THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2009 : Chrétien ?
(Suite)
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5e séquence - Une grande tâche
(mai 2009)
Aujourd'hui, nous allons commencer par nous demander s'il y a encore des différences entre les diverses Eglises qu'on désigne sous l'appellation de "chrétiennes" En particulier entre l'Eglise catholique et les Eglises protestantes. Que signifie, au juste, aujourd'hui, être "catholique" et être "protestant" ?
Catholique et protestant.
Je crois qu'on peut dire qu'aujourd'hui les différences entre nous ne tiennent plus aux divergences doctrinales traditionnelles relatives, par exemple, à l'Ecriture et à la Tradition, au péché et à la grâce, à la foi et aux œuvres, à l'Eucharistie et au sacerdoce, au pape et à l'Eglise. Sur tous ces points doctrinaux, l'accord est possible, au moins théoriquement, et sur certains de ces points, l'accord est déjà réalisé. Le groupe des Dombes, qui réunit des théologiens catholiques et protestants depuis des décennies, a bien déblayé le terrain sur un certain nombre de ces sujets. Quand j'entends le pape Benoît XVI déclarer, il y a quelques mois, que Luther avait raison (au sujet de la question du salut par la foi ou par les œuvres), je me réjouis de voir quels pas considérables ont été faits de nos jours en la matière. Il suffit que les autorités ecclésiastiques entérinent effectivement les conclusions de la réflexion théologique. La différence déterminante réside aujourd'hui dans des attitudes traditionnelles fondamentales qui se sont figées depuis la Réforme, mais aujourd'hui, ces divergences d'attitudes peuvent être surmontées.
* Est catholique, dans son attitude fondamentale, celui qui est attaché de façon toute spéciale à l'Eglise catholique, c'est-à-dire à l'Eglise qui est entière, totalisante et intégrale. Concrètement, c'est être attaché à cette continuité de la foi et de la communauté de foi qui subsiste dans le temps en dépit de toutes les ruptures (c'est la Tradition) et également attaché à cette universalité de la foi et de la communauté de foi ouverte à tous les groupes de la terre.
* Est protestant dans son attitude fondamentale celui qui, pour toutes les traditions, doctrines et pratiques de l'Eglise, est attaché de façon toute spéciale à un constant recours critique à l'Evangile (à l'Ecriture) et à une constante réforme pratique selon la norme de l'Evangile.
* Pourtant, correctement comprises, les attitudes fondamentales de type "catholique" et de type "protestant" ne s'excluent en aucune façon. Aujourd'hui même un catholique de naissance peut avoir une mentalité vraiment évangélique, et le protestant de naissance une mentalité vraiment catholique, de sorte que, dès à présent, d'innombrables chrétiens de par le monde, en dépit des oppositions de la part des autorités ecclésiastiques, vivent en fait une "catholicité évangélique" orientée par l'Evangile; ou une "évangélicité catholique" inspirée de l'universalité catholique. Bref, ils réalisent une authentique œcuménicité. Ainsi un chrétien peut être aujourd'hui chrétien dans la plénitude du terme sans renier son héritage confessionnel et sans entraver l'avènement d'un œcuménisme plus accompli. Etre chrétien aujourd'hui veut dire être oecuméniquement chrétien.
Qu'est-ce qui est en jeu aujourd'hui, pour toutes les Eglises ? Au fond, c'est uniquement la cause de Jésus-Christ. C'est-à-dire la cause de Dieu et la cause de l'homme, la volonté de Dieu et le bien total de l'homme. La cause de Jésus-Christ, c'est la grande tâche de la communauté de foi : présenter Jésus comme celui qui est la mesure de toute chose. L'Eglise, en proclamant Jésus Seigneur, fait la même chose que Jésus lorsqu'il annonçait le règne de Dieu. Encore une fois, l'Eglise n'est pas le Royaume de Dieu, mais elle est le héraut et le témoin du royaume de Dieu.
Pour être crédible, il faut que l'Eglise prêche le message de Jésus non pas d'abord aux autres, mais à elle-même ; et que, avant de le prêcher, elle le met en pratique en accomplissant les commandements de Jésus. Ce que les Eglises n'ont pas toujours commencé à faire, car il est plus facile de dire "Seigneur, Seigneur", que de faire la volonté du Père. La vénération et l'adoration cultuelles ne remplaceront jamais la démarche du disciple qui suit les pas de son maître. Que sert de prêcher et d'organiser, à quoi servent tous les droits, les privilèges, les collectes du Denier du culte si l'Eglise n'est pas crédible ? Or toute la crédibilité des Eglises dépend de leur fidélité à Jésus et à sa cause. Sur ce point et en dépit de la distance chronologique, l'Eglise se trouve devant les mêmes positions et options socioreligieuses fondamentales que Jésus a connues ; à la même croisée de l'establishment, de la révolution, de la résignation et du compromis. C'est en fonction de ces directions possibles qu'elle a dû chercher sa voie. Ainsi le Christ reste celui qui fait autorité en toutes choses. Nous allons donc préciser cela.
