THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2008 : Chrétien ?
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Rappel :
1e séquence : Etat des
lieux (retour à l'homme) - Janvier
2008
2e séquence : La crise des humanismes - Février
2008
3e séquence : L'autre dimension - Mars
2008
4e séquence : le défi des religions mondiales - Avril 2008
(aux archives)
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5e séquence : La spécificité du christianisme
(mai 2008)
1 - Le Christ.
"Chrétien" : un mot tellement utilisé aujourd'hui qu'il ne suscite pas beaucoup d'interrogations. Beaucoup trop de choses sont chrétiennes : non seulement les Églises, mais les écoles, certains partis, la civilisation, l'Europe, l'Occident... Et quand on n'emploie pas le mot, il est assimilé à d'autres mots : catholique - romain - ecclésiastique. Comme toute inflation, celle du terme "chrétien" entraîne la dépréciation.
Un souvenir dangereux
Il faut nous rappeler, pourtant, qu'au
début, le mot "chrétien" est un sobriquet insultant inventé à Antioche (Actes
des Apôtres 11, 26)
* En 112, Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, informe l'empereur Trajan
que des "chrétiens" sont accusés de nombreux crimes. D'après son enquête, il
apparaît qu'ils refusent le culte de l'empereur, mais que, par ailleurs, ils
se bornent à chanter des hymnes au Christ, Dieu unique, et à observer certains
commandements : ne pas voler, ne pas commettre d'adultère, ne pas mentir.
* Un peu plus tard, Tacite, l'ami de Pline, raconte l'incendie de Rome par
Néron en 64. On accuse l'empereur, qui se défausse sur les "chrestiani". Ce
terme, indique Tacite, vient d'un certain Christus exécuté sous Tibère par le
procurateur Ponce Pilate. Après la mort de ce Christus, la "superstition
exécrable" a pris le chemin de Rome , "comme tout ce qu'il y a de plus ignoble
et de plus honteux", ajoute Tacite. Et même elle a conquis dans la capitale
une grande foule de fidèles.
* Quelques années plus tard, Suétone, dans la Vie des douze Césars, rapporte
que l'empereur Claude a fait expulser de Rome les juifs qui suscitaient
constamment des troubles à propos de Christus.
* A Rome encore, dès 90, l'historien juif Flavius Josèphe mentionne la
lapidation survenue en 62 de Jacques le "frère de Jésus, le prétendu Christ."
Tels sont les plus anciens témoignages païens et juifs. Ils ne parlent pas d'une nouvelle doctrine, mais simplement du rapport à un certain Christ. Toute société vit de ses souvenirs. Pour les chrétiens, tous les souvenirs tournent autour d'une personne. Et l'organisation du culte de cette nouvelle Eglise sera mémorial, souvenir, et cela jusqu'à nos jours. C'est le même repas que mentionnait Pline le Jeune que nous célébrons aujourd'hui encore. Mémoire du Seigneur. Le christianisme, écrit J.B.Metz, est "une activation du souvenir. L'activation d'un souvenir dangereux et libérateur." Ces souvenirs ont changé le monde.
Souvenir de quoi ?
* Le Nouveau Testament, dans sa diversité, nous répond : souvenir d'un certain Jésus qui, en grec, est nommé Christos (traduction de l'hébreu maschiah, de l'araméen meschiha : Messie, celui qui a reçu l'onction). Ce Nouveau Testament, c'est une collection de textes disparates : écrits doctrinaux ou billets de circonstance, des évangiles qui parlent surtout du passé et des circulaires prophétiques qui concernent l'avenir. Des écrits au style soigné et d'autres assez négligés, les uns d'origine juive et d'autres d'origine hellénique ; les uns rédigés très tôt et d'autres presque cent ans plus tard. Tous ont en commun une personne : le Christ.
