THEOLOGIE "POUR LES NULS"

CETTE ANNEE 2004 :

Le mystère de la Rédemption.


Colmar : Retable d'Issenheim

5e séquence : Du fond des âges !

( mai 2004 )

Résumé des premières séquences :

1 - La lutte pour la vie, contre la nature hostile, puis pour s'organiser en société. L'homme rencontre des obstacles capables de ruiner tous ses efforts. (janvier 2004)

2 - Dans cette lutte s'enracine le mal humain : essentiellement mal de la relation, né de la défiance, engendrant la jalousie et le meurtre. (février 2004)

3 - La Bible nous révèle la profondeur de ce mal : tout homme, en venant au monde, participe à cette mentalité collective, porteuse à la fois de soupçon destructeur et d'espérance constructrice (mars 2004)

4 - Jésus, par sa mort sur la croix, nous révèle tout l'amour de Dieu. Tout ce qui était à l'envers, il le remet à l'endroit. (avril 2004)

Nous continuons ce mois-ci notre recherche sur ce que signifie le "salut".

Une démarche historique.

L'histoire des religions nous apprend que, dans presque toutes les civilisations, les religions pour une place plus ou moins grande au salut. S'il fallait décrire ce qu'on y trouve de commun, on pourrait noter deux grands aspects. Premièrement, quand on parle de salut, on parle d'une délivrance, d'une libération. Deuxième aspect, cette fois positif : le salut, c'est la vie éternelle, comme une promesse qui est faite à l'homme d'un bonheur sans fin. D'une part délivrance, d'autre part plénitude. En allemand, il y a deux mots : "Erlösung" et "Heil". En français, il n'y a, hélas, qu'un seul mot pour décrire ces deux réalités. D'ailleurs, le mot français "salut" ne signifie pas seulement délivrance ou bonheur éternel ; il désigne également le salut qu'on fait en saluant quelqu'un.

Nous n'allons pas faire toute l'histoire des religions, soyez rassurés. D'ailleurs, souvent, je ne comprends pas bien ce qu'elles annoncent. Ainsi en est-il, par exemple, du bouddhisme et de sa représentation du salut dans la doctrine de l'"extinction", c'est-à-dire du "nirvana". Pour moi, ce n'est pas clair. Pour faire simple ce mois-ci, on examinera d'abord la pensée grecque, puis la pensée juive, avant d'en arriver (en juin) à ce que disent les chrétiens.

1 - La religion grecque.

Plusieurs dieux ont droit à l'appellation de "sauveur" ou "salvatrice" (féminin). En premier lieu, le titre est réservé à Zeus et à Athéna. A Athènes, il y avait même une fête annuelle appelée "diisôteria", où l'on offrait au Zeus sauveur la troisième et dernière coupe des banquets. Platon parle de "Zeus, troisième Sauveur" Le titre de sauveur est donné également à Apollon, à Asclépios, à Artémis. Isis et Sérapis sont appelés "théoi sôteres" (les dieux sauveurs).

Mais quand on pense au salut que ces divinités peuvent apporter aux humains, il ne s'agit jamais d'une idée de sauver du péché. L'idée de péché et particulièrement de péché originel est étrangère à la mentalité de l'époque. Le dieu-sauveur, c'est celui qui nous obtient des bienfaits terrestres, des avantages matériels, la réussite d'une entreprise, un heureux voyage. C'est pour cela qu'on le prie, c'est de cela qu'on le remercie, si tout s'est bien passé, selon nos voeux.

Aussi, par extension, et à partir du IIIe siècle avant J.C,, les rois et les empereurs vont porter ce titre de Sauveur. D'abord Ptolémée en Egypte, Antiochus en Syrie. César est salué par la ville d'Ephèse comme le "sauveur commun de tout le genre humain", et Antonin le Pieux est appelé "celui qui sauve tout le genre humain". A ce titre de "sauveur" on va associer parfois une idée de "manifestation", en grec "épiphania". Asclépios sauveur est dit "avoir manifesté sa présence". César, dans une inscription, est appelé le "dieu manifeste".

Mais tout cela ne dépasse pas le niveau relativement médiocre du bien-être et de la bonne fortune.

