THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2009 : Chrétien ?
(Suite)
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3e séquence - Appellations contrôlées.
(Mars 2009)
1-Charismes, fonctions, services.
Unité ne veut pas dire uniformité. Au contraire, la vie d'une communauté nécessite la diversité. Dès le début de son histoire, l'Eglise a connu des théologies et des modes de vie différents; des tensions et des problèmes sociaux, et donc des conflits souvent âpres. A Jérusalem, les "hébreux" s'opposent aux "hellénisants". A Antioche, les champions d'un christianisme libéré des obligations de la Loi s'opposent aux partisans de la circoncision ; à Corinthe, Paul intervient pour demander que cessent les querelles de personnes, et de même il en vient à s'opposer aux "judaïsants" qui sapent son travail en Galatie.
Ainsi, aujourd'hui, l'Eglise sera pluraliste. Non seulement une Eglise faite de nombreuses communautés, mais aussi des communautés composées d'une pluralité de groupes, d'écoles, de tendances, de théologies et de modes de piété différents. Le seul point qui importe, c'est qu'aucun groupe ne rompe le dialogue avec les autres et ne devienne une hérésie. L'adhésion à Jésus Christ doit l'emporter sur toute faction dans la communauté. Mais pour l'instant, nous ne regarderons qu'un seul aspect de ce pluralisme : comment une communauté doit-elle se structurer pour pouvoir accomplir sa tâche avec aisance et souplesse.?
1 - Pluralisme sans uniformité.
Si on relit le Nouveau Testament, on constate une grande diversité dans l'Eglise des premiers temps. On trouve pluralisme et différenciation des fonctions, des tâches et des services On ne peut pas parler alors du ministère. Pour la prédication, on distingue les fonctions d'apôtres, de prophètes, de docteurs, d'évangélistes, d'exhortateurs. Pour les services d'assistance, on remarque les fonctions de diacres et diaconesses, de distributeurs d'aumônes, de soignants, de veuves au service de la communauté. Enfin, pour la direction de la communauté, les fonctions de premier, de président, d'épiscope, de pasteur. Paul, dont les communautés sont les mieux connues, considère toutes ces fonctions communautaires comme des dons de l'Esprit, comme une participation au pouvoir du Seigneur, comme un appel de Dieu à un certain service dans la communauté, bref, comme des charismes.
Le charisme est donc un phénomène, non pas d'abord extraordinaire, mais quotidien ; non pas uniforme, mais diversifié ; non pas limité à quelques personnes, mais absolument général dans l'Eglise. Ce qui veut dire que tout service, permanent ou occasionnel, est, d'après Paul, un charisme, un service d'Eglise. Tout service, officiel ou non, jouit d'une autorité réelle quand il est exercé dans l'amour au profit de la communauté. Mais alors, comment préserver l'unité ? L'unité dans l'Eglise, Paul ne l'attend pas du nivellement des diversités, mais de l'action de l'unique Esprit qui donne à chacun son charisme.
Deux critères servent à discerner les esprits :
* Un charisme authentique attache à Jésus et à sa seigneurie.
* Le charisme authentique est communautaire. Tout service dans l'Eglise se signale par un comportement de solidarité, par une entente collégiale, par la décision collective, par la communication et le dialogue.2 - Un service et non une dignité.
Dans le Nouveau Testament, un service n'a jamais un caractère de titre honorifique. La notion de dignité ecclésiastique n'existe pas. C'est pourquoi le Nouveau Testament évite d'employer des termes profanes signifiant "dignité", car ceux-ci expriment un rapport de domination. Il n'emploie qu'un terme tout-à-fait usuel, non religieux, et même de valeur assez dépréciative, qui en aucun cas ne fait penser à des idées d'autorité, de supériorité, de commandement ou de puissance. Il s'agit de diakonia, mot grec qui se traduit par "service" et plus précisément par "service de la table." . On pourrait traduire le mot en français par "domestique". Sur ce point, c'est Jésus qui lui-même a posé une règle immuable.
Certes, il y a une autorité dans l'Eglise. Mais une autorité n'est fondée que sur le service et non sur la violence, sur des prérogatives et des privilèges. Tout en faisant attention à l'usage des mots, car même le discours sur le "service" peut ne recouvrir qu'une fausse humilité et servir d'écran de fumée pour cacher l'exercice d'une véritable domination. Faisons donc bien attention aux termes employés :
* Le mot "pouvoir" peut s'employer en bonne ou mauvaise part. Même dans l'Eglise on ne peut pas éliminer le pouvoir, mais il peut s'exercer sincèrement en faisant servir les fonctions au bien commun.
