THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2008 : Chrétien ?
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Rappel :
1e séquence : État des
lieux (retour à l'homme) - Janvier
2008
2e séquence : La crise des humanismes - Février
2008
3e séquence : L'autre dimension - Mars
2008
4e séquence : le défi des religions mondiales - Avril 2008
5e séquence : la spécificité du christianisme - mai 2008
(aux
archives)
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6e séquence : Le Christ réel
(juin 2008)
La question : comment se fait-il qu'en notre époque qui a vu la chute de tant de dieux et de tant d'idéologies, le Christ, si souvent nié, renié, trahi, demeure manifestement pour des foules innombrables, la figure la plus émouvante de la longue histoire de l'humanité ? Il interpelle aussi bien les théologiens que les athées. Aux Églises il donne l'occasion d'une perpétuelle critique. Et en même temps il rayonne par-delà toutes les Églises. Gandhi : "Je dis aux hindous que leur vie est imparfaite s'ils n'étudient pas avec respect la doctrine de Jésus."
D'où la question : quel Christ est le Christ véritable ? Il ne suffit pas de répondre : "Sois bon, car Jésus t'aime." On ne bâtit pas sur des sentiments. Car alors on en vient à échanger un nom pour un autre : Che Guevara sous les traits de Jésus , puis Jésus sous les traits de Che Guevara. Entre le Jésus du dogmatisme et le Jésus du piétisme, entre le Jésus de la protestation, de l'action, de la révolution et le Jésus des sentiments, de la sensibilité, il nous faut préciser la question : Christ des songes ou Christ de la réalité ? Christ rêvé ou Christ réel ?
1 - Il ne s'agit pas d'un mythe.
Affirmons d'emblée : le Christ du christianisme n'est pas un mythe chargé de sens. Déjà les premiers chrétiens se sont opposés au prix de leur vie à ce qu'on inscrive leur Christ dans le Panthéon, à côté des autres divinités. Ils préféraient se laisser accuser d'athéisme. Le Christ des chrétiens est une personne absolument concrète, humaine, historique : il n'est personne d'autre que Jésus de Nazareth. Et la foi chrétienne est essentiellement une foi historique. Dès le début, c'est parce qu'il s'est présenté comme une foi historique que le christianisme a pu s'imposer face aux mythologies.
Une existence localisée et datée.
Il n'est pas douteux que pour ses contemporains et, plus tard, pour l'Église, Jésus a toujours été un homme réel. Voir les écrits du Nouveau Testament : Jésus est un homme véritable qui a vécu en un temps et dans une contrée bien déterminés. Mais a-t-il vraiment vécu ?
Il y eut des époques où l'on en a douté. Notamment au XIXe siècle et même au début du XXe siècle. Mais depuis les années 20, personne ne doute plus sérieusement de l'existence historique de Jésus. Ce qui n'empêche pas des historiens fantaisistes d'écrire sur Jésus les choses les plus extravagantes. La meilleure : Jésus est la dénomination secrète d'une fausse oronge hallucinatoire (amanita muscaria) qui aurait été utilisée dans les rites des premiers chrétiens ! Qui dit mieux ?
De Jésus de Nazareth nous savons incomparablement plus de choses historiquement certaines que des grands fondateurs des religions asiatiques, Bouddha, Confucius, ou Lao-Tseu. Les enseignements de Bouddha nous ont été transmis par des sources rédigées 500 ans après lui. Il en est de même pour Confucius (400 ans) et Lao Tseu (au moins 700 ans). Alors que le plus ancien manuscrit d'Homère date du Xe siècle après Jésus Christ, c'est-à-dire plus de 15 siècles après sa rédaction, et celui de Sophocle, du VIIIe siècle, soit 13 siècles après sa rédaction, pour le Nouveau Testament l'intervalle entre le premier écrit et les manuscrits actuellement en notre possession est beaucoup plus court : moins de deux siècles pour les Évangiles. Le plus ancien papyrus contenant quelques versets de l'évangile de Jean date de 110, soit au maximum 20 ans après sa rédaction.
