Colmar : Retable d'Issenheim1ère séquence : Inter-rogation (Janvier 2004) Pourquoi ce titre : "Inter-rogation" ? Simplement pour définir mon projet.
Cette série de 12 séquences vient à la suite d'autres séries :
en 2000 : l'Eucharistie
en 2001 : le Baptême
en 2002 : Le Mariage
en 2003 : l'Incarnation(vous trouverez toutes ces séries aux archives)
Chaque année, j'ai travaillé ces questions. Sans doute, dans mon inconscient, c'était pour remédier aux connaissances lacunaires issues de mes années de séminaire, pendant la guerre. Certainement, également, parce que je sentais bien que des présentations trop scolaires ne répondaient pas aux interrogations de nos contemporains. En ce sens, nous sommes tous des "nuls", n'est-ce pas ? Je passe donc mon temps à refaire de la "théologie". Ce qui m'amène à ne pas me contenter de réponses toutes-faites.
Donc, cette année, j'ai formé le projet de travailler pour vous le thème central du "Mystère de la Rédemption." Avec la Trinité (qu'il nous faudra bien étudier un jour) et l'Incarnation, que j'ai commençé à décortiquer l'an dernier, c'est un des piliers de notre foi chrétienne. On déclare dans le Credo : "Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel." Qu'est-ce que cela veut dire ? Un tas de formules qu'on répète inlassablement sans trop penser à ce qu'elles signifient. Pour n'en citer que quelques-unes, voici :
Jésus est le Sauveur de l'humanité.
Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
Jésus est mort pour nos péchés.
Par sa mort, il a réconcilié le monde avec Dieu
Jésus est la parole qui sauve le monde
"Mon sang qui sera versé pour la multitude en rémission des péchés."
Un sauveur nous est né
etc.Souvent même je sursaute, quand je trouve des affirmations qui me choquent. Ainsi, par exemple, cette phrase du "Minuit, chrétiens", entendue l'autre jour à la radio : "C'est l'heure solennelle où l'homme-Dieu descendit parmi nous pour effacer la tache originelle et de son Père apaiser le courroux." Vous me direz que ce n'est pas de la théologie, d'accord. Mais c'est le reflet de tout un courant de pensée théologique que je ne peux accepter. Et même le mot "rédemption" et son doublet populaire "rançon". Qu'est-ce que cela veut dire, que le Christ s'est offert "en rançon" pour "racheter" nos péchés ? De quelle dette s'agit-il ?
Ainsi commencent mes interrogations. Elles vont nous permettre (du moins je le crois) de préciser le contenu de notre foi et d'y trouver un sens pour notre vie personnelle. Voici donc quelques-une de ces interrogations :
* "Christ est sauveur." Qu'est-ce que cela veut dire ? Pourquoi fallait-il un sauveur ?
* Avons-nous besoin d'être sauvés ? Chacun de nous personnellement ? Et l'humanité, collectivement ?
* Etre sauvés ? De quoi ?
* Le Christ est venu il y a 2000 ans "pour nous sauver" : qu'est-ce que sa mort a changé ?
* Je suis pécheur, je le reconnais. Mais n'y a-t-il pas disproportion entre mon (petit) péché et la mort horrible du Christ ?
* Péché personnel ou "péché du monde" ?
* "J'étais pécheur dès le ventre de ma mère", dit le psaume 50. Où est ma faute ?
* Dans un monde cassé, le monde où nous vivons, qui est responsable ?
* Un Dieu bon peut-il tolérer le désordre qui règne ? N'en est-il pas responsable ?
* Quel rapport entre "salut" et la mort violente d'une victime offerte en sacrifice sur une croix ?
* Que signifie le personnage de Satan ?
Inter-rogations. Les miennes, et aussi les vôtres. C'est pourquoi je mets ce tiret entre "inter" et "rogations". Selon ma vieille manie, j'ai recours à l'étymologie, que je crois être indispensable à chacun. A la racine, il y a donc "rogations". Les plus anciens se souviennent des processions des Rogations, les trois jours qui précédaient l'Ascension : dans une civilisation rurale, on parcourait la campagne en priant pour que Dieu nous accorde des saisons favorables. (Aujourd'hui, "il n'y a plus de saisons", comme disent les gens, n'est-ce pas !) Rogare, en latin, c'est un verbe qui signifie questionner, solliciter, demander. Inter-roger, c'est littéralement demander de l'un à l'autre. Eh bien, c'est ce que je fais aujourd'hui.