Une Eglise provisoire.
Les autorités religieuses juives du temps de Jésus annonçaient le règne perpétuel de Dieu inauguré à la création ; Jésus, lui, par contre, annonce la venue du royaume de Dieu à la fin des temps. Si donc l'Eglise, à la suite de Jésus, veut annoncer la venue du royaume de Dieu, elle doit se plier à un certain nombre d'impératifs. Et d'abord, elle ne doit jamais faire sa propre propagande en sa faveur . Il lui faut au contraire détourner les regards d'elle-même pour les orienter vers la présence de Dieu, qui a déjà fait irruption en Jésus vivant et qu'elle attend elle aussi, comme achèvement de sa mission. Elle ne doit pas se donner comme un but en elle-même: elle n'est pas une réalité qui se suffit à elle-même. Elle n'est pas la fin, la consommation de l'histoire du monde, elle n'est pas la réalité définitive. Ce ne sont pas ses déclarations, ses définitions qui doivent demeurer pour l'éternité, mais la Parole du Seigneur. C'est le règne de Dieu qui domine le temps, et non les institutions des Eglises.
Les Eglises ne devraient jamais user des méthodes de l'(hégémonie, de la stratégie, des intrigues de ce monde. Elles ne devraient jamais cultiver le faste et la magnificence, ni distribuer titres et charges honorifiques, ni accumuler plus qu'il n'est nécessaire l'argent et la propriété. Ce ne sont pas les hommes qui sont faits pour l'Eglise, mais l'Eglise qui est faite pour les hommes et pour la cause de Dieu. ne communauté de foi qui oublie qu'elle est éphémère, provisoire, intérimaire est une communauté surfaite : elle n'a aucun véritable avenir, tandis qu'une communauté qui ne cherche pas son but en elle-même est capable de tenir à travers les vicissitudes de l'histoire. Elle sait qu'elle n'a pas à proposer une patrie permanente, qu'elle n'a même pas à s'étonner d'être précaire, assaillir de doutes, arrêtée par des obstacles, accablée de problèmes. N'étant que provisoire, elle peut garder l'espérance : "les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle."
Une Eglise servante.
Jésus, n'a pas imaginé une Eglise basée sur un pouvoir donné par Dieu, comme celui qui était pratiqué dans le judaïsme de son époque, ni une société démocratique à établir par la violence comme le souhaitaient les zélotes. Il a annoncé le règne immédiat et sans limites de Dieu sur le monde, un règne à attendre sans violence, mais pas dans l'inaction. Si l'Eglise veut annoncer sincèrement ce règne de Dieu sans limites, règne à attendre sans violence, elle doit se soumettre à quelques impératifs.
Et d'abord, elle ne doit jamais chercher, par quelque moyen que ce soit (révolution ou réformisme) à instaurer une théocratie politico-religieuse. Sa seule définition possible, c'est le service sous toutes ses formes : un ministère sans contrainte ni violence ; en prenant parti pour les groupes socialement déshérités, pour tous les méprisés, les écrasés, les réprouvés de cette terre. Son rôle : prêcher la paix, briser les barrières qui empêchent la communication, aider les hommes à jeter leurs masques pour aller les uns vers les autres , pour se comprendre. Sans jamais s'allier avec telle ou telle puissance, sans jamais s'identifier avec n'importe quel groupement profane, parti politique, groupe de pression économique et social, association culturelle ; sans jamais prendre parti sans condition et sans esprit critique pour tel système politique, économique, social.
Par contre, il est normal qu'elle soit là pour inquiéter, troubler, remettre en question les puissances, les partis, les organisations, les systèmes, et donc, de ce fait elle s'exposera à leur résistance et à leur attaques. Du coup, elle ne pourra pas esquiver souffrance, mépris, diffamation, voire les persécutions. Mais jamais elle n'aura le droit de considérer ceux qui sont hors d'elle comme des ennemis à détester ou à combattre et à anéantir, mais bien plutôt comme un prochain à comprendre, à accepter, à ménager et à encourager.
C'est là toute la mission de toute communauté de croyants : rendre service à la société, aux individus comme aux groupes, et même à ses adversaires ; un service désintéressé et effectif. Elle trouvera toute sa vraie grandeur dans son humilité. Elle ne fait pas étalage de puissance, elle ne recourt pas à la violence. Même ignorée, négligée, seulement tolérée par la société, quand celle-ci ne la trouve pas gênante et n'en vient pas à souhaiter sa disparition. Même si elle est moquée, raillée, soupçonnée, désapprouvée et même entravée, elle sait que sa force est dans la croix du Ressuscité. Le Christ lui a promis que si elle perd sa vie, elle la gagnera.
Une Eglise consciente de ses fautes.
Contrairement aux Esséniens de Qumran, Jésus n'annonce pas un jugement de vengeance au profit d'une élite de parfaits. Il annonce au contraire le joyeux message de la bonté illimitée de Dieu pour ceux qui sont perdus et misérables. C'est en ce sens que l'Eglise doit prendre en compte un certain nombre d'impératifs.