* L'exercice du pouvoir comme domination, c'est tout autre chose : il vise à maintenir une position privilégiée ou à manipuler les hommes à des fins personnelles.
* L'exercice du pouvoir dans l'Eglise ne se justifie que par le service et se limite à son caractère de service.
* Pouvoir et service ne sont pas opposés, mais l'exercice du pouvoir comme domination et l'exercice du pouvoir comme service le sont.
* Il faudrait supprimer dans l'Eglise, parce que trompeur, le terme de hiérarchie, c'est-à-dire étymologiquement de "pouvoir sacré", terme introduit tardivement par le pseudo-Denys (probablement un moine syrien qui vivait vers l'an 500)3 - Service de gouvernement et non sacerdoce.
Le mot "prêtre", lorsqu'il est employé par le Nouveau Testament, désigne toujours le "sacrificateur" des religions anciennes, juives ou païennes (hiéros en grec, sacerdos en latin). Ce sont ceux qui sont chargée d'offrir des sacrifices dans les temples. Par contre le mot "prêtre" traduit le mot grec "presbuteros", qui désigne l'ancien, le vieux. (D'où, par exemple "presbytie"). Il faut éviter la confusion. Nos prêtres n'ont pas pour qualification de pouvoir égorger les bêtes. On ne trouve qu'une fois le mot hiéreus, sacerdos, appliqué à Jésus ressuscité, dans un écrit tardif, l'Epitre aux Hébreux, qui présente Jésus comme le grand-prêtre qui, par le sacrifice de sa vie fait une fois pour toutes, remplace définitivement tous les sacrifices de l'ancienne Alliance. C'est à partir de là qu'on en vient à la réflexion ultérieure de la communauté qui conclut au sacerdoce commun de tous les fidèles.
Donc si l'on s'en tient au Nouveau Testament, on doit exclure les termes de "sacerdoce", "ecclésiastique", "clerc" en tant que qualification particulières et exclusives réservées aux seuls responsables du service ecclésial. Tous les fidèles sont "prêtres". Au lieu de parler de sacerdoce ministériel, il serait plus correct de choisir des appellations de fonction. On en trouve déjà dans le Nouveau Testament : président, épiscope, diacre, ancien. On a gardé évêque, diacre, prêtre, pasteur. Pourquoi, pour aller dans le même sens, ne pourrait-on pas aujourd'hui parler de "service de direction", de "service de présidence", comme on parle de "curé" ?
Des structures multiples
Dans l'Eglise, tous les services n'ont pas la même importance. D'ailleurs, certains sont permanents et officiels, tandis que d'autres sont plus occasionnels. Certains charismes, énumérés par Paul, sont des dons et vertus privés, accordés par Dieu et exercés au service d'autrui selon les circonstances, tandis que d'autres (apôtres, prophètes, docteurs, évangélistes, évêque, diacre, ancien) apparaissent comme des fonctions officielles, exercées en permanence et régulièrement. Dans ce deuxième type de service, on peut parler de la structure diaconale de l'Eglise.
1 - L'apostolat fondateur
Parmi tous les services communautaires permanents et officiels, l'apostolat a une fonction et une signification fondatrices pour l'Eglise de tous les temps. Les Apôtres sont les premiers témoins et messagers. Ils ont la primauté sur tous les services ecclésiaux. En tant que premiers témoins, ils ont en effet prêché le message du Christ, fondé et dirigé les premières Eglises et veillé en même temps à l'unité de ces Eglises. C'est sur eux que l'Eglise est bâtie. Et la succession apostolique, fondamentale pour la communauté, n'est donc pas la continuité de certains ministères, mais celle de toute l'Eglise et de chaque chrétien en particulier. Elle consiste à renouveler en tout temps l'accord concret avec les Apôtres. Ce qui est exigé en effet est la conformité constante avec le témoignage des Apôtres qui nous a été transmis par le Nouveau Testament. La succession apostolique est donc d'abord une succession dans la foi , comme dans le service et la vie apostoliques. Restera donc à discuter d'une éventuelle succession particulière du service de direction.