Si vous le voulez bien, nous allons faire une recherche "interactive", en ce sens que chacun peut y participer. J'ai commencé : à vous d'intervenir maintenant sur le sujet. Pour cela il suffit de m'adresser vos réflexions personnelles à mon adresse électronique : Leon.Paillot@wanadoo.fr
Une seule condition : pas de "langue de bois".
Après ce long préambule, je vous livre une petite introduction, pour bien centrer le sujet :
L'homme révolté. C'est Guy Béart qui chante : "Le prophète a dit la vérité : il doit être exécuté." Dans cette chanson, il fait allusion, bien sûr à Jésus qui monte au Golgotha, mais il élargit son propos à tous ceux qui sont "morts pour des idées". Ils sont nombreux, les "prophètes" de tous les temps, jusqu'à, de nos jours, Martin Luther King, Che Guevara, Mgr Romero ou Ghandi, pour ne citer que les plus connus. De telles morts, peut-on ajouter, "sauvent" l'homme. C'est beau d'aller ainsi jusqu'au bout d'une exigence de justice. Ces "témoins" sont des exemples.
Seulement, la foi chrétienne nous dit autre chose. Parlant de Jésus, elle affirme que "le salut ne se trouve en aucun autre, car il n'est sous le ciel aucun autre nom (...) qui doive nous sauver". C'est ce que déclare Pierre lorsqu'il comparait devant le grand Conseil Juif (Actes 4, 12). Ce qui veut dire qu'il y a quelque chose qui ne s'est passé qu'une seule fois et qui est la source du salut pour toute l'humanité. Vous vous rendez compte ! Certes, le nom "Jésus" signifie "Dieu sauve", mais beaucoup ont porté ce nom. Pourquoi donc peut-on dire que Jésus est le sauveur de tous les hommes ? Et pourquoi fallait-il cette exécution capitale au terme d'un procès truqué ? Nous voilà avec notre question : Comment le Christ nous sauve-t-il ? Et de quoi ? Mais d'abord : avons-nous besoin d'être sauvés ?
La lutte pour la vie.
Je crois que tout le monde, un jour ou l'autre (si ce n'est tous les jours) ressent le besoin d'être sauvé. Au sens large du terme. Ne serait-ce que par une certaine insatisfaction devant la situation qui nous est faite. On a besoin d'autre chose, de quelque chose de nouveau, d'un "autrement". Le propre de tout vivant est de lutter pour survivre. Si on n'évolue pas, on est forcément, un jour ou l'autre éliminé par l'environnement naturel. ll y a des espèces animales qui ont disparu, faute d'avoir mené cette lutte pour la vie. Il en va de même pour l'homme. "La vie de l'homme sur la terre est un combat". Une révolte de l'homme contre les conditions qui lui sont faites, qui le rendent plus ou moins esclave de toutes les fatalités. Il aspire à la liberté. C'est cette aspiration qui rejoint le message du salut annoncé par la foi. On peut dire que le message du salut qui nous est offert vient évangéliser notre combat pour une libération. C'est ce que je vais essayer de vous expliquer.
La violence.
La première violence vient de la nature. Il suffit de penser aux informations de ces derniers mois (et, hélas, de tous les temps) : intempéries, canicule, tremblements de terre, cataclysmes, famines. En face d'une telle violence, instinctivement, les hommes se montrent solidaires : ils s'allient pour survivre. D'ailleurs, s'ils ne font pas alliance, va naître entre eux la rivalité qui est une nouvelle menace mortelle. Donc, toute société, au point de départ, se constitue pour que la violence ne devienne pas mortelle, que ce soit la violence entre individus ou groupes, ou la violence de la nature.