* L'histoire du christianisme. Une histoire mouvementée, pleine de contraste. Siècles de petites communautés et siècles de grande organisation, époques de minorité et époques de prépondérance ; persécutés devenus maîtres et à leur tour, souvent persécuteurs ; Église des catacombes, puis Église d'État ; âge des moines et des savants et époque de conversion des barbares, à la naissance de l'Europe ; Église de la Renaissance et de la Réforme ; siècle des Lumières et siècles de la restauration, siècles du désespoir et siècles de l'espérance... Quel est le lien entre ces époques pleines de contrastes ? Une seule réponse : le souvenir d'un certain Jésus, qui, au long des siècles, a été appelé Christ.
Prendre les concepts au mot.
Comme nous l'avons vu, le
christianisme est aujourd'hui confronté aux autres grandes religions qui elles
aussi révèlent une vérité, sont des voies de salut et peuvent mener à la
connaissance de la servitude, de la perdition des hommes comme de la présence,
de la grâce et de la miséricorde de Dieu. Alors ? S'il en est ainsi, qu'est-ce
qui donne au christianisme son caractère spécifique ?
La réponse : d'après le témoignage des origines et l'ensemble de la tradition,
selon le témoignage des chrétiens et des non chrétiens, ce qu'il y a de
spécifique dans le christianisme, c'est ce Jésus lui-même qui, dans les textes
les plus anciens comme aujourd'hui encore, est appelé Christ. Ce qu'il y a de
spécifique et d'original dans le christianisme, c'est qu'il considère ce Jésus
comme un personnage capital. Dès le début, on l'a nommé Christ, et ce titre
est devenu pour ainsi dire un nom propre.
Aujourd'hui le christianisme est aussi confronté aux humanismes non chrétiens de type réformiste ou révolutionnaire, qui prennent parti pour tout ce qui est beau, bon, vrai et tiennent en haute estime les valeurs humaines de liberté, d'égalité, de fraternité et qui souvent s'engagent dans une action effective pour le développement de tout homme et de tout l'homme. De leur côté, les Églises entendent se renouveler pour être plus humaines et plus fraternelles. S'il en est ainsi, qu'est-ce qui différencie le christianisme ? La réponse est toujours la même : d'après le témoignage des origines et de l'ensemble de la tradition, ce qu'il y a de spécifique dans le christianisme, c'est encore ce Jésus lui-même connu et reconnu comme Christ.
En conséquence : si le christianisme veut prendre ou reprendre quelque signification aux yeux des croyants des autres religions et des humanistes modernes, il n'y parviendra pas en répétant ce que les autres ont dit avant lui, en imitant ce qu'ils ont fait avec lui. Ce christianisme "de perroquet" est sans intérêt et devient insignifiant, superflu. Le fait d'être actuel, moderne, solidaire ne suffit pas. Les chrétiens doivent savoir ce qu'ils ont à dire. Outre une ouverture sans limites aux autres ils doivent traduire en paroles, en valeur et en actes ce qui leur est propre. Par conséquent le christianisme ne peut finalement posséder et acquérir un sens qu'en activant le souvenir de Jésus comme autorité suprême, de Jésus comme Christ, et non pas de Jésus comme l'une des autorités parmi d'autres. Or bien souvent les chrétiens font comme si tout le monde - et eux en premier - savait qui et quel est ce Jésus Christ. Et s'il était justement, dans le christianisme et en dehors, l'Inconnu qui fait du christianisme une inconnue bien connue ? Concrètement, quelques exemples :Donc, pour éviter tout malentendu, il
nous faut préciser :
* On ne peut qualifier de chrétien tout ce qui est vrai, beau, bon et humain.
Mais on a le droit d'appeler chrétien tout ce qui, dans la pensée et dans
l'action, a un rapport positif explicite à Jésus Christ.
* On ne peut qualifier de chrétien tout homme animé d'une conviction
authentique, d'une foi vraie, d'une volonté droite. On trouve tout cela hors
du christianisme. Mais tous ceux dont la vie et la mort trouvent en Jésus
Christ leur sens suprême méritent d'être appelés chrétiens.
* On ne peut reconnaître le christianisme partout où l'on combat contre
l'inhumanité, où les valeurs humaines sont mises en oeuvre. On trouve de
telles attitudes chez les musulmans, les hindous, les bouddhistes, les
humanistes post-chrétiens et les athées. Il n'y a pourtant christianisme que
là où le souvenir de Jésus Christ est activé dans la pensée et dans l'action.
