THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2009 : Chrétien ?
(Suite)
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4e séquence - Une Eglise monarchique ?
(avril 2009)
Dans son édition du 15 mars dernier, le journal La Croix dressait un tableau des grands schismes qui sont survenus depuis 2000 ans dans l'Eglise. L'image était comme un diapason : le manche illustrait le 1er millénaire. On y trouve quatre grands schismes qui ont donné naissance à des Eglises dont certaines subsistent encore aujourd'hui en Orient. Puis il y a les deux branches du diapason, nées d'une séparation radicale survenue en 1054 entre Orient et Occident, ce qui a donné deux Eglises, l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique. Or, dans l'Eglise orthodoxe, en 1000 ans, il n'y a eu qu'une séparation (les vieux-croyants russes en 1666). Par contre, les ruptures se sont multipliés dans l'Eglise catholique ; la première fut le grand schisme d'Avignon qui dura 40 ans ; puis ce furent les Anglicans, les Luthériens, les Calvinistes, d'autres Eglises protestantes ; puis la petite Eglise de Vendée au temps de Napoléon, les Vieux-Catholiques en 1870, l'Eglise chinoise, et enfin les Lefebvristes en 1988.
Or, il faut le reconnaître : aussi bien la division entre les Orthodoxes et les Catholiques que les grandes fractures du temps de la Réforme sont fondamentalement liées à la question de la papauté romaine. Ce ne fut pas l'unique cause de rupture, mais la question fut centrale, dans la plupart des cas. Nous essaierons donc d'envisager la question de l'autorité suprême dans l'Eglise avec lucidité et sérénité.
1 - Un rappel historique.
Les services rendus par la primauté romaine à l'unité de l'Eglise et à l'Occident tout entier sont incontestables. Ainsi, au temps des grandes invasions, alors que toutes les institutions étatiques étaient détruites et que la capitale de l'Empire romain elle-même n'existait plus, les peuples de l'Occident ont manifesté leur reconnaissance envers le siège romain, la Cathédra Petri, seule institution à tenir ferme, comme un rocher inébranlable. C'est le pape saint Léon qui a préservé Rome d'Attila et de Genséric. Rocher ferme qui a permis aux jeunes Eglises d'Occident, secouées par la tempête, de tenir bon et même de s'organiser. Dès cette époque, c'est grâce au pape que l'Eglise n'est pas tombée entre les mains de l'Etat et a su préserver sa liberté face aux rois, aux empereurs ; plus tard face aux princes et à tous les systèmes totalitaires. C'est là un service authentique pour l'unité de la chrétienté.
Mais, il faut également le reconnaître, si la primauté romaine, au temps du bas-empire et du haut-moyen-âge a permis l'unité de l'Eglise d'Occident, le centralisme et l'absolutisme romain sont à l'origine des grandes scissions : d'abord l'Orient orthodoxe, puis le Nord protestant se sont détachés de Rome. Alors qu'il eût fallu chercher à tout faire pour réparer les divisions alors qu'il en était encore temps, par un véritable retour aux sources, bien au contraire les bastions du pouvoir ont cherché à se renforcer à tout prix. Et même si, à l'intérieur même de l'Eglise, des voix se sont fait entendre pour rappeler les origines, le raidissement s'est accentué en ce qui concerne les formes du pouvoir papal, bien que les mérites de la papauté restent non négligeables en ce qui concerne l'unité et la liberté de l'Eglise catholique, menacées en particulier par l'absolutisme étatique.
Ce raidissement est particulièrement manifeste dans la doctrine sur l'Eglise. Dans les traités de théologie jusqu'à une époque récente, l'Eglise est présentée comme une société hiérarchique, où le pouvoir absolu est entre les mains du pape, L'Eglise est une monarchie, avec une structure pyramidale Face à l'absolutisme étatique des XVIIIe et XIXe siècles et contre le laïcisme, on présenta l'Eglise comme une société parfaite, pourvue de tous les droits et de tous les moyens. Ce qui conduit logiquement au Concile Vatican I, en 1870, tenu sous le signe de l'antilibéralisme et de l'antigallicanisme, où l'on définit l'infaillibilité pontificale.