C'est en réaction contre cette conception assez utilitariste du salut qu'apparaît l'Orphisme. Cette forme de religion est fondée sur une base assez pessimiste : on pense que la prétendue vie est comme une vraie mort, et que la mort est la vraie vie. Notre vie sur la terre, c'est une punition des dieux à cause d'une faute originelle. Il y a eu, au début, un péché collectif, et aujourd'hui, chacun de nous doit expier personnellement cette faute. De quelle faute s'agit-il ? La mythologie grecque nous renseigne : Un mythe « théologique » raconte l’origine de l’homme et la faute qu’il doit payer : le meurtre du jeune Dionysos par les Titans, sous la forme d’un sacrifice sanglant, mais inversé, puisque les chairs de l’enfant sont d’abord bouillies avant d’être passées à la broche. Les Titans, qui ont goûté de cette cuisine monstrueuse, sont foudroyés par Zeus, et de leurs cendres vont naître les premiers hommes, marqués par une double ascendance, titanique et dionysiaque. L’une est l’esprit de violence, la propension au mal ; l’autre est l’élément d’origine divine, une parcelle précieuse sauvée du corps de Dionysios enfouie dans la masse perverse héritée des Titans qu’un ascétisme rigoureux va permettre de purifier et de libérer de la « prison » du corps où l’âme est enfermée en châtiment de ses fautes. Comment se libérer ? Une ascèse de tous les instants, un total végétarianisme jusqu'à ce que la mort naturelle couronne ces efforts et ouvre le salut en donnant d'échapper au cycle des réincarnations. Sans qu'il y ait eu de contacts entre cette conception et les religions de l'Inde, on peut remarquer que les deux conceptions sont assez proches. On y retrouve à la fois comme un avant-goût de la délivrance dès cette vie par la pratique de l'ascèse, l'attente patiente de l'heure de la mort et l'idée d'une évasion définitive hors du cycle des réincarnations.

2 - Le judaïsme.

Comme chez les Grecs, on va passer d'une conception temporelle, humaine, matérialiste même du salut à une conception spirituelle. Nous allons analyser cette progression. Pour résumer, disons qu'il y a à la base une expérience fondamentale : être sauvé, c'est être tiré d'un danger où l'on risque de périr. Sauver, c'est donc libérer, guérir, protéger, garder en vie, donner la victoire, apporter la paix. Voilà l'expérience humaine qui sous-tend toutes les expressions employées pour dire un Dieu-Sauveur. Comme vous pouvez le remarquer, l'idée d'un Dieu qui sauve ses fidèles est commune à toutes les religions. Dans la Bible, le thème est courant et ancien : beaucoup de noms propres sont composés avec la racine "sauver". Ainsi Josué, Isaïe, Elisée, Osée. Mais c'est l'expérience historique d'Israël qui lui donne une coloration particulière.

* L'expérience historique.

Chaque fois que les Hébreux se trouvent dans une situation critique et qu'ils s'en sortent, soit miraculeusement, soit grâce à un chef qui les conduit à la délivrance ou à la victoire, ils lisent l'événement en l'attribuant à Dieu : c'est "le salut de Dieu". Lisez, par exemple, au 2e Livre des Rois, les chapitres 18-19. Le roi d'Assyrie, Sennachérib, a envahi Israël et mis le siège devant Jérusalem. Il fait écrire au roi Ezéchias : "Rends-toi. Tu ne peux compter ni sur les Egyptiens, ni même sur ton Dieu." Ezéchias prend cette lettre et la présente à Dieu dans son Temple. Il lui dit : Regarde, cet envahisseur te méprise. Par la bouche du prophète Isaïe, Dieu répond en promettant que Jérusalem sera sauvée et que le siège va être levé. Effectivement : est-ce une épidémie soudaine ? Je ne sais, mais il y a subitement des milliers de morts dans le camps des assaillants et Sennachérib est obligé de lever le siège. La Bible lit ces événements historiques comme une intervention salutaire de Dieu en faveur de son peuple. Et ces historiens sacrés rappellent que dans le passé, il y a déjà eu de multiples interventions divines grâce auxquelles le peuple a été sauvé. Dieu a sauvé David partout où il allait (2 Samuel 8, 6-14). Par l'entremise de David il a sauvé son peuple, comme il l'avait déjà fait par l'entremise de Saül, de Samuel, de Samson, de Gédéon, de tous les Juges. Surtout, il a sauvé son peuple lors de l'Exode. Il l'a libéré de l'esclavage d'Egypte. Puis les auteurs de la Bible remontent plus haut : la famille de Jacob est sauvée par l'intermédiaire de Joseph. De même, Dieu a sauvé la vie de Lot, il a sauvé Noé du Déluge. Chaque fois qu'il y a danger, on voit Israël se tourner vers Yahweh pour être sauvé (Jérémie 4, 14). Et si le salut n'arrive pas, on se plaint. Dans la mentalité du peuple de la Bible, en dehors de son Dieu, il n'y a point de sauveur (Isaïe 43, 11).

* Les promesses eschatologiques.