Jésus n'est pas un mythe : son histoire peut se localiser. Ce n'est pas comme Guillaume Tell, n'en déplaise à nos voisins suisses. Certes, son existence s'est déroulée dans un tout petit pays, politiquement négligeable, dans une province marginale de l'empire romain : la Palestine, au coeur du Croissant Fertile, petite province écrasée traditionnellement entre l'Égypte et la Mésopotamie, premières grandes civilisations qui ont inventé l'écriture. Jéricho est considérée comme la plus ancienne implantation urbaine du monde : 60 siècles avant Jésus Christ. Étroite bande de terre entre Égypte et Mésopotamie, la Palestine fut un perpétuel champ de bataille jusqu'à ce qu'elle soit occupée par les Romains. Jésus est sans aucun doute originaire de Palestine, plus précisément de Galilée, la région du nord dont la population n'était pas de pure race juive mais assurément très mélangée. C'est là, dans ce tout petit territoire - entre Capharnaüm et Jérusalem, il n'y a que 130 km - qu'il a vécu au commencement de notre ère, sous l'empereur romain Auguste au moment de sa naissance, puis qu'il s'est manifesté publiquement sous Tibère et que finalement il a été exécuté par le procurateur de Tibère, Ponce Pilate.
Les incertitudes
Certaines précisions sur les lieux et les dates restent douteuses. En réalité elles sont de peu d'importance..
* L'origine. Marc et Jean ne mentionnent pas le lieu de la naissance de Jésus. Seuls Matthieu et Luc, dont les récits divergent dans les détails, indiquent Bethléem, peut-être pour des raisons théologiques. Certains savants optent pour Nazareth. Bref, le lieu de la naissance de Jésus ne peut être déterminé de façon certaine. Il reste que pour tout le Nouveau Testament, la véritable patrie du Nazaréen c'est Nazareth en Galilée, bourgade sans importance. Dans les évangiles sont parfois évoqués très naturellement Marie, sa mère, Joseph, son père, ses frères et soeurs. D'après les sources, sa famille et ses concitoyens ont eu une attitude réservée à l'égard de son activité publique.
* L'année de naissance. Si Jésus est né sous l'empereur Auguste et sous le roi Hérode, l'année de sa naissance ne peut être postérieure à l'an 4 avant notre ère. De -6 à -4, voilà ce qu'estiment les spécialistes, sans pouvoir préciser davantage.
* L'année de la mort. D'après Luc, Jésus a été baptisé par Jean Baptiste la 15e année du règne de Tibère, donc en 27/28 de notre ère, ce qui est communément admis comme un fait historique. Toujours d'après Luc, Jésus avait alors environ 30 ans. Enfin, d'après l'ensemble de la tradition, il a été condamné sous Ponce Pilate (26-36). Il s'ensuit que Jésus a du mourir aux environs de l'an 30. Quant au jour précis de sa mort, il y a divergence entre les trois premiers évangiles et Jean ; soit le 14, soit le 15 du mois de nisan.
On ne peut apporter davantage de précisions, ce qui n'est pas étonnant : c'est courant dans toute l'histoire ancienne. Il n'en demeure pas moins que dans un laps de temps assez bien déterminé, et alors qu'il n'existe sur lui aucun document officiel, ni inscriptions, ni chroniques, ni actes judiciaires, cet homme, dont la vie publique se réduit au plus à trois ans - et peut-être seulement à une année, voire quelques mois dramatiques, en Galilée puis à Jérusalem, cet homme à lui seul a changé le cours du monde. Au point qu'on a commencé à dater les années à partir de lui, ce qui a mis en fureur aussi bien les artisans de la Révolution française que ceux de la Révolution d'octobre et ceux de l'époque hitlérienne. Aucun des fondateurs des grandes religions n'a oeuvré dans un cadre si étroit. Aucun n'a eu une vie aussi cruellement brève. Aucun n'est mort si jeune. Et pourtant quel résultat ! Un homme sur quatre se dit chrétien !
2 - Les documents
La foi chrétienne parle de Jésus, mais les historiens en parlent aussi. Pour les Chrétiens, il est Jésus Christ ; pour les historiens, il est Jésus, un personnage historique. Mais dans quelle mesure Jésus de Nazareth est-il accessible aux recherches de l'historien ? L'historien peut-il vraiment l'approcher ?
