THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
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Cette année 2014 :
NOS PERES DANS LA FOI
SAINT AUGUSTIN
( par Gilles Brocard )
1ere partie : Augustin, l’homme, le croyant, l’évêque d’hippone
Avertissement : je ne suis pas un spécialiste de saint Augustin, mais plutôt un amoureux de son langage, mon but étant de vous donner envie de le lire.
Intro :
16 siècles nous séparent de Saint Augustin. Nous unissent plutôt, à Saint Augustin car cette longue période est toute entière pénétrée de la présence de saint Augustin. On sait à quel point de son vivant, l’évêque d’Hippone eut un rayonnement considérable, ses moindres productions s’arrachaient, une constellation d’amis et de disciples enthousiastes s’employait activement à diffuser sa pensée, faisant de st Augustin, un maître, passionnément admiré, écouté et suivi : une lettre du 5ieme siècle parle de lui en ces termes : « O abeille de Dieu, vraiment habile à faire un miel plein de nectar divin et d’où s’écoulent la miséricorde et la vérité, le Seigneur est béni en votre bouche et votre ministère. Vous vous faites si bien l’écho de ce que le Seigneur vous chante et vous y répondez si bien que tout ce qui part de sa plénitude pour venir jusqu'à nous reçoit plus d’agrément encore en passant par