Ces propositions marquent toute la différence. Elles ne sont pas des propositions creuses. Elles se rapportent à une personne bien concrète. Elles s'appuient sur les origines et sur la grande tradition chrétienne. Elles fournissent en même temps une orientation claire pour le présent et pour l'avenir. Elles soutiennent donc les chrétiens, mais en même temps elles peuvent obtenir l'assentiment des non-chrétiens. En effet, une telle approche respecte les convictions de ces derniers et affirme expressément leurs valeurs sans les annexer au christianisme.
Donc il s'agit tout à la fois de rester ouvert à tout ce qui n'est pas chrétien et, en même temps, éviter toute confusion incompatible avec le christianisme. Le christianisme des chrétiens doit rester chrétien. Or il ne demeure chrétien qu'explicitement attaché à l'unique Christ. Le Christ ne se réduit pas à un quelconque principe : il s'agit d'une personne bien déterminée. Le christianisme est la confession d'un nom unique.
2 - Quel Christ ?
Le Christ de la piété ?
La connaissance vécue de l'unique Christ est fort diverse. La même expérience est pour les uns raison du maintien de leur foi et pour d'autres le motif de son abandon. Pour les uns, Jésus est le divin Sauveur, infiniment miséricordieux, pour d'autres, il est le grand chef. D'autres ont été séduits par son coeur doux et humble, au point que le Sacré-Coeur est devenu pour eux un nom propre. Pour les uns, le nom de Jésus évoque particulièrement la fête de Noël, le petit Jésus, le "divin enfant" de la crèche ; pour d'autres il est "Dieu sur terre" alors que le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père. Enfin, pour d'autres, il est Dieu né d'une douce vierge, beaucoup plus humaine et plus proche de nous que son fils, à tel point qu'à Lourdes par exemple, elle trône sur les autels sans son fils.
Bien, d'accord. On ne va pas critiquer. A condition de ne pas confondre poésie et réalité. Innombrables sont les chants qui lui sont consacrés, et innombrables les images qui l'ont représenté : peintures, médailles, sculptures, vitraux. Contrairement à celles de Bouddha, elles ne se laissent pas réduire à quelques traits stylisés. Quelle image du Christ est la vraie ? Le jeune berger représenté dans les catacombes ou l'Imperator barbu du Bas Empire ? Le "Beau Dieu" d'Amiens ou le "Christ de douleur" de Dürer et la crucifixion de Grünewald ? Les images sentimentales du Sacré Coeur où les Christ de Rouault, Chagall ou Matisse ?
De même, en ce qui concerne les théologies sous-jacentes à ces images : quelle christologie est la vraie ? Le Christ d'Irénée, celui de Tertullien, celui de saint Augustin ou celui de saint Léon, le pape le plus important des cinq premiers siècles? Le Christ d'Abélard ou celui de saint Bernard ? Celui de saint Thomas ou celui de saint François d'Assise ? Le Christ d'Érasme ou celui de Pascal, celui de Calvin ou celui de Luther, celui de Karl Barth ou celui de Teilhard de Chardin ?
Autant d'esprits, autant d'images du Christ? De nos jours encore, la piété inspire les réponses les plus diverses aux questions : qui est le Christ ? Que signifie-t-il pour moi ? Les uns le rencontrent dans le cadre de l'Église, à travers la prière, la liturgie, les sacrements, et le proclament Fils de Dieu, sauveur, Seigneur. D'autres le rencontrent "au-dehors", dans la fraternité humaine et dans la vie quotidienne, dans l'engagement social, comme un ami, un grand frère. Aux expériences personnelles et aux proclamations spontanées s'opposent les formules dogmatiques et les définitions toutes faites. Pour les uns, le Christ, c'est l'amour, le sens, le soutien, la raison de vivre ; pour d'autres il est anodin, de peu d'importance et d'aucun secours. Il provoque la réflexion, la méditation, la contemplation des uns ; d'autres restent de pierre, s'irritent, se dérobent ou sont embarrassés.