Arrive l'heure de la grande épreuve nationale. C'est alors qu'Israël regarde avec le plus de confiance vers le Dieu qui le sauvera (Michée 7, 7) On envisage alors un salut, non pas immédiat, mais pour plus tard, pour "les derniers temps". Alors, Dieu ramènera son peuple dans sa terre, annonce Jérémie (31, 7) ; il lui enverra le Roi-Messie ( 23, 6) Ezéchiel utilise une autre image : Yahweh sera le bon berger qui sauvera ses brebis en les ramenant dans un bon pâturage. Puis, un peu plus tard, les prophètes annoncent que Dieu vient sauver, non seulement Israël, mais la terre entière (Isaïe 45, 22). Et c'est pour réaliser ce salut universel que Yahweh enverra son serviteur. Progressivement, les descriptions du Jour du Seigneur chanteront la joie de ce salut (Isaïe 12, 2) accordé à tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur, à tous ceux qui sont inscrits dans son Livre. Enfin, les livres de Sagesse en viennent à décrire le salut des justes au dernier jour (Sagesse 5, 2). L'idée de salut s'enrichit de toute une gamme d'harmoniques. Elle est synonyme de paix, de bonheur, de purification, de libération. L'artisan de ce salut, c'est le Roi à qui l'on donne le titre de Sauveur (Zacharie 9, 9) car il sauvera les pauvres opprimés (Psaume 72, 4.13)

* La prière d'Israël.

Certitude fondamentale : le salut est un don de Dieu. On en a fait l'expérience lors de la conquête de la Terre Promise. (Psaume 44, 4-7). Inutile de compter sur les forces humaines : le salut des justes vient de Dieu. Il est lui-même le salut (Psaume 27, 1). Combien d'hommes en péril ont été sauvés par Dieu lorsqu'ils crièrent vers lui ! Plusieurs prières d'action de grâces témoignent de faits de ce genre (Psaume 118, 14 - Psaume 18, 20). Les livres tardifs se plaisent à raconter des histoires semblables : les trois enfants dans la fournaise (Daniel 3, 28), Daniel dans la fosse aux lions (Daniel 6, 28). Dieu sauve toujours ceux qui espèrent en lui. Il l'a d'ailleurs promis à plusieurs reprises (Psaume 69, 36). Avec, d'ailleurs, un certain nombre de priorités : pour les pauvres, les justes, les humbles, les petits, les persécutés, les coeurs droits, les esprits abattus, et d'une manière générale tous ceux qui le craignent. Il y a là de quoi donner confiance et inciter à la prière.

* Des appels au Dieu sauveur.

On s'adresse à Dieu sous le titre de Sauveur (Siracide 51, 1). La prière tient en un mot : "Sauve, Yahweh !", "Sauve-moi et je serai sauvé". La suite évoque généralement les circonstances concrètes, semblables à celles où tous les hommes se trouvent placés un jour ou l'autre : épreuve et angoisse, péril pressant et mortel, persécution de la part des ennemis. Et parfois Yahweh répond lui-même à la prière de demande (Psaume 12, 2-6)? Au-delà des demandes individuelles, les Israélites prient pour le salut de tout le peuple : "Sauve-nous et rassemble-nous du milieu des nations." Dieu répond parfois par un message de consolation et alors certains psaumes chantent par avance la manifestation du salut qu'il annonçait (Psaume 96, 2) alors que d'autres expriment l'espoir d'en expérimenter la joie (Psaume 51, 14).

* En résumé.

Nous assistons donc à une évolution de la notion de salut. D'abord, on passera de l'idée de protection individuelle à celle de sauvegarde de tout le peuple élu, dans les grands dangers et les lourdes épreuves de son histoire. Plus tard, on en arrivera à un degré supérieur : la libération procurée par Yahweh met fin au mal spirituel, au péché :"Je vous délivrerai de toutes vos souillures" (Ezéchiel 36, 29). Enfin, on va passer progressivement d'une conception du salut assez négative (libération du mal et du malheur) à une conception positive, avec l'attente du salut messianique. Ce salut qui sera apporté par le Messie, c'est ce qu'attend tout le judaïsme à l'époque de Jésus. Cette attente est parfaitement exprimée dans le cantique de Zacharie, le père de Jean-Baptiste : "Béni soit le Seigneur, Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et racheté son peuple en nous suscitant un puissant sauveur dans la maison de David, son serviteur... un sauveur qui nous délivre de nos ennemis et de tous ceux qui nous haïssent...selon le serment qu'il fit à Abraham, notre père, de nous donner qu'une fois délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice, sous son regard, toute notre vie durant." (Luc 1, 68-75)

Voilà comment tout Israël, de plus en plus, est tendu vers le Salut que le Christ va apporter. 

(à suivre, le 1er juin 2004)

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