THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2010 :
Quelques grands débats
Le projet : parcourir ces vingt siècles d'histoire qu'a vécue notre Eglise, depuis le jour de la Pentecôte, en nous arrêtant à quelques dates importantes. Ces dates qui ont marqué des tournants importants parce qu'elles furent le moment de grands débats. Car notre histoire ne fut jamais "un long fleuve tranquille". Dès les premiers jours, des conflits ont surgi, qui ont marqué durablement son existence et ont modifié son cours. Chacune de ces dates auxquelles nous nous arrêterons sera l'occasion d'examiner les enjeux et les conséquences de ces conflits, qui sont d'ordre théologique, liturgique, disciplinaire : ils ont changé le visage de l'Eglise, sans en7e séquence : Un grand débat eucharistique
(Juillet 2010)
Lorsque vous allez communier, le prêtre vous présente l'hostie en vous disant : "Le corps du Christ". Et vous répondez "Amen", c'est-à-dire "D'accord, je le crois." Mais au fait, que mangez-vous ? De la chair ? De la viande ? Etes-vous donc anthropophage ? Ou alors, n'est-ce qu'un symbole ? Vous ne vous êtes peut-être jamais posé la question ? Pourtant, dès le haut Moyen Age, ce fut l'objet d'un violent débat entre théologiens. Sans doute ce débat n'a eu que peu de répercussions dans le peuple chrétien. Pour lui, demeurait l'idée que lorsqu'on allait communier, on s'unissait à Jésus, tout simplement. Mais par contre, entre théologiens particulièrement réalistes, pour qui communier, c'est manger réellement le corps du Christ, et ceux qui refusaient d'admettre que le pain était changé en corps du Christ, ce fut l'occasion de longues discussions. Et ces discussions de spécialistes eurent des conséquences très importantes, jusqu'à aujourd'hui. Conséquences pour l'œcuménisme, bien sûr, mais aussi conséquences sur notre manière d'envisager l'eucharistie, aujourd'hui encore. Par exemple, alors que Jésus dit : "Prenez et mangez", d'où vient l'habitude de faire comme si il avait dit "Regardez et adorez." ? Il nous faut donc étudier un peu l'histoire de ce grand débat et préciser la pensée des uns et des autres. Rassurez-vous : je vais essayer de faire simple, sans caricaturer les spéculations particulièrement compliquées des théologiens de l'époque.
Première question, c'est celle d'Amalaire de Metz, qui fut nommé évêque de Lyon en 835. Il se demande ce que devient le corps du Christ dans le corps de celui qui communie, lors de la digestion. Vous ne vous êtes pas posé la question ? Tant mieux. Notre Amalaire, quant à lui, renonce à y répondre. Florus, un de ses contradicteurs, tient à préciser que ce n'est pas sur un plan matériel, mais "spirituellement" que le pain est devenu corps du Christ par la consécration. Voilà le point de départ de la discussion : entre ceux qui pensent à une présence matérielle et ceux qui pensent à une présence davantage virtuelle du Christ dans l'eucharistie.
Paschase Radbert
La question rebondit lorsqu'un autre théologien pose la question autrement : Est-ce que ce corps est bien celui qui vécut jadis en Palestine et mourut sur une croix ? C'est Paschase Radbert qui, le premier, répond par l'affirmative. Il le fait d'une manière pas très claire, d'ailleurs. Dans un long traité sur l'eucharistie, il insiste sur la réalité de la présence du Christ sous le voile des apparences. C'est le corps du Christ, né de la Vierge et sacrifié sur la croix, qui est offert une fois de plus en victime. Jusque là, ça va, tout le monde est d'accord. mais Radbert va plus loin dans son explication. Il décrit le corps du Christ comme s'il existait en miniature dans l'hostie, comme s'il était rendu présent par une transformation ou une création miraculeuse. Réaction immédiate de nombre de ses contemporains. Reprenant l'accusation que les habitants de Capharnaüm formulaient contre Jésus, l'accusant de proposer une pratique d'anthropophages lorsqu'il parlait de "manger sa chair, boire son sang.", ils contestent le réalisme trop étroit de Radbert. Celui-ci se défend en expliquant que jamais il n'a prétendu imaginer une présence mesurable et matérielle du Christ. Mais il maintient fermement la réalité absolue du Christ et l'identité entre le Christ présent dans l'hostie et le Christ né de la Vierge Marie.
Objection de ses contradicteurs : mais alors, puisqu'il y a sur l'autel, non pas une, mais des centaines d'hosties, comment expliquer qu'il y ait des centaines de corps du Christ, si l'on pousse à l'extrême l'explication de Radbert ? Celui-ci répond en évoquant la multiplication des pains par Jésus au bord du lac. Dans l'eucharistie se produit le même miracle que celui de l'incarnation par une œuvre miraculeuse du Saint Esprit. Cependant le Corps du Christ, dans le sacrement, peut agir, mais non pâtir. il échappe aux vicissitudes de la manducation et de la digestion en raison de ses propriétés célestes.
Vous voyez bien la difficulté que rencontrent nos penseurs, qu'ils soient ou non d'accord avec Paschase Radbert, lorsqu'ils prétendent identifier le corps sacramentel et le corps historique du Christ. Une identité pure et simple est impossible, ne serait-ce que parce que le Christ est mort une fois pour toutes ; mais pourtant l'Eucharistie est le corps du Christ, de même que l'Eglise est également le corps du Christ. Corps eucharistique, corps historique, corps ecclésial sont distincts, et cependant naturellement identiques. A l'époque, on n'est pas encore arrivé à distinguer le corps présent (identique) et le mode de présence (différent). D'où question pratiquement insoluble : qu'est-ce qui existe réellement après la consécration ? et est-ce que le sacrement se réalise en figure ou en réalité ?
A l'époque en effet, le mot "réalité" voulait dire "ce qui se manifeste telle qu'est la chose", et il est évident que ce sens du réel ne s'applique pas à l'eucharistie. De même le mot "figure", à l'époque, est un mot piégé. Or l'eucharistie n'offre aucune correspondance entre ce qu'on voit et la réalité qu'on croit. Radbert croit s'en tirer en expliquant que ce qui est perçu extérieurement, c'est la figure, alors que ce qui est cru à l'intérieur est la réalité. En conséquence, de même que les éléments du pain et du vin ont une certaine étendue dans l’espace, de même, après la consécration, le corps et le sang du Christ occupent aussi un espace sur l’autel.
Les spéculations de Radbert ont été désastreuses.
Non seulement il n’a pas réussi à dire en quoi consiste ou existe le lien
entre le pain, le vin et le corps et le sang du Christ, mais il a préparé la
voie à une idéologie "objectiviste" que la pratique sacramentelle exploitera
largement en termes d’un sensualisme outrancier.
La conséquence la plus grave tient dans le fait que le magistère de
l’Église a adopté sa perspective de juxtaposition.
Un siècle et demi plus tard, au début du deuxième millénaire, l’Église catholique va obliger un autre théologien, Bérenger de Tours, à accepter la solution maladroite de Radbert.
Le refus de ce dernier de s’y plier va enflammer le débat pendant des siècles : les effets en seront encore ressentis au seizième siècle lors de la Réforme et du concile de Trente.Bérenger de Tours
Bérenger de Tours est important du fait qu’il est considéré comme un précurseur de la Réforme.
Né en 1005 et devenu professeur de théologie à Tours, il développe une pensée qui a un grand succès mais suscite la jalousie d’un certain nombre de ses collègues.Il a fait sienne une question posée depuis un siècle :
comment est-il possible que le Ressuscité soit parmi nous au moment de la consécration ?Il refuse la solution de simple juxtaposition proposée par Radbert et imposée par le magistère et prend la décision de mener sa recherche dans le sens du vocabulaire de « substance », terme récemment adopté par les milieux intellectuels en raison des travaux des grands penseurs arabes comme Averroès et Avicenne qui ont redécouvert la philosophie d’Aristote.
Les implications de la découverte aristotélicienne ont été décisives pour la théologie catholique qui a abandonné la perspective anthropologique, cadre traditionnel de sa réflexion, en faveur de la philosophie spéculative d’Aristote, pour qui l’objet premier de l’être est la « substance » immuable.
Cette mutation représente un changement insolite pour l’eucharistie. En valorisant le concept de « substance » pour mener la réflexion sur la nature de la présence du Christ, on renforce l’image spatiale de son corps, déjà suggérée par Radbert. C’est ce qui va amener bientôt les chrétiens à imaginer le Christ localisé à la fois dans la gloire et dans la « prison » de l’hostie.
En cela, les théologiens de l’époque ont négligé le fait que la résurrection suppose un rapport nouveau, non spatio-temporel au monde, préférant rester dans la perspective de la « substance » aristotélicienne.
Impossible alors de sortir autrement du dilemme qu’en évoquant un miracle comme l’avait fait Fauste de Riez. Un miracle censé transformer le pain et le vin en chair et en sang du Christ, ce qui "chosifie" inévitablement l’eucharistie, au point où elle risque d’être traitée indépendamment de la personne même du Seigneur.
Ainsi se mettent en place tous les ingrédients nécessaires pour une conception de l’eucharistie comme acte de manducation au sens anthropophage !!!.En fin de compte, les chrétiens se découvrent en quelque sorte des cannibales !
Cependant Thomas d’Aquin sera clair :" les chrétiens ne broient pas le corps du Christ avec les dents !" dit-il tout en précisant que c’était parfaitement normal que le vin consacré garde le goût du vin car « ce que l’on boit est un signe du sang du Christ » (La Somme, 111, A. 77, A,7).
Thomas d’Aquin a senti le même danger que Bérenger, mais il n’est pas allé aussi loin que ce dernier qui s’est trouvé dans une position insoluble par son insistance trop tranchée sur le signe sacramentel :
- ou bien, le corps et le sang du Christ doivent être évidents (ce qui n’est pas le cas),
- ou bien le pain et le vin sont et restent toujours, même après la consécration, des signes qui renvoient à une réalité autre... inaccessible directement.Mais Béranger a été jusqu’à dire que le pain et le vin ne sont pas vraiment le corps et le sang du Christ. ; ce sont des symboles sacramentaux ...ce qui a été jugé inacceptable par le Magistère ...et condamné .
À la même époque, Lanfranc, un autre théologien et avocat des thèses de Radbert, s’est opposé à Bérenger, accusant celui-ci d’hérésie, à la suite de quoi ce dernier a été excommunié.
Lanfranc, lui, a contribué à la poursuite de la chosification en définissant en des termes précis la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ... ce qui a beaucoup plu au magistère.
Le terme de « transsubstantiation », forgé par un disciple apparait alors à partir du quatrième concile de Latran (1215).Cette définition aboutira à une conception matérialiste selon laquelle le pain se borne à voiler un corps physique.
Trois tendances
A partir de là trois tendances illustrent bien le dilemme d’une pensée théologique dominée par un concept philosophique antique et insuffisamment attentive aux sources bibliques et anthropologiques.
Le courant rationaliste
Les grands dominicains, Albert le Grand et Thomas d’Aquin sont représentatifs de ce courant.
Pour eux, il fallait faire appel à la raison humaine, à sa capacité de penser l’eucharistie au sens de la recherche de l’intelligence de la foi.
Ils se sont lancés alors dans des spéculations hautement abstraites pour dire comment le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ.Et pour que leur pensée apparaisse raisonnable pour l’intelligence, ils se sont référés à la métaphysique d’Aristote. Ils espéraient ainsi expliquer d’une manière convaincante le changement des substances matérielles au moment de la consécration.
Ce courant rationaliste, directement opposé à celui de Bérenger, allait finir par être le plus acceptable pour le magistère de l’Église.
Il a été rapidement adopté et enseigné dans les manuels théologiques de la scolastique.
En effet, ce courant a été d’autant mieux accueilli que, grâce à certaines subtilités dans la pensée d’Aristote que Thomas d’Aquin a fait siennes en vue de sa propre théologie eucharistique, il n’était plus marqué par la simple juxtaposition de Radbert. D'où la définition toujours actuelle de l'Eucharistie : "Dans le très saint sacrement de l'Eucharistie sont contenus vraiment, réellement et substantiellement le corps et le sang conjointement avec l'âme et la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, et par conséquent le Christ tout entier", déclare le concile de Trente. Et l'encyclique Mystérium fidei précise : "Cette présence, on la nomme réelle, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas réelles, mais par excellence parce qu'elle est substantielle, et que, par elle, le Christ, Dieu et homme, se rend présent tout entier."Le courant fidéiste
Le deuxième courant, connu sous le nom approprié de « fidéiste », a été privilégié surtout par le franciscain Duns Scot.
Si ce courant n’a pas réussi à s’imposer dans les hauts lieux de formation théologique, il a trouvé, en revanche, un écho chez les laïcs.
Pour eux, le fidéisme était l’expression la plus proche de leur expérience concrète de l’eucharistie. En insistant sur la place de la foi dans l’accueil de la transformation des espèces, le fidéisme s’est épargné tout le travail onéreux de l’intelligence. Contrairement à Albert le Grand et Thomas d’Aquin, l’adhérent du fidéisme ne s’intéressait pas à la spéculation. Il suffisait de savoir que la réalisation de la présence réelle dans l’eucharistie était l’œuvre de Dieu, peu importait comment son pouvoir l’accomplissait.Le courant symboliste
Le troisième courant (qui n’est pas à confondre avec la théorie du signe chez Bérenger) peut être appelé « symboliste ». Ce courant a été avancé surtout par le théologien, Hugues de Saint-Victor, mais il n’a pas eu beaucoup de succès directement. En revanche, l’approche symboliste a été facilement adaptée à la vie dévotionnelle des chrétiens du Moyen-âge grâce à leur familiarité avec l’idée du signe comme porteur de réalité.
Il est bien possible que le courant symboliste soit le plus parlant pour un nombre de spirituels aujourd’hui, attirés par l’idée qu’il proclame que la transformation des espèces n’est accomplie ou achevée que si le croyant essaie d’adapter sa vie à ce qui est symbolisé dans et par le sacrement.Transsubstantiation
Que reste-t-il dès lors de la compréhension de la foi après les apports et déformations de la conception eucharistique au Moyen Age énoncées par Radbert et Bérenger et leurs successeurs et prolongés par les courants rationaliste, fidéiste et symboliste ?
Principalement l’apparition du mot « transubstantiation » peu familier à l’ensemble des chrétiens.... Et pourtant ce mot est destiné à une longue carrière dans l’Eglise.Sans doute, l’intérêt du mot « transubstantiation » était dû à sa facilité d’adaptation, car à l’époque « substance » voulait dire « permanent », c’est-dire une réalité immuable.
Le terme se prêtait donc sans difficulté à l’idée de la réalité permanente de la Présence du Christ dans l’eucharistie.Mais aujourd’hui ?
Qui, aujourd’hui, parle d’une substance permanente » ?
Depuis la découverte de la mécanique quantique qui conçoit le réel en termes de particules et d’ondes non permanentes il faut bien l’admettre :le mot n’a plus aucun sens !.Aussi une compréhension de l’eucharistie profiterait grandement d’une pensée fondée sur d’autres bases que celle de "substance " ou de l’« être »
ne serait-ce qu’en raison de l’ impossibilité pour les hommes d’aujourd’hui de penser valablement en terme de notions absolues d’un Réel stable et qu ne peut pas changer.Par contre le courant symboliste semble encore compatible avec la recherche de certains chrétiens d’aujourd’hui ( mais cherchent-ils ?.)
En tous cas ce courant est intéressant du fait qu’il s’accorde bien avec la définition classique du sacrement comme un signe qui réalise ce qu’il signifie : la sainteté à laquelle il renvoie est réalisée dans le croyant.
Toutefois, l’approche symboliste de l’eucharistie exige une certaine précaution du fait qu’aujourd’hui le mot « signe » ou « symbole » est pratiquement ressenti comme opposé au réel.Recherche d’un nouveau langage rationnel à l’exemple d’Albert le Grand et Thomas d’Aquin ou dans le sens d’un approfondissement du langage symbolique ?... voilà un projet pour des personnes qui voudraient valoriser la place de l’intelligence dans le mouvement chrétien
Un autre tournant
Après les grands travaux du Moyen-Âge, la théologie eucharistique a connu peu de créativité. C’est pourquoi il est préférable de présenter cet autre tournant d’une manière différente par rapport aux deux premiers.
Au lieu d’évoquer des noms et des courants de pensée, il vaut mieux mettre l’accent sur les pratiques et les dévotions issues des positions théologiques achevées au treizième siècle.
La communion régulière devient rare au Moyen-Age.
Plusieurs raisons à cela :
- la peur respectueuse qu’inspire le sacrement en raison de sa sublime dignité,
- l’idée que la communion sacramentelle est la prérogative du prêtre,
- la position théologique très ancienne selon laquelle la finalité de l’eucharistie était essentiellement l’union avec le Christ.En ce qui concerne la peur respectueuse qu’inspire le corps du Christ, elle a fini par créer une attitude fortement marquée par la peur du sacrilège.
Pour recevoir le Christ, il fallait être digne, débarrassé de toute impureté.
Cette exigence a été surtout ressentie par les personnes mariées car les prêtres des paroisses et les confesseurs ont mis l’accent sur l’importance pour ces personnes d’être minutieusement "préparées" avant de s’approcher du Saint Sacrement : abstention des relations sexuelles pendant un ou plusieurs jours avant la communion, jeûne, confession, etc.
ajoutons le fait que les débats théologiques, hautement techniques à l’époque, n’ont rien fait pour changer cette attitude des laïcs envers la sacralité dans laquelle baignait l’eucharistie par l’imaginaire.La seconde raison expliquant la diminution de la communion sacramentelle, celle qui voyait dans l’eucharistie la prérogative du prêtre, avait son origine dans l’idée de plus en plus répandue que le sacrement était la source du pouvoir quasiment magique du célébrant :
comment les espèces sont-elles transformées en corps et en sang du christ ?
On répondait en termes qui attribuaient ce changement au pouvoir sacré du prêtre.La troisième raison, la valorisation de la communion spirituelle, était elle la suite logique de la peur respectueuse des baptisés envers le sacré.
La conséquence se voyait dans l’affaiblissement de la pratique sacramentelle et la baisse d’assistance des fidèles à la messe.En revanche, les fidèles pratiquaient de plus en plus la « communion spirituelle ». Paradoxalement, cette situation a été accompagnée par une augmentation du nombre de messes sous forme de « messes privées ».
La « communion de désir » était le prolongement de la communion spirituelle, elle allait jouer un rôle prépondérant après le Concile de Trente, au dix-septième siècle lorsque les directeurs de conscience jansénistes l’ont employée pour inspirer au pénitent le sentiment de son indignité devant la grandeur du Seigneur.
Pour les encourager à faire une démarche estimée plus modeste et plus adaptée à leur état de pécheur, les confesseurs ont remplacé la communion sacramentelle par la forme de communion spirituelle dite de « désir », qui mettait l’accent sur la grande envie du pénitent de se rendre digne du Seigneur.La pratique eucharistique a été affectée, la communion une fois l’année devenant la règle pour la plupart des croyants qui mettent l’accent plutôt sur les dévotions eucharistiques parallèles.
Ainsi les baptisés ont développé un goût pour le réalisme, voire pour 1’ultra-réalisme.
Par exemple, ils ont été amenés à concevoir la liturgie comme la réitération concrète de la crucifixion, le déroulement des rites de la messe reproduisant mystiquement la passion de Jésus.
Selon cette perspective, le Christ était véritablement immolé sur l’autel, ce qui avait pour effet de supprimer la distance nécessaire entre l’événement historique de la mort du Nazaréen et l’acte sacramentel.
Les chrétiens ont identifié le pain rompu au corps immolé du Christ, c’est-à-dire qu’ils ont confondu le signifiant avec le signifié.De nouvelles pratiques s’installent : refus de la communion dans la main qui se faisait habituellement : on cherche à éviter une trop grande familiarité des fidèles envers les mystères sacrés.
La raison la plus insidieuse semble être un des rites d’ordination mis en place vers le huitième siècle : celui de la consécration et de la sanctification des mains du prêtre, rite qui met un accent nouveau sur le rôle du prêtre en le sacralisant jusqu’aux mains !... cette pratique facilitant l’abandon progressif de la communion dans les mains, les laïcs se croyant trop « profanes » pour toucher l’hostie....
La communion n’ayant lieu qu’une seule fois dans l’année, à Pâques, il était logique que les baptisés pratiquent davantage la dévotion à la « présence réelle ».
Si au début, le prêtre conserve simplement quelques hosties consacrées à l’intention des malades, à partir du quatorzième siècle, les fidèles ont pris l’habitude de se mettre devant les hosties en réserve dans le tabernacle pour prier.
On ne recevait pas le sacrement...mais on adorait la présence de Jésus dans l’hostie.On encourage la passivité des chrétiens, par exemple en favorisant leur désir de « voir l’hostie ».
Pour répondre à ce désir, ils ont introduit l’élévation de l’hostie et de la coupe consacrées de façon telle que les croyants puissent les voir et les adorer.
L’évolution du culte eucharistique s’est poursuivie durant les siècles suivants, toujours dans le sens de la chosification de l’hostie.
La suite logique du désir de « voir l’hostie », l’adoration perpétuelle, est apparue à la fin du quatorzième siècle.
Les chapelles du saint sacrement ont été aménagées dans les églises et les cathédrales pour répondre à cette nouvelle dévotion.
Au début du quinzième siècle, le pape Clément VIII a initié l’adoration perpétuelle à Rome pour faire réparation de toutes les offenses à la majesté de Dieu. Parallèlement, la Fête-Dieu avec ses festivités publiques et sa procession solennelle, a été créée, l’hostie étant clairement visible au regard de tous dans un ostensoir magnifiquement orné et élevé au-dessus de la foule.(inspiré d’un texte paru dans la revue Golias en 2003)
(Prochaine séquence : début août)