2 - Différentes organisations de vie.
Jésus lui-même n'a fait que définir l'esprit dans lequel s'exerceraient les services dans l'Eglise, mais il n'a pas donné d'instructions concernant l'organisation concrète de la communauté. D'après cette norme de Jésus, des formes de vie très diverses ont pu s'élaborer dans les différentes communautés, selon les temps et les lieux. Deux grands types d'organisation se sont créés :
* Dans les communautés fondées par Paul, ce sont les communautés qui ont institué elles-mêmes les services d'organisation et de direction qui leur ont paru nécessaires à la vie de la communauté. Paul, dans les épîtres qui sont certainement de lui, ne parle jamais d'ordinations ni de prêtres. Mais à la longue, on en vint obligatoirement à inventer une organisation, particulièrement après la mort de Paul. On trouve alors rapidement mis en place le système des presbytres-épiscopes et bientôt le rite de l'ordination par l'imposition des mains.
* Dans la tradition palestinienne, très tôt on trouve une institutionnalisation grâce au collège des anciens et à l'ordination empruntés au judaïsme.Donc, à la fin de l'époque néotestamentaire, on trouve les deux types de fonctionnement qui cohabitent selon les lieux et les traditions. D'où la question qui se pose à nous : dans ces conditions, peut-on encore affirmer l'existence d'une "succession apostolique" distincte pour le service de gouvernement ?
3 - La succession apostolique particulière.
Du point de vue historique, on ne peut pas soutenir que les évêques sont les successeurs des Apôtres, au sens direct et exclusif. D'ailleurs, à priori, puisqu'ils sont les premiers témoins, choisis et envoyés en mission par Jésus Christ, les Apôtres ne peuvent être ni remplacés ni représentés par aucun successeur. Mais s'il ne pouvait y avoir de nouveaux apôtres, la mission apostolique et le service apostolique n'en demeuraient pas moins nécessaires. D'ailleurs, mission et service sont désormais pris en charge d'abord par l'Eglise tout entière : elle est l'Eglise Apostolique.
Mais dans un sens purement fonctionnel, et notamment à propos du service de gouvernement, si les évêques et les prêtres en sont personnellement chargés, c'est qu'ils sont investis d'une succession apostolique particulière entendue dans un sens fonctionnel. Ils sont chargés de la fondation et de la direction des Eglises, dont la racine est la prédication de l'Evangile. Ce service n'a pas été institué directement par le Christ, mais il est le résultat d'une longue et discutable évolution historique. C'est progressivement que s'est dessinée une scission entre "clergé" et "laïcs". De même, progressivement, on est passé d'une pluralité d'évêques vivant la collégialité à l'épiscopat monarchique. Enfin, avec l'expansion de l'Eglise des villes vers la campagne, l'évêque devient le président de tout un territoire, un diocèse. C'est l'évêque dans le sens actuel. L'Eglise, alors, a tendance à se sédentariser.
Aujourd'hui, la conception presbytérale et épiscopale de l'Eglise, qui s'est imposée de fait après la période apostolique, doit donc rester ouverte, au moins par principe, à d'autres solutions qui ont été en vigueur au début du christianisme. Sur le plan de la mission, une célébration valide de l'eucharistie, par exemple en Chine, est possible, en principe, même sans prêtre. De même, sur le plan de l'œcuménisme, il faudrait en arriver à reconnaître la validité des services et des sacrements même dans les Eglises dont les présidents ne relèvent pas historiquement de la "succession apostolique" particulière.
4 - Constantes et variables.
L'Ecriture nous apprend qu'il y a dans le Nouveau Testament différents modèles d'organisation et de gouvernement de la communauté, qui ne sont pas réductibles les uns aux autres, même si au cours des âges ils se sont amalgamés. Il n'y a pas qu'une seule conception possible de la communauté. A condition de vérifier des conditions nouvelles à la lumière du Nouveau Testament, on peut inventer, à condition que le service de gouvernement soit un service pour la communauté, qui n'admet pas de rapport de domination.
Reste une question de première importance pour l'œcuménisme et malheureusement plus embarrassante que toute autre : la chrétienté a-t-elle besoin d'un service universel de gouvernement superposé à tous les autres services de gouvernement ? A-t-elle besoin d'un pape ?
On en parlera le mois prochain.
(A suivre, début avril)