D'abord, elle ne doit pas jouer les "prophètes de malheur". Elle n'est pas créatrice d'angoisse. Ce n'est pas la menace, mais la joie qu'elle doit annoncer aux hommes ; ce n'est pas la peur de Dieu, mais l'allégresse en Dieu qu'elle doit apporter. Car l'Eglise n'est pas seulement pour les personnes religieusement et moralement irréprochables, mais aussi pour ceux qui manquent à la morale et à la piété, pour ceux qui ont choisi l'athéisme. Elle n'est pas là pour condamne ou pour damner, mais pour guérir, pardonner et sauver, laissant à Dieu le soin de juger. Et si elle doit faire des mises en garde ou des exhortations souvent indispensables, que ce ne soit pas le but en soi, mais simplement le rappel de l'amitié miséricordieuse de Dieu pour l'homme. L'Eglise n'est pas une caste de purs et de saints, elle n'est pas une élite morale. Rien en elle n'est parfait, tout en elle est menacé, fragile, incertain, et a constamment besoin d'être redressé, réformé. La frontière entre le bien et le mal passe au cœur de l'Eglise, au cœur de chaque individu.
Si l'Eglise ne se reconnaissait pas elle aussi coupable, elle qu'elle existe pour des hommes coupables, elle deviendrait impitoyable, suffisante et inhumaine. Elle ne mériterait ni la miséricorde de Dieu ni la confiance des hommes. Son histoire est faite de fidélité et d'infidélité, de lucidité et d'erreurs : seul le royaume de Dieu séparera le bon grain de l'ivraie, les bons poissons des mauvais. Elle n'a pas besoin de jouer la comédie d'une parfaite moralité, comme si chez elle tout allait pour le mieux ; elle sait que sa foi est faible ; elle sait qu'il n'est pas un péché, pas une seule défaillance qu'elle n'ait elle-même commis d'une manière ou d'une autre, si bien que si elle prend normalement ses distances par rapport au péché, jamais elle ne pourra les prendre à l'égard d'aucun pécheur. D'ailleurs, il lui a été promis que quiconque s'abaisse sera élevé.
Une Eglise résolue.
Jésus n'annonce pas u royaume que les hommes devraient construire par l'observation la plus parfaite possible de la loi, comme le pensaient les pharisiens. Il annonce au contraire un royaume que Dieu crée librement par son action . Si l'Eglise veut prêcher ce royaume créé par Dieu, elle doit faire siens quelques impératifs. D'abord, elle n'a pas à se soucier de l'observation de prescriptions rituelles, disciplinaires ou morales bien précises. En ce monde d'aujourd'hui, elle n'a pas à se couper de tous les marginalisés de nos sociétés, de ceux qui se mettent en marge de toute morale, comme si Dieu les avait abandonnés. C'est à eux précisément qu'il lui faut annoncer la présence de ce Dieu à qui les performances importent peu. L'Eglise elle-même n'a pas à faire fond sur ses propres performances, mais seulement sur Dieu. L'Eglise aura toujours à se détourner de son propre égoïsme par une conversion radicale et à se tourner avec amour vers les hommes : non pas fuit le monde, mais travailler pour et dans le monde.
C'est la volonté de Dieu ;: le bien total de l'homme. Faire la volonté de Dieu, plutôt que de faire respecter ses lois, ses prescriptions, ses traditions et es coutumes. Elle n'a pas à ériger en normes éternelles les conventions sociales, les contraintes morales, les tabous sexuels d'une époque déterminée. Il y a les grandes questions qui sollicitent toute son attention : la guerre et la paix, la condition des masses, des classes, des ethnies et des sexes ; on ne peut pas s'en détourner pour "filtrer le moucheron" dans des questions dogmatiques ou morales d'ordre secondaire. Attention à ne pas charger sur les épaules des hommes une masse d'interdits qu'elle même n'est pas capable de porter.
Au lieu d'ne obéissance responsable par amour de Dieu, l'Eglise risque d'exiger une obéissance aveugle par crainte. Attention à ne pas substituer à la pureté du cœur un culte en paroles. La volonté absolue et intégrale de Dieu passe avant les commandements des hommes. Une communauté de foi sera réellement libre si , en dépit de toutes ses faiblesses, elle garde constamment le regard fixé vers le royaume qui vient de Dieu, et reste tournée vers celui à qui elle appartient. Si la communauté de foi, au cours des péripéties de l'histoire, elle renouvelle toujours son attachement à Dieu comme à son origine, à son soutien et à son but, elle réalise cette merveille : rendre les esclaves à la liberté, les affligés à la joie, les pauvres à l'abondance, les malheureux à l'espérance, les égoïstes à la générosité. Alors, selon la promesse, Dieu lui-même fera toute chose nouvelle pour être tout en tous.
(prochaine séquence : début juin 2009)