Heureusement, il y a eu, de nos jours, Vatican II. Renversement de vapeur, même si les textes votés n'ont pas encore trouvé leur application pleine et entière dans les faits. Plus d'Eglise pyramidale, plus de monarchie absolue. L'Eglise est définie comme le "Peuple de Dieu", où tous sont frères, parce que tous enfants de Dieu. Et dans ce "peuple", il y a des fonctions qui ne sont pas pensées en termes de pouvoirs, mais en termes de services. On est donc à l'opposé de la mentalité qui régnait majoritairement à Vatican I. Il est vrai qu'en 1870 on était encore en plein XIXe siècle, où le monde politique, culturel, religieux en était encore à la Restauration, au traditionalisme romantique et à l'absolutisme politique.
2 - La légitimité supérieure.
Nombreuses ont été - et sont encore aujourd'hui - les objections élevées par les orthodoxes et les protestants contre la justification biblique et historique de la primauté de Pierre et des évêques de Rome. Ce n'est pas le lieu ici de les développer. Cependant il faut relever que toutes les difficultés tournent autour de trois questions : la primauté de Pierre est-elle fondée ? Si oui, faut-il la maintenir après Pierre ? Si oui, la succession de la primauté de Pierre est-elle nécessairement attribuée à l'évêque de Rome.
Ces questions sont des questions d'histoire. Pourtant il y a une chose que ne peut contester le théologien orthodoxe ou protestant, c'est que la primauté de service d'un seul individu dans l'Eglise n'est pas contraire à l'Ecriture. Bien plus, théologiens orthodoxes et protestants admettront vraisemblablement qu'une telle primauté de service peut être conforme à l'Ecriture, du moins si elle est fondée et exercée conformément à l'Ecriture. Luther et Calvin l'admettaient d'ailleurs volontiers.
Mais le point capital n'est pas de prouver le fait historique. Le point capital, c'est la succession dans l'esprit, c'est-à-dire dans la mission et la tâche de Pierre, dans le témoignage et le service de Pierre. On parle de succession apostolique, mais il n'est pas certain que tous les maillons de la chaîne des papes, depuis Pierre jusqu'à nous, aient vécu selon le témoignage et dans l'esprit de service de Pierre. Si le successeur actuel remplit bien sa tâche selon l'esprit de service qui était celui de Pierre, peu importe qu'il y ait des trous dans l'arbre généalogique. Pas besoin de parler de "succession" apostolique continue. Ce qui importe, ce n'est pas la chaîne successorale, mais la réalisation, l'exercice, l'acte, le service effectif. Jean XXIII n'avait nul besoin de revendiquer une succession : il se comportait comme un roc (tu es pierre) authentique, capable de redonner à la chrétienté solidité et cohésion. Il puisait dans sa foi solide le pouvoir de "conforter et d'encourager ses frères". L'humanité n'est pas toute devenue catholique pour autant, mais elle a spontanément senti que cette façon d'agir avait sa source dans l'évangile de Jésus Christ. C'est cette légitimité-là qui l'emporte sur toute autre.
3 - Pouvoir et service de Pierre.
Selon la conception catholique, Pierre est le roc et le pasteur dont la fonction doit être de garantir et de renforcer l'unité de l'Eglise. Or, dans les faits, ce service est devenu un obstacle énorme, impossible à écarter, à surmonter ou à contourner : la division est là. Beaucoup se demandent aujourd'hui si cette division effective n'est pas due au fait que le service de Pierre s'est de plus en plus présenté aux hommes comme un pouvoir de Pierre. Les faits sont là : la papauté, au fil des siècles, est devenue une puissance mondiale et un pouvoir ecclésial absolutiste.