Le Christ du dogme ?
Une chose est claire : ni la piété ni la littérature, ni la tradition et l'art chrétiens ne permettent de dire clairement, simplement ce que cache le nom de Jésus. Et même si certains théologiens disent que tout a été dit et défini de la personne du Christ, que la doctrine de l'Église a précisé de manière définitive ce qu'il faut croire, on peut se poser la question. Est-ce que les conciles, dans leurs définitions qui datent des premiers siècles du christianisme, sont suffisamment parlants aujourd'hui pour nous ?
Par exemple, si on dit "le Christ est Dieu", même les conciles précisent immédiatement combien la formule est déficiente. Et pourtant il est courant d'entendre les gens qui, montrant le crucifix, disent : "C'est Dieu en croix." De même, lorsqu'on dit que Jésus, c'est "Dieu sous forme humaine", on est dans l'erreur. Les précisions des conciles sont beaucoup plus nuancées. Aucun concile ancien n'a purement et simplement identifié Jésus et Dieu.
Le concile de Nicée, en 325, déclare que Jésus est seulement "consubstantiel au Père" Puis, en 451, le concile de Constantinople équilibre le précédent en déclarant que Jésus est "consubstantiel à nous par son humanité." Une seule personne, dans laquelle s'unissent sans confusion, mais aussi sans partage, deux natures, l'une divine et l'autre humaine. C'est la formulation classique. Jusqu'à nos jours. Mais...
Mais ce n'est pas si simple. Et cette définition, formulée au Ve siècle, par des théologiens qui avaient une tout autre culture que la nôtre (et que celle des Juifs du temps de Jésus), peut-elle encore nous parler aujourd'hui. Et d'ailleurs, les conciles qui ont suivi et qui ont voulu préciser davantage ont été la cause de profondes divisions entre les Églises qui se réclament de la foi au Christ. Aujourd'hui encore, la division subsiste entre Églises "chalcédoniennes" et Églises qui se réclamaient du concile précédent, tenu à Éphèse. Puis la question a rejailli quelques années plus tard. Elle se pose aujourd'hui encore : le Christ, étant Dieu, pouvait-il souffrir ? La querelle a dominé tout le VIe siècle, et au VIIe siècle, elle s'est posée d'une manière légèrement différente : y a-t-il une ou deux volontés dans le Christ, une volonté divine et une volonté humaine ?
Pour nous aujourd'hui le problème est encore plus profond. Trop souvent on décèle, derrière l'image que les conciles donnent du Christ, le visage imperturbable et froid du Dieu impassible de Platon. Pas étonnant : ce sont tous des conciles grecs. Or le Christ n'est pas né en Grèce. La théologie des conciles est donc surtout une oeuvre de traduction ; une interprétation, formulée dans la langue et la culture grecques, de ce que Jésus est réellement. Donc, on peut légitimement se demander si ces formulations sont parlantes pour les hommes d'aujourd'hui . D'autant plus que le Nouveau Testament est infiniment plus riche. De nos jours, la doctrine des deux nature n'est plus parlante. Et d'ailleurs, même à l'époque du concile de Chalcédoine, elle n'avait pas résolu les difficultés. Au contraire, elle a toujours conduit à de nouvelles impasses. Bien plus, beaucoup de spécialistes de la Bible pensent que la doctrine des deux natures ne s'identifie aucunement avec le message originel du Nouveau Testament.
Bien sûr, il n'est pas question de négliger les professions de foi des anciens conciles. Il ne s'agit pas d'antiquités ou de curiosités. Elles sont les signes de la permanence de la foi chrétienne. Il ne faut pas oublier, en même temps, que cette grande tradition est d'une complexité surprenante. Les témoignages concernant le seul et même Christ sont très divers. La grande tradition conciliaire elle-même pose la question : quel Christ est le vrai Christ. Le message chrétien vise à faire comprendre ce que Jésus-Christ signifie, ce qu'il est pour l'homme d'aujourd'hui. Si on part de la doctrine établie, du mystère de la Trinité, si l'on suppose purement et simplement la divinité de Jésus, la préexistence du Fils, la question est celle-ci : comment ce Fils de Dieu a pu assumer une nature humaine et s'y unir ? Mais alors la Croix et la Résurrection n'apparaissent plus que comme une conséquence de l'Incarnation. Est-ce que le fait de refouler à l'extrême l'humanité de Jésus rendra la figure du Christ plus intelligible ? Est-ce que le fait d'adorer Jésus comme une divinité, au lieu de marcher sur les traces de son humanité terrestre donnera une image plus vraie de sa personne ?