Plus qu'une biographie.
Je vous ai souvent mentionné quantité d'ouvrages, tous plus romancés les uns que les autres. En fait, tous les gens sérieux pensent qu'on ne peut pas écrire une biographie de Jésus. Pourquoi ? Tout simplement parce que les conditions nécessaires n'existent pas.
Il y a bien les anciennes sources romaines et juives ; je vous en ai parlé. Elles ne fournissent pas d'éléments utilisables en dehors du fait de l'existence historique de Jésus. En plus des quatre évangiles, il y a les évangiles "apocryphes", c'est-à-dire clandestins, exclus de l'usage officiel. Pourquoi ? Essentiellement parce qu'ils sont pleins de légendes étranges et d'imitations douteuses des paroles de Jésus. D'autre part ils ont été écrits beaucoup plus tard que les évangiles et donc, en cela, ils sont bien moins fiables que nos textes qui datent tous du Ier siècle.
Restent donc les quatre évangiles, témoignages originels de la foi chrétienne. Leur validité s'est trouvés confirmée au cours de deux millénaires d'usage courant. Mais les Évangiles ne rapportent pas le cours de la vie de Jésus, dans la diversité de ses étapes et de ses événements. Sur l'enfance, par exemple, on a peu de connaissances certaines, pas plus d'ailleurs que sur tout le reste de sa "vie cachée" jusqu'à l'âge de 30 ans;Et pour les quelques mois qui restent - au mieux trois ans - nous ne disposons pas de la condition nécessaire à toute biographie. Nous savons simplement que de la Galilée où il a prêché l'avènement du Règne de Dieu tout proche, il est allé ensuite à Jérusalem pour un affrontement avec le judaïsme officiel et à la condamnation à mort par les Romains. Mais les premiers témoins ne se sont pas particulièrement intéressés à ce parcours terrestre de Jésus , ni d'ailleurs à sa personnalité, à sa "vie intérieure". Pourquoi ?
Les évangiles ont été élaborés au cours d'un processus qui a duré de 50 à 60 ans. Jésus lui-même n'a pas laissé un seul mot d'écrit et n'a rien fait pour assurer la transmission fidèle de ses paroles. Les disciples ont commencé par raconter, avant d'écrire. Comme tout narrateur, chacun d'eux a insisté sur des points différents. Dès le début il a dû y avoir un récit très simple sur l'oeuvre, la doctrine, la destinée de Jésus. Ensuite, des écrivains ont recueilli tous ces éléments, beaucoup plus tard : ce qui avait été jusque là transmis oralement, et peut-être quelques parties déjà fixées par écrit, notamment les récits de la Passion et de la Résurrection : tout ce qui jusque là avait servi à la liturgie et à la prédication. Chacun de ces recueils de textes avait sa couleur propre en fonction du milieu d'où il provenait.
Les évangélistes ont ordonné les récits sur Jésus et ses paroles à leur gré, selon leur propre plan. Le récit de la passion, transmis fidèlement et unanimement par les quatre évangélistes, semble avoir constitué, assez tôt une unité distincte. L'accord des spécialistes se fait pour estimer que Marc a écrit le premier évangile. Notez bien qu'il est donc le premier à utiliser un genre littéraire tout nouveau , une forme de littérature qui n'avait jamais existé. C'est sans doute après 70 que Matthieu, un judéo-chrétien, et Luc, d'origine hellénique, écrivent leur évangile pour des communautés différentes. Pour cela, ils puisent à des sources diverses : essentiellement l'évangile de Marc et des recueils de paroles de Jésus qu'on appelle la source des Logia, que les spécialistes nomment Q (Quelle, la source en allemand). Ce n'est que plus tard qu'est rédigé l'évangile de Jean, totalement différent aussi bien sur le plan littéraire que sur le plan théologique.
