THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2010 :
Quelques grands débats
|
2e séquence : Hétérodoxie - Orthodoxie
(Février 2010)
A partir des années 70, on assiste à une expansion du christianisme assez remarquable, dans des régions diverses et selon des formes variées. Les Eglises araméennes, asiates, syriennes et romaines sont très différentes les unes des autres. Par ailleurs, aux frontières du christianisme et sans qu'il soit toujours facile de les distinguer de lui, des groupes foisonnent, qui n'ont pas la même doctrine : gnosticistes ou ébionites par exemple. Ce qui, tout naturellement, va provoquer des heurts. On n'a pas la même foi, les mêmes pratiques, même si, la plupart du temps, on se réclame plus ou moins de Jésus Christ. A mesure que ces tendances s'affirment plus vigoureusement, une confrontation devient inévitable. C'est ce qui arrive au milieu du IIe siècle. Cette confrontation met à la fois aux prises l'hétérodoxie (1) et l'orthodoxie (2), mais aussi les diverses traditions orthodoxes. Dans ces luttes, Rome va jouer dès ce moment-là un rôle décisif.
(1) - Hétérodoxie : s'écarte de la doctrine officielle
(2) - Orthodoxie : ensemble des doctrines considérées comme vraies par la grande Eglise
Chronologie
112 - Pline s'inquiète de l'expansion chrétienne
130 - Le gnostique Basilide commence sa prédication à Alexandrie
135 - Epître de Barnabé
138 - Le gnostique Valentin à Rome
144 - L'Eglise de Rome exclut Marcion
150 - Apologies de Justin à Rome
165 - "Sur la Pâque" de Méliton de Sardes
172 - Prédication de Montan en Phrygie
175 - Le Diatessaron de Tatien
177 - Martyre des chrétiens de Lyon
177 - Irénée, évêque de Lyon
180 - "Contre les hérésies", d'Irénée
190 - Querelle sur la date de Pâques
197 - Apologétique de Tertullien
200 - Canon de Muratori.1 - Les mouvements hétérodoxes
Trois grands mouvements hétérodoxes qui tentent d'expliquer l'événement Jésus-Christ dans une perspective que l'histoire n'a point acceptée : le gnosticisme, le marcionisme et le montanisme.
A l'origine de ces trois courants de pensée, une question, vieille comme le monde : comment expliquer l'existence du monde matériel, de la souffrance, de la misère humaine ? C'est un scandale pour les hommes de tous les temps. D'autant plus s'ils sont religieux. Peut-on, en effet, imaginer un Dieu bon qui puisse être à l'origine du mal ? Les mouvements que nous allons présenter imaginent tous un « dieu du mal », un dieu imparfait et borné qui en est responsable.
A – Le gnosticisme
Le mot gnose (mot grec gnosis) veut dire connaissance. Le gnostique fait mieux que croire : il connaît. Et il connaît parce qu'il a été l'objet d'une révélation Il sait « qui nous étions et qui nous sommes devenus, où nous étions et où nous avons été jetés, vers quel but nous nous hâtons et d'où nous sommes rachetés, qu'est-ce que la génération et la régénération » (Clément d'Alexandrie)
Puisqu'il sait, le gnostique a des vues plus pénétrantes sur la destinée humaine ; du coup il est libéré, sauvé. Délivré de lui-même, il peut se tourner vers sa destination véritable. Que sait-il ? Que le monde est mauvais, parce qu'il est l'œuvre, non pas de Dieu, mais d'un « démiurge » inférieur. Qu'est-ce que le démiurge ? Je vous recopie l'explication qu'en donne Valentin, l'un des plus célèbres des doctrinaires gnostiques. Accrochez-vous bien : c'est compliqué :
Au sommet de tout, il y a un Dieu suprême qui est composé d'un principe mâle et d'un principe femelle : le Père et la Pensée. De ce premier couple émanent quinze autre couples divins formant trente « éons » et constituant le « Plérôme ». Au sein de ce Plérôme se déroule un drame : le dernier des éons, Sophia, veut saisir et comprendre le Père comme seul le Fils peut le faire. Il en résulte un désordre, le mal et les passions. Pour rétablir l'ordre, les éléments mauvais sont exclus du Plérôme et donnent naissance à la Sophia d'en-bas. Puis un nouveau couple est créé : le Christ et le Saint-Esprit chargés de maintenir l'ordre et l'harmonie du Plérôme. Lorsque l'ordre est rétabli dans la divinité, celle-ci produit le Sauveur qui s'appelle aussi Jésus. Il exerce son action sur la Sophia d'en bas. A partir des éléments matériels de cette Sagesse, le Sauveur crée la matière invisible ; à partir des éléments psychiques il façonne le Démiurge, qui n'est autre que le créateur de la Genèse. Ce dernier crée le monde sensible et les hommes qui sont, soit purement matériels, soit également psychiques. Cependant, à l'insu du Démiurge, des éléments pneumatiques, en provenance du Plérôme, se sont introduits en certains hommes. Ainsi il existe trois catégories d'hommes : ceux qui sont purement matériels (les hyliques) incapables d'être sauvés, les spirituels (les pneumatiques) qui sont assurés du salut, et les psychiques, susceptibles d'être sauvés. Le Sauveur, ému de pitié pour les éléments pneumatiques dispersés dans la matière, descend ici-bas pour les rassembler. Ne pouvant prendre un corps matériel, il utilise une apparence d'humanité. Par sa prédication libératrice, il apporte la connaissance qui permet aux éléments pneumatiques de revenir au Père et de regagner le Plérôme.
Vous avez compris ? Tant mieux pour vous ! Moi, je n'y comprends rien. En tout cas, comme vous pouvez le remarquer, ce système ne retient que très peu de choses de la prédication des premiers témoins oculaires, sinon la figure du créateur et de Jésus le Sauveur. Et encore ! L'image de Jésus est bien déformée. Bien sûr, on utilise des termes à consonance chrétienne comme : Fils unique, Vérité, Eglise, Christ, Saint-Esprit, mais ce sont des termes vidés de leur contenu théologique et biblique.
On le voit : à la base de tout le gnosticisme, il y a une pensée dualiste. On explique le mal par la présence de deux dieux, celui du bien et celui du mal. Le scénario est toujours le même : ces mythes ne font que raconter le destin de l'âme, sa chute dans le monde matériel, la descente du Sauveur qui vient la libérer en lui révélant sa véritable condition et qui la précède à travers les sphères célestes.
On peut s'étonner aujourd'hui que des explications aussi compliquées aient exercé un attrait considérable sur les femmes et les hommes du IIe siècle. Pourtant, on le sait, elles eurent un succès considérable. Plusieurs raisons l'expliquent : la société, à l'époque, était profondément désorganisée ; la philosophie et la religion grecque, qui sont certainement à l'origine de la gnose chrétienne, exerçaient un vif attrait sur les esprits ; enfin, la gnose se présentait comme un super-christianisme et empruntait les mots et certaines réalités – mais en les déformant – à la prédication apostolique.
B – Le marcionisme
Marcion était le fils d'un évêque de Sinope (Nord-ouest de la Turquie actuelle). Il a dû naître vers 85. Il fut excommunié dans sa ville natale à cause de ses tendances hérétiques, et il se mit alors à propager sa doctrine en Asie Mineure, puis à Rome. En 144, il est rejeté de l'Eglise de Rome. Il continue alors sa propagande dans tout le bassin méditerranéen et fonde de nombreuses communautés bien organisées et très vivantes qui finirent par concurrencer les Eglises traditionnelles.
La doctrine prêchée par Marcion est le résultat d'une réflexion approfondie sur l'évangile de Paul. Marcion est frappé par la série d'oppositions, ou antithèses, qu'il découvre dans les lettres de saint Paul : Loi-Evangile, Justice-Amour... Il estime que, fondé sur l'Amour, l'Evangile s'oppose à l'Ancien Testament, fondé sur la Justice et la Loi. En conséquence il rejette l'Ancien Testament et son Dieu, et il ne reconnaît que l'annonce de l'Evangile qui est celle du Dieu bon et inconnu envoyant par amour son Fils dans le monde pour le salut des hommes.
Marcion ne nie pas le Dieu de l'Ancien Testament. Mais il n'est, à ses yeux, qu'un démiurge inférieur ignorant, qui a façonné une créature faible, sans défense, mortelle, désobéissante. Il tente bien de la sauver en choisissant un peuple, Israël, en lui donnant la Loi, en lui promettant un Messie ; mais sans résultat.
L'Évangile, lui, est la révélation d'un autre Dieu inconnu du Démiurge créateur et des hommes : le Dieu Amour. Celui-ci a pitié des hommes. Il leur envoie son Fils Jésus pour les libérer du joug de la Loi. Mais le "Démiurge", apprenant ainsi l'existence du Dieu Inconnu, persécute son Fils et le livre à la mort de la croix. Cette mort rachète l'humanité au "démiurge créateur". A la fin des temps, le salut, qui n'est encore qu'une espérance, se manifestera quand le Dieu bon se révélera complètement aux hommes et admettra les siens dans son Royaume.
Pour étayer sa doctrine, Marcion va tenter de la fonder sur des textes. Puisque l'Ancien Testament est sans intérêt, il va collectionner des écrits chrétiens d'origine apostolique, et en particulier de saint Paul. Il choisit donc un certain nombre de textes qui deviendront son propre Nouveau Testament. Lorsqu'il se heurte à des textes de Paul qui le gênent, il prétend qu'ils ne sont pas dus à l'apôtre, mais à des chrétiens d'origine juive. Il ne reconnaît d'ailleurs que dix épitres de Paul, rejette les épitres pastorales et l'épitre aux Hébreux. Et il ne retient qu'un évangile, celui de Luc, qu'il fait commencer au chapitre 4, verset 31, c'est-à-dire avec la prédication de Jésus à Capharnaüm. Ainsi Marcion fut-il le premier à confectionner un Nouveau Testament. On le voit, le marcionisme fut un mouvement de pensée original, bien qu'il emprunte de nombreux éléments à la gnose, en particulier sa vision de deux dieux.
C - Le montanisme
Vers 160-170, Montan et avec lui deux femmes, Maximilla et Prisca se mirent à prophétiser : le Saint-Esprit Paraclet était venu, la nouvelle Jérusalem allait descendre sur terre pour une durée de mille ans. Aussi fallait-il se préparer à cet événement par une ascèse très stricte.
Le retour du Christ est donc imminent et certains vinrent jusqu'à en fixer la date et le lieu. Un ascétisme poussé devait préparer les fidèles à la venue du Seigneur : jeûne, continence, refus des secondes noces. Mais en fait l'élément moteur du montanisme est le prophétisme. Pour Montan, le prophète est le réceptacle même de l'Esprit qui parle par sa bouche et qui apporte ainsi la révélation finale. A la différence du gnosticisme et du marcionisme, le montanisme ne prétend pas innover en donnant une nouvelle interprétation de l'Évangile. Il se présente au contraire comme un conservatisme. Il prétend rappeler certaines valeurs du passé qui auraient été méconnues ou qui seraient tombées en désuétude. « Mouvement de réveil » comme il en existera à diverses époques de l'histoire de l'Église, c'est le mouvement charismatique du christianisme ancien. On retrouve les mêmes thèmes : millénarisme, attente exaspérée du retour de Jésus...etc.
Le montanisme eut un grand succès. On le retrouve à la fin du IIe siècle, non seulement en Orient où il s'implanta profondément, mais aussi en Occident, à Rome, à Lyon, en Afrique.
Je ne vous présente que les plus importantes des doctrines qui foisonnent au IIe siècle.
Il y en eut bien d'autres. Toutes ont cette caractéristique d'avoir, à leur origine, la pensée d'un "théologien" qui prétend écrire sous l'inspiration de l'Esprit, bien souvent sans référence à la prédication des premiers témoins, les apôtres. La plupart d'entre elles ont
un fondement dualiste, le "dieu du bien" et le "dieu du mal" régissant le monde.
2 - A LA RECHERCHE D'UNE INTERPRETATION CORRECTE DE L'EVANGILE
La crise de pensée qui affecta l'Église au IIe siècle aboutit à renforcer l'autorité des Apôtres.
Tous les mouvements qui vienne d'être étudiés ne prétendaient pas être autre chose qu'une interprétation de l'Évangile. Tous ils cherchaient à se rattacher à Jésus par l'intermédiaire des Apôtres, ceux-ci étant considérés comme le point de passage obligé pour arriver jusqu'au Christ . C'est même sous la plume d'auteurs gnostiques qu'apparaissent pour la première fois les termes « Tradition » et « Succession apostolique ». A coté de ces mouvements, la grande majorité des communautés chrétiennes, sans se laisser aller à des interprétations hétérodoxes, cherche elle aussi à transmettre l'évangile authentique et primitif et se réclame de l'autorité des apôtres. Car il est bien clair que le Christ n'est connu que par les apôtres.
Comme ce recours aux apôtres n'est pas toujours facile, on assiste alors à un approfondissement de la notion d'apostolicité : quelle est la bonne ou la mauvaise référence aux apôtres. Quelle est la vraie ou la fausse apostolicité. On retiendra finalement quatre critères qui deviendront les bases de l'orthodoxie des siècles suivants : l'Écriture apostolique, la Tradition apostolique, la Succession apostolique, le Symbole apostolique.
A - L'Écriture apostolique.
A partir de l'an 150 environ, on constate que les grandes Églises se mettent à reconnaître un certain nombre d'écrits d'origine apostolique comme norme de la foi. Cette collection d'écrits, qui prend place à côté des livres de l'Ancien Testament, deviendra bientôt le Nouveau Testament.
En effet, la littérature chrétienne a connu alors un développement considérable. Nombreux sont les ouvrages qui prétendent avoir les apôtres comme auteurs ou comme garants. Le problème est donc de savoir quels sont, parmi ces écrits ceux qui sont authentiquement la prédication des apôtres. La formation progressive du Nouveau Testament répond à cette question.
Cette collection d'écrits auxquels on reconnaît l'autorité apostolique comprend les quatre évangiles, déjà traditionnels, les Actes des Apôtres, les épitres de Paul et tel ou tel autre écrit que l'on estime d'origine apostolique. Les contours sont parfois assez vagues, mais l'essentiel est bien cerné.
Ainsi les Églises délimitent, séparément certes, mais avec un accord assez remarquable, ce qui, au sein de la tradition dont elles vivent, est la Tradition apostolique écrite par excellence, ce qui est la Tradition de référence. Fait important dans l'histoire du christianisme car l'existence de l'Écriture chrétienne trace une limite entre ce qui est reconnu comme apostolique au sens plein et ce qui est plus ou moins apostolique. De ce fait, la référence au Nouveau Testament est la norme de toute véritable prédication chrétienne.
B - La Tradition apostolique
Il n'y a pas que la tradition écrite. Il y a aussi la tradition orale. Car les apôtres n'ont pas seulement écrit. Ils ont d'abord prêché cet évangile et inauguré une transmission qui est appelée à se perpétuer C'est particulièrement saint Irénée qui valorise cette tradition orale qui se véhicule dans les communautés, car l'Écriture ne se suffit pas à elle-même : c'est la Tradition qui affirme qu'elle contient effectivement l'Évangile. De plus, c'est la Tradition qui permet de comprendre l'Ecriture. Elle en est la clé. Le témoignage apostolique écrit a besoin, pour être entendu et compris dans sa plénitude, du témoignage apostolique vivant dans l'Église, dans ce milieu humain ou l'évangile des apôtres est cru et vécu. Inversement, le témoignage oral a besoin, pour rester fidèle à lui-même, d'être sans cesse référé au témoignage écrit des apôtres. C'est ce dialogue entre ces deux formes de tradition, écrite et orale, qui est un des éléments fondamentaux de l'orthodoxie au IIe siècle.
C - La succession apostolique.
La question de la succession apostolique n'est pas au centre des préoccupations des théologiens de cette époque, mais elle commence à se poser comme corollaire et justification de la doctrine de la Tradition apostolique. Car comment prouver que la prédication vivante de l'Eglise l'Evangile annoncé et la vie concrète qui en découle sont bien dans la ligne des apôtres ? Pour le prouver, on commence à établir des listes d'évêques ayant occupé le siège épiscopal des Eglises depuis le temps des apôtres. Comme ces listes étaient publiques et connues de tous, on pouvait constater qu'aucun des évêques n'avait été hérétique, donc que la Tradition apostolique s'était conservée pure depuis les origines.
C'est Hégésippe qui, le premier, chercha à établir de telles listes, en particulier pour l'Eglise de Rome. Irénée de Lyon continuera. Il déclare qu'il peut établir les successions des évêques pour toutes les grandes Eglises de la chrétienté. Mais, ajoute-t-il, comme il serait fastidieux de faire une telle énumération, il se limite à l'Eglise de Rome. Sa liste est exemplaire.
Avec Irénée, on peut déjà pressentir le tour que prendra l'évolution ultérieure et qui consistera, en privilégiant l'Eglise de Rome comme garantie de la succession, à faire d'elle finalement la seule garante de cette succession.
D - Origine du symbole des apôtres.
Dès les origines, les chrétiens ont utilisé des formules simples, abrégées, cherchant à exprimer l'essentiel pour dire leur foi. Au début, la profession de foi se résume en un seul mot : « Credo ». Je crois. Mais avec la crise du IIe siècle, elle va se développer et s'amplifier. On trouve de nombreuses formules dans l'œuvre de saint Irénée. Nombre d'entre elles sont présentées comme venant des apôtres eux-mêmes. Par exemple : « L'Église, quoique répandue jusqu'aux extrémités de la terre, a reçu des apôtres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Père tout-puissant qui a fait le ciel et la terre, et en un seul Christ Jésus, le Fils de Dieu, incarné pour notre salut, et au Saint Esprit. »
Ainsi ces formules de foi apparaissent comme résumant la foi des apôtres. On est là à l'origine du développement qui mènera à la croyance que le symbole a été rédigé effectivement par les apôtres, ce qui permettra de parler de « symbole des apôtres. »
Irénée et les débuts de la théologie
Saint Irénée est le premier à avoir édifié une synthèse théologique d'envergure. Né en Turquie, à Smyrne (actuellement Izmir) vers 130, il a connu Polycarpe, disciple de saint Jean. On le rencontre ensuite à Lyon au moment de la persécution de 177. Après la mort de l'évêque Pothin, il le remplace à la tête de l'Eglise de Lyon. Asiate par ses origines et son éducation première, occidental par son activité en Gaule, Irénée représente la jonction entre les deux milieux et les deux tendances. Son ministère le met aux prises avec différents mouvements gnostiques et il consacre son œuvre magistrale à les réfuter. Dans son Adversus Haereses, Irénée réemploie de matériaux épars que lui fournissait la Tradition de l'Eglise. C'est ainsi qu'il arrive à proposer la première synthèse de la doctrine chrétienne, la première œuvre théologique.
Le thème qui organise sa pensée est celui de l'unité. Par là il entend s'opposer au dualisme. Devant le morcellement et la diversité des sectes gnostiques, il démontre par l'Ecriture qu'il n'y a qu' « un seul et même Dieu ». Devant la division gnostique entre Dieu sauveur et Dieu créateur, il répète sans se lasser, avec l'appui de l'Ecriture, que le Dieu créateur de l'Ancien Testament el le Dieu sauveur du Nouveau Testament son « un seul et même Dieu » et que, par conséquent, création et rédemption se situent dans une même et unique perspective; Devant la distinction gnostique entre le Christ d'en-haut et le Jésus d'en-bas, il affirme avec force l'unité de Jésus Christ, à la fois Dieu et homme. En face de la gnose qui divise l'homme et n'admet que le salut de sa partie supérieure, Irénée affirme le salut de l'homme tout entier. En face de la multiplicité des sectes gnostiques, l'évêque de Lyon proclame l'unité de la foi qui vient des apôtres, et donc l'unité de l'Eglise.
Ce thème de l'unité, Irénée va encore le préciser par un autre thème, l'économie. Il n'y a qu'un plan de salut pour le monde : partant de la création, passant par l'incarnation du Fils, il aboutit au Royaume de Dieu. Le but de l'histoire du salut est de mener l'humanité vers le Royaume de Dieu, c'est-à-dire la pleine communion avec Dieu.
A l'intérieur de cette histoire du salut, l'œuvre du Christ est une œuvre de « récapitulation ». Christ récapitule, recommence et achève l'œuvre de Dieu commencée en Adam et entravée par la chute. Par sa désobéissance, Adam est devenu le chef d'une humanité déchue qui va vers la mort ; le Christ, par contre, par son obéissance devient le chef d'une humanité nouvelle qui va vers la vie. Irénée développe l'opposition entre Adam et le Christ. Adam désobéit en mangeant du fruit de l'arbre, le Christ obéit en mourant sur l'arbre de la croix. De même, alors qu'Eve, encore vierge, a obéi à la voix du serpent, Marie, vierge, a obéi à la voix de l'ange. Eve a été la cause de la mort pour le genre humain, alors que Marie est devenue la cause du salut pour l'humanité.
Par sa théologie, Irénée pose les bases de la théologie orthodoxe et réfute victorieusement, pour son époque les hérésies qui menaçaient la transmission correcte du Message apostolique.
En conclusion
J'ai essayé de montrer, de manière assez succincte, ce qui s'est passé au IIe siècle de notre ère : comment, malgré l'insécurité et les risques que couraient celles et ceux qui adhéraient à la foi chrétienne, très nombreux, et dans toutes les régions, aussi bien à l'Orient qu'à l'Occident de la Palestine, croissait le nombre des nouveaux chrétiens et des jeunes communautés. Et en même temps, quelles furent les diversités - les divergences - qui naissent alors dans la formulation de la foi. A côté de ceux qui font eux-mêmes leur cuisine, selon leur propre conception du monde et de ses origines, il y a les Eglises qui, partant de ce qui leur a été transmis par les premiers témoins, à commencer par les apôtres, tiennent à rester strictement fidèles à ce donné de la foi première. Progressivement, et grâce à ces grandes Eglises, de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche particulièrement, mais aussi d'autres cités de l'Empire romain, l'expression de la foi chrétienne va pouvoir s'unifier. Si bien qu'à la fin du IIe siècle, sont enfin reconnus comme authentiques l'ensemble des livres qui composent notre Nouveau Testament, et mis à l'écart quantité de textes appelés apocryphes. Victoire de l'unité chère à Irénée sur la diversité ; victoire de la tradition authentique reçue des premiers témoins sur les inventions diverses émanant de l'imagination de leurs auteurs. L'Eglise sort de cette période plus forte et davantage capable de surmonter les attaques de ses ennemis, aussi bien le pouvoir central de Rome que les "intellectuels" qui, peu de temps après, vont se liguer contre elle et contre l'expression de la foi chrétienne. Car ce n'est pas fini. Ce n'est jamais fini !
A suivre, le 1er mars