Ne vaut-il pas mieux faire comme l'a fait le Nouveau Testament : partir de l'homme Jésus tel qu'il fut, de son message et de sa manifestation dans l'histoire, de sa vie et de son destin, de sa réalité historique, pour s'interroger sur les relations de l'homme Jésus avec Dieu, sur son union avec le Père ? Je crois qu'une christologie qui part "d'en-bas", du Jésus historique concret, répondra mieux aux interrogations de l'homme d'aujourd'hui.
Le Christ des illuminés.
Vous souvenez-vous de ce poster célèbre dans les années 70.
De tout temps, il y a eu des "Mouvements de Jésus" charismatiques, à la limite ou en dehors des Églises établies. Tous ils en appellent du Christ annexé par les Églises au vrai Christ originel. Mouvements d'illuminés, parfois sauvagement révolutionnaires, parfois paisibles et mystiques. Tout au début de l'histoire du christianisme, on trouve le mouvement apocalyptique, puis il y a eu au Moyen Age les spirituels, les flagellants , les baptistes au temps de la Réforme ; plus tard le piétisme radical en Allemagne, les quakers en Angleterre, et finalement le pentecôtisme et tous les charismatiques, même dans l'Église catholique.
Souvent aussi il s'est agi de solitaires qui imitaient leur propre Christ . Parmi eux, des théologiens, des écrivains, des peintres. Il y eut les fous de Jésus, les beatniks-de-Jésus. Il y a eu François d'Assise. Ne soyons donc pas surpris de retrouver toutes ces tendances aujourd'hui encore : un Jésus qui redevient populaire même chez les partisans d'une révolution. Ce n'est plus la "mort de Dieu", mais la célébrité de Jésus. En 1971, il fait la couverture de
Time Magazine, deux fois dans l'année, et on constate qu'à la sécularisation succède la religiosité, l'intériorité ; à l'action succède la méditation et à la mort de Dieu l'intérêt pour la "vie éternelle". Il y a là comme une protestation contre l'idée de carrière et de confort, contre la société de consommation et de productivité, contre le monde manipulé par la technologie; contre le progrès incontrôlé. Et aussi contre les Églises établies. Bien sûr, on observe aussi chez beaucoup le goût du sensationnel, l'engouement pour le romantisme.Il y a également les difficultés de "s'en sortir" qu'éprouvent les jeunes. Bref, on remarque un tas de phénomènes de mode, à côté d'une sincère recherche. Cette recherche qui s'exprimait il y a quelques décennies déjà aussi bien lorsqu'on enrôlait le Christ comme le compagnon de la révolte dans le combat contre la guerre, hier au Vietnam, aujourd'hui en Irak, chez les jeunes américains que lorsqu'on voit en lui la victime dont tous les puissants ont abusé, comme le symbole le plus stable de la pureté, de la joie, du don de soi.
On retrouve tout cela dans les grandes comédies musicales. Déjà dans Hair qui chante "Mes cheveux, je les porte volontiers tels que Jésus les portait, Alléluia... Marie aimait son fils, pourquoi ma mère ne m'aime-t-elle pas ?" Également dans Hair ressort la question du sens de la vie, d'une vie réussie. Ce n'est qu'auprès de Jésus qu'on peut trouver la réponse aux questions : "Ou vais-je ? Suivrai-je mon coeur ? Ma main sait-elle où je vais ? Pourquoi vivre, si c'est pour mourir ? etc."
