de nouveaux retraités, qui sont en train de bien amorcer leur passage à une retraite active. Ils viennent de prendre, depuis trois mois environ, une responsabilité de bénévoles dans une importante association caritative de la région. Est-ce l'enthousiasme des néophytes, le désir de bien faire ou le regard critique du nouvel arrivant qui, de l'extérieur, peut mieux se rendre compte des déficiences du système ? Toujours est-il qu'ils ont entrepris, dans le secteur de l'association qui leur est confié, de rationaliser l'organisation, pour qu'elle soit plus facile à gérer et plus efficace, dans l'intérêt des bénévoles et au service des "assistés", si nombreux de nos jours.

Oui, mais voilà ! Immédiatement, les plus anciens se sont élevés contre une telle rationalisation, sous prétexte que "ce n'est pas nécessaire", qu'on a toujours fait autrement, que ça marchait bien avant, qu'on ne voit pas pourquoi il faudrait tout bouleverser, bref, préférant le statu quo médiocre et le ronron habituel à un rangement qui leur apparait comme un réel dérangement de leurs traditionnelles habitudes. Les deux couples avec qui je déjeunais - l'autre couple connaît très bien la situation - me disaient combien il est difficile de modifier quoi que ce soit, tant les habitudes prises au fil des ans sont devenues des manies mortelles, et tant, avec l'âge, la susceptibilité des personnes qu'on veut simplement aider se fait grande.

"Ca s'est toujours fait" ! Que de fois cette réflexion n'a-t-elle pas été le prétexte avancé pour que rien ne bouge, pour que chacun s'endorme sur ses acquis. Et surtout qu'on ne dérange rien ! Ils oublient simplement que la sclérose - du corps, du coeur ou de l'esprit - c'est la mort.

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