Il eût pu en être autrement. Il eût été possible que la communauté de Rome et son évêque, qui de fait disposaient d'exceptionnelles possibilités de service, recherchent une primauté vraiment pastorale, dans le sens d'une responsabilité spirituelle, d'une animation par l'intérieur, d'un souci actif de la bonne marche de toute l'Eglise. Pendant les deux premiers siècles au moins, il en fut ainsi. Et Rome, par la suite, aurait pu être une instance universelle de médiation et de conciliation dans l'Eglise. Primauté, non de domination, mais de service désintéressé.
Face à l'unité perdue, la question qui se pose aujourd'hui plus que jamais est celle de l'avenir. Est-il possible de se détourner de cette primauté de domination pour progresser vers l'antique primauté de service ? Il y a eu, au cours de l'histoire, des périodes de développement de la puissance pontificale, puis des périodes d'abaissement. Mais ne peut-on imaginer une période de renoncement spontané à la puissance ? Sans le renoncement à la puissance spirituelle, la réunification des Eglises chrétiennes séparées est tout aussi impossible qu'une rénovation radicale de l'Eglise catholique selon l'Evangile. C'est difficile. Ce n'est pas impossible, pour celui qui a saisi le message de Jésus et le sermon sur la montagne. Mais la réflexion sur la personnalité de Pierre peut être, pour cela, d'une certaine utilité.
4 - Trois questions.
Le véritable Pierre se serait-il reconnu dans l'image que Rome s'est faite de lui ? Il ne fut pas le prince des apôtres, mais, jusqu'à la fin de sa vie, un modeste pécheur devenu pêcheur d'hommes, qui a voulu servir en marchant sur les traces de son maître ; et en même temps un homme avec ses déficiences. Chacun des trois textes classiques dans Matthieu, Luc et Jean, qui nous parlent d'une prééminence de Pierre est accompagné d'un contrepoint : à chacune des trois grandes promesses correspond une défaillance.
* Première tentation de Pierre : elle a consisté à se placer au-dessus du Seigneur, à prendre le Maître "à part" avec condescendance, à mieux savoir que lui comment il fallait faire et comment il faudra poursuivre (Matthieu 16, 22). C'est la voie triomphaliste, qui consiste à passer à côté de la croix. Pierre passe de la reconnaissance à la méconnaissance, il prend parti pour l'humain et non pour Dieu . Et Jésus lui lance : "Arrière, Satan ! Tu m'es un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes."
* Deuxième tentation (Luc 22, 34) Jésus s'inquiète pour la foi de ses disciples. Pierre lui répond avec assurance que sa foi à lui est solide, inébranlable. Il oublie qu'il ne tient que grâce à la prière du Seigneur. La foi, la fidélité, il les recevra comme un don. Or Pierre se surestime : il ne place pas sa confiance dans le Seigneur ; alors vient l'heure du chant du coq, l'heure du reniement. Pierre ne connait plus son Seigneur.
* Troisième tentation (Jean 21, 20) Jésus demande par trois fois à Pierre s'il l'aime. C'est à cette condition qu'il lui sera confié la direction de la communauté. Mais Pierre ne regarde pas Jésus ; son regard se détourne vers celui qui l'a toujours dépassé en amour. Il demande alors à Jésus quel est le devenir de son compagnon ; et Jésus l'envoie promener : "Que t'importe !" Cela ne le regarde pas."Que t'importe ! Toi, suis-moi." C'est l'injonction que Jésus adresse à tous les papes. La charge est là, bien souvent lourde à porter. Il est loin le temps où Léon X à l'époque de Luther, parlait de "jouir de la papauté reçue de Dieu". Plus que n'importe quel autre service, celui-ci est sous la dépendance de la grâce de Dieu. Le pape est en droit d'attendre beaucoup de ses frères. Mais leur contribution est souvent faible et de peu de secours. Ce qui est précieux, ce n'est pas uns soumission servile, mais l'intercession quotidienne, la coopération loyale, la critique constructive, l'amour sincère.
(à suivre, début mai 2009)