On en arrivera ainsi à Jésus Christ Superstar, l'opéra rock qui a connu un succès mondial, puis à Godspel. On peut objecter que seule l'humanité de Jésus apparaît ici. Oui, mais peut-être parce que dans les Églises on n'a montré trop souvent que sa seule divinité.
Le Christ des poètes et des romanciers
Bien sûr, quand on lit les poètes et les grands écrivains qui ont parlé du Christ, on trouve que les chansons des Beatles,
Godspel ou Jésus Christ superstar font guimauve et paraissent insignifiants. Il y a une tout autre profondeur chez Dostoïewski, lorsqu'il écrit, par exemple : "Si quelqu'un me prouvait que le Christ est en-dehors de la vérité, qu'ik serait réel que la vérité fût en dehors c=du Christ, j'aimerais mieux alors rester avec le Christ qu'avec la vérité."Il y a eu l'époque des portraits de Jésus , plus ou moins orthodoxes, conventionnels, historicisants. L'histoire du Christ de Giovanni Papini (1924) a connu le succès. Ce n'est qu'un exemple. Les portraits littéraires de Jésus ne sont pas dépourvus de qualités esthétiques et de profondeur théologique. Mais ils reposent tous sur une lecture naïve et littérale des évangiles. Ils ignoraient tous les acquis de la recherche exégétique. Au fond, on en est encore à de la biographie-fiction.
Par contre, les écrivains d'une époque plus récente soumettent la religion à la critique et, dans une large mesure, ils refusent l'Église. La plupart du temps, ils abordent la personne de Jésus de manière indirecte, par la bande. Ils en parlent de façon détournée et presque avec timidité. C'est une approche très "pudique", pleine de respect, bien souvent. Finie, l'époque des portraits de Jésus. Sachant que les évangiles ne constituent pas une biographie de Jésus, ils ne vont pas y puiser comme à des sources historiques. Les exposés récents sur Jésus sont donc d'abord critiques et les données du Nouveau Testament y jouent donc un rôle mineur.
Pas étonnant, dans ces conditions, que Jésus ne soit plus le personnage central de ces oeuvres littéraires de formes très diverses. La figure de Jésus, ou tel épisode de sa vie, ne sont plus qu'occasionnels. Hemingway, par exemple raconte : un vendredi, tard dans la soirée, après avoir un peu bu au cabaret, trois soldats romains, rustres mais profondément impressionnés, racontent comment ils l'ont cloué et hissé : "Quand le poids commence à tirer, c'est là qu'ils flanchent. - Y en a que ça démolit salement. - Et comment que j'en ai vus ! Des masses, que j'en ai vus. N'empêche qu'il a bien tenu le coup aujourd'hui là-bas." Une phrase qui revient cinq ou six fois dans le récit comme un refrain. (dans :
C'est aujourd'hui vendredi)Des thèmes reviennent dans toute la littérature contemporaine. Celui du retour : "Quand reviendra-t-il", chez Balzac et chez Dostoïevski. Et surtout "Pourquoi viens-tu nous déranger ?", depuis la
Légende du Grand Inquisiteur des Frères Karamazov. Jésus apparaît souvent comme le premier perturbateur de l'ordre ecclésiastique et social actuel, l'avocat de la liberté humaine, l'ami des pauvres et des opprimés, un militant de la résistance, le marginal et le paria de l'Église et de la société... ou celui qui ramène les hommes à l'enfance.Tous ils ressentent cruellement le drame épouvantable de la croix et certains font détacher le Christ de sa croix. D'autres thèmes s'entremêlent : celui de la croix vide, celui de la "résurrection en nous" ou de la "condition perpétuellement crucifiée." Relire "Le Christ recrucifié" de Nikos Kazantzaki.
On trouve aussi l'opposition Jésus-Dieu. Contre le Dieu obscur, inhumain, on en appelle à Jésus, l'homme et le frère. Jésus échappe donc ainsi aux critiques radicales dirigées contre Dieu et la religion.
Les écrivains et les poètes ont souvent l'oreille plus fine et un flair plus subtil que les théologiens. Ils peuvent nous faire comprendre l'événement-Jésus de manière neuve. En cela, ils sont d'une importance capitale.
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A suivre, début juin