Alors que les animaux, instinctivement, s'adaptent à leur environnement naturel, les hommes, eux, ne se contentent pas d'une certaine adaptation : ils cherchent à modifier l'environnement pour l'humaniser. Ce qui fait l'homme, c'est qu'il est "insurrectionnel" : il ne se contente jamais de ce que lui offre la nature. Au contraire, à la violence de la nature, il répond par une autre violence : il la travaille pour lui faire produire du nouveau. Sinon, c'est la mort (que ce soit la maladie ou la stérilité des sols, etc.) L'homme ne subit pas. Il veut dominer. Résultat : augmentation de l'espérance de vie, entreprise sans cesse renouvelée de libération.
Dans les sociétés.
La violence humaine n'est pas dirigée seulement contre la nature. Elle s'exerce au sein même des sociétés. Et surtout entre la société et les individus qui l'ont créée. La société produit obligatoirement des règles, des lois, des institutions pour le bien commun. D'accord. Mais voici que, pour subsister, presque fatalement, elle exige le sacrifice de milliers, voire de millions d'individus. Je prends des exemples. Le capitalisme, d'abord. Le démarrage industriel de l'Occident n'a pu se faire que par le sacrifice de masses soumises à un travail très peu rémunéré, une rémunération qui, au XIXe siècle surtout, leur permettait tout juste de survivre. En Union Soviétique, le goulag a procuré ce travail non rémunéré. Donc, le bien de la collectivité n'a pu être obtenu que par le mal imposé à des masses d'individus. Mais en même temps, les individus cherchent tous à "s'en tirer" individuellement, à tirer leur épingle du jeu, alors que le "jeu" avait pour but le bien de chacun. Chacun s'estime lésé s'il ne jouit pas de quelque privilège, s'il est "traité comme tout le monde". Voilà donc un conflit permanent entre la société et les individus.
Allons plus loin. Voilà donc une société quelconque qui a réussi à tourner rond. Mais si elle "tourne en rond", si elle ne cherche pas à progresser, elle va vite être dépassée. Je prends l'exemple du Moyen Age. Le système féodal a connu de beaux jours : il a permis un progrès libérateur par rapport à l'insécurité qui régnait auparavant. Il a favorisé un type d'unité régionale où le travail et le progrès devenaient possibles. Il a donc mis en place les conditions nécessaires pour que naisse une bourgeoisie. Et, du fait même, la féodalité s'est trouvée dépassée. Elle est même devenue une entrave au progrès. Il en va de même de tout type de société. Le progrès vers la liberté exige sa disparition.
C'est toujours à recommencer.
Seulement voilà ! Si une société donnée est déstabilisée sur la pression des violences intérieures, elle se retrouve sans défense contre la violence qui vient de la nature. La peste suit la guerre ; la famine suit la révolution . Et même, pire, la dictature est fille d'une révolution libératrice.
Pourquoi ? Parce que le conflit est intérieur à l'homme. La naissance même est violence, et l'enfant ne devient adulte que lorsqu'il se découvre différent de son père et de sa mère. L'adolescence est un sacré conflit, avec ses parents, et avec soi-même. Et regardons-nous : que de conflits intérieurs, que de choix difficiles, que de crises où il faut tuer en moi ce que j'aurais pu devenir, pour privilégier ce que je choisis. Toute croissance est crise. "Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais", écrit saint Paul. L'homme n'a jamais fini de se libérer.
Une issue.
Face à cette situation, il y a deux réactions catastrophiques possibles :
* Celle du refus. "Ce ne sont pas vos techniques, vos thérapeutiques, vos politiques qui vous sauveront. Tournez-vous vers Jésus Christ, le seul sauveur." Mais la Bible tout entière nous montre que la foi ne passe pas à côté des efforts purement humains des hommes, mais, au contraire, à travers ces efforts. Elle s'en nourrit.
* La tentation de l'annexion. Tout ce que je fais pour la libération des hommes, c'est un travail pour le Royaume de Dieu. Alors on met partout la foi chrétienne, même là où les hommes refusent d'en entendre parler.Et pourtant, le terrain où retentit l'annonce du salut par le Christ est celui de nos combats libérateurs. C'est sur ce terrain, à partir de ce lieu que nous nous situerons pour accueillir l'affirmation centrale de la Bible : "Le Christ est le sauveur."
(Pour cette page, je me suis inspiré d'un article de M. Domergue dans "Cahiers pour croire aujourd'hui" de novembre 1987)
(à suivre, le 3 février)
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