Des témoignages engagés
De tout cela il résulte que lire les évangiles comme un procès-verbal sténographié, c'est faire fausse route. Les évangiles ne prétendent pas rapporter un récit historique. Du début à la fin, ils visent à annoncer Jésus, dans la lumière de sa résurrection, comme le Messie, le Christ, le Seigneur, le Fils de Dieu. Le mot "évangile" ne veut pas dire un "écrit évangélique", un bouquin, mais un message proclamé de vive voix : une bonne nouvelle, un joyeux message. Il s'agit de récits toujours accompagnés de leur signification et de leur retentissement. C'est ainsi que faisaient d'ailleurs tous les historiens de l'antiquité, à commencer par Hérodote et Thucydide chez les Grecs, Tite-Live et Tacite chez les Romains.
Les auteurs des évangiles voient Jésus avec les yeux de la foi. Leurs récits sont des témoignages de foi engagés et engageants. Il proviennent de croyants convaincus et désireux d'entraîner à la foi en Jésus-Christ. Pour eux, Jésus n'est pas seulement un personnage du passé. Il est celui qui vit aujourd'hui encore. Les évangiles visent à annoncer, à convaincre, à éveiller la foi. Ils sont un témoignage engagé. Certes, et même s'ils n'ont pas inventé arbitrairement les paroles et les actes de Jésus, ils étaient simplement convaincus de mieux comprendre que les contemporains de Jésus qui il était réellement et ce qu'il signifiait vraiment. Ils n'étaient pas des journalistes-reporters qui ont un devoir d'authenticité. Et comme cela se faisait à l'époque, ils n'ont pas hésité à couvrir de l'autorité personnelle de Jésus tout ce qu'ils avaient à exprime à son sujet, lui prêtant telle ou telle parole qui n'était pas de lui. D'où la question qu'il est légitime de poser : dans les évangiles, qu'est-ce qui est récit d'événements réels et qu'est-ce qui est interprétation ?
Au début du siècle dernier, beaucoup de spécialistes en étaient venus à manifester un large scepticisme en matière d'histoire : ils soutenaient que la foi véritable est une foi historique incertaine, ou bien une foi fondée dogmatiquement contre les résultats de l'histoire. Aujourd'hui, grâce au renouvellement de la problématique exégétique, les meilleurs exégètes, catholiques et protestants, allemands, anglais et français notamment, pensent que, certes, les évangiles sont des témoignages de foi, des documents de la foi pour la foi. Mais, de façon non moins certaine, les évangiles contiennent aussi des informations d'ordre historique. A partir des évangiles, disent-ils, il est possible d'enquêter sur le Jésus de l'histoire.
3 - Histoire et certitude de foi.
Les histoires de Jésus posent la question de son histoire réelle : non pas la question d'une biographie, mais la question de ce qui s'est réellement passé. Difficile à savoir, mais plus facile qu'autrefois, car les méthodes d'investigation ont fait de grands progrès. Le Nouveau Testament est, de loin, le livre le plus étudié au monde. On en compte 1500 traductions. Et grâce à la critique textuelle et littéraire ainsi que grâce à l'analyse des formes et des genres littéraires,menée de pair avec l'histoire des concepts, des thèmes et des traditions, les chercheurs se sont battus autour de chaque écrit, de chaque phrase et même de chaque mot.
* La critique textuelle a restitué le texte des écrits bibliques dans leur plus ancienne forme accessible, par des études sur la langue et sur le contenu et par le recours à l'histoire du texte.
* La critique littéraire a étudié les caractéristiques littéraires des écrits . Elle a recherché les particularités des milieux juridiques, religieux et sociaux supposés à travers la langue, les données historiques, les conceptions théologiques et morales. Elle a déterminé l'âge, l'origine, les destinataires et les particularités littéraires des écrits du Nouveau Testament. Et selon les méthodes de la littérature comparée, elle les a confrontés aux écrits juifs et grecs de l'époque et en a a décrit les originalités.
* La critique des formes et des genres littéraires a posé la question du milieu de vie de la communauté et de l'individu ; elle s'est penché sur le genre littéraire, sur la forme originelle. Elle a essayé de redéfinir la crédibilité historique de ces documents et le contenu de la tradition.
* L'histoire de la tradition a entrepris de rechercher les étapes qui ont précédé la mise en forme littéraire, les formulations les plus anciennes des hymnes, les fragments liturgiques, les règles de droit ; elle les a mis en relation avec le culte, la prédication, la catéchèse et la vie de la communauté,dans le but de découvrir ainsi les commencements décisifs de l'Église naissante.
Enquête sur Jésus
C'est ainsi que la méthode historico-critique fournit à la théologie un instrument qui lui permet de poser la question du Christ véritable, réel, historique, en des termes qu'on ne pouvait absolument pas envisager il y a cent ans... et même moins.
Les évangiles prétendent que le Christ vivant, annoncé par eux, est le même que l'homme Jésus de Nazareth, dont quelques-uns de leurs témoins ont partagé la vie pendant son activité sur la terre. Certes, les témoignages de foi ne sont pas de simples récits, mais ils contiennent un récit et se fondent sur des récits relatifs à ce Jésus réel. Mais dans quelle mesure ? Les évangiles sont-ils des témoignages réellement vrais ?
* Pour l'historien, c'est important de savoir. Le spécialiste de l'Orient ancien ou de l'Empire romain, comme celui de la religion juive ou de la religion chrétienne ne peut expliquer l'étonnante naissance du christianisme sans partir de son origine.
* Pour le croyant également, c'est important. Il est normal qu'il sache avec certitude si sa foi se fonde, en définitive, sur un événement, un fait historique, ou sur un mythe, sur des légendes ou des fictions, voire peut-être sur un malentendu.
*¨Pour le non-croyant lui-même, cette enquête est importante. C'st la seule manière pour lui de savoir s'il se bat contre un fantôme ou contre un adversaire réel. S'en prend-il seulement aux prolongements politiques et sociaux du christianisme,à son enveloppe historique, ou vraiment à la substance, au coeur même du christianisme ?
Donc, les théologiens de notre époque ne peuvent se passer de toute cette recherche critique : l'annonce de la Bonne Nouvelle est parfaitement incompréhensible si elle n'a son origine bien concrète dans la réalité historique de Jésus de Nazareth. Les premiers témoins ont annoncé le Christ ressuscité, mais cette annonce n'aurait aucune valeur s'il n'y avait correspondance, continuité entre le Christ d'après Pâques et le Jésus qui a vécu à telle époque, dans tel pays, celui auquel les écrits du Nouveau Testament font sans cesse référence.
Quand on examine sans prévention l'état des sources du Nouveau Testament, on peut estimer la tradition concernant Jésus comme relativement sûre, du point de vue de l'historien. Certes, le Jésus de l'histoire ne s'identifie pas à l'image du Christ telle qu'elle est présentée par la théologie traditionnelle, ni d'ailleurs aux représentations "libérales" du XIXe siècle, ni à l'image qu'en donnent ceux qui voient simplement en Jésus le prophète de la prochaine fin du monde. Si l'on veut exprimer quelque chose d'historiquement certain sur Jésus, il ne faut pas partir d'une théorie ; il faut procéder avec prudence à partir des paroles et des actes de Jésus dont l'authenticité est certaine et les analyser un par un.
La méthode, pour cela, consiste à retenir les éléments qu'on ne peut expliquer ni déduire à partir du judaïsme contemporain de Jésus et du christianisme primitif. De cette manière, on peut dégager la part irréductible de l'apport authentique de Jésus. C'est un minimum, mais ce n'est pas le tout : Jésus a été un homme de son temps et a certainement partagé beaucoup de points communs avec le judaïsme de son époque.
Bref, une analyse historique globale des évangiles permet de montrer les trois couches superposées : le travail de rédaction de l'auteur, l'interprétation et l'explication dues à la communauté chrétienne d'après Pâques, et enfin, les paroles et les actes du Jésus d'avant Pâques. Vous voyez combien est minutieux et difficile le travail des chercheurs. Il suppose beaucoup de "métier", une objectivité dépourvue de préjugés, aussi bien confessionnels que scientifiques ou personnels. Aussi faut-il nous souvenir que d'une recherche historique, quelle qu'elle soit, on ne saurait attendre une certitude incontestable, d'ordre mathématique Notre connaissance - à commencer par la question de savoir si notre père légitime est notre père réel - s'édifie toujours à partir de vraisemblances. Comme tout savoir humain, le savoir de la foi est fragmentaire. Il faut toujours rester conscient de ses limites.
Dans le cas présent, nous pouvons répondre, au sujet de l'examen méthodique des témoignages de foi sur le Jésus de l'histoire :
* à la question : "est-elle possible ?" Oui, parce qu'entre la prédication de Jésus et la prédication des apôtres,donc entre le Jésus de l'histoire et la première prédication chrétienne, il y a continuité.
* à la question : "est-elle justifiée ?" Oui, parce que la première prédication chrétienne sur Jésus ne peut naître et ne peut être comprise qu'à partir de l'histoire de Jésus.
* à la question : "est-elle nécessaire ?" Oui, parce que c'est la seule manière de préserver la prédication chrétienne - celle des premiers temps comme celle d'aujourd'hui du soupçon de n'être pas fondée sur un fait historique, mais d'être un simple mythe.Certes une chronologie, une psychologie, en somme un portrait "achevé" de Jésus ne peuvent être reconstitués. Mais on peut très bien restituer les éléments et les contours caractéristiques de la prédication, du comportement et du destin de Jésus. Son histoire personnelle s'inscrit dans les témoignages de foi que sont les évangiles. Dans la communauté vivent encore des souvenirs, des expériences, des impressions, des traditions concernant Jésus de Nazareth, ses paroles, ses actes, sa passion. Nous ne pouvons pas entendre Jésus directement, mais nous l'entendons à travers les témoignages de foi que sont les évangiles. Le christianisme s'intéresse à Jésus tel qu'il nous rencontre ici et aujourd'hui. Il s'intéresse à ce que Jésus a à nous dire dans l'horizon actuel de l'homme et de la société. Pour autant, le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi ne peuvent pas être dissociés l'un de l'autre. Et grâce aux progrès opérés par les exégètes et grâce aux résultats de la méthode historico-critique, jamais aussi bien que de nos jours on n'a pu connaître le véritable, l'originel Jésus de l'histoire (sauf, évidemment, les chrétiens de la première génération.)
Une foi responsable
Grâce à la science théologique, grâce à une étude sur Jésus menée avec les ressources d'une pensée critique et dans le respect des faits,il est désormais possible de vérifier la tradition de foi, de répondre de la foi devant soi-même et devant les autres. Une crédulité sans esprit critique, aussi bien qu'une incroyance critique peuvent être ébranlées par un examen critique. La foi elle-même, en revanche, peut être purifiée d'une superstition naïve comme d'une idéologie intéressée. Il reste que la foi suppose une décision personnelle. Si on pouvait l'établir sur preuves, elle ne serait plus la foi. Et pourtant, ma décision de foi doit être fondée, réfléchie, responsable.
La foi chrétienne n'est pas seulement une affaire d'intelligence. Elle n'est pas non plus simplement un mouvement du coeur ; elle ne consiste pas seulement en un effort de la volonté. Elle est plutôt un acte de confiance inconditionnelle, par lequel l'homme tout entier, avec toutes les forces de son esprit, consent et adhère au message chrétien et à celui qu'il annonce. C'est donc tout à la fois un acte de l'intelligence, de la volonté et du coeur, un acte de confiance qui inclut l'acceptation d'une vérité.
La critique historique est donc un soutien de la foi. Elle n'est pas indispensable : il y a eu des croyants avant que cette science n'existe. Mais elle peut être, surtout de nos jours, un moyen utile pour affermir notre foi. L'histoire le prouve : la connaissance préserve du fanatisme religieux et de l'intolérance. Seuls la foi et le savoir conjugués, le savoir qui croit et la foi qui sait peuvent, de nos jours, embrasser le vrai Christ dans son ampleur et dans sa profondeur.
Avec ce travail d'approche se termine la première partie de notre étude. Relisez le plan des six séquences et vous verrez le chemin parcouru. Désormais nous allons entrer dans le vif du sujet, tel qu'il fut énoncé dans le titre : qu'est-ce qu'être chrétien ? Deux grandes parties : premièrement, le programme du message évangélique ; et deuxièmement la pratique chrétienne. Six mois ne seront pas de trop pour aborder ces deux grandes questions.(A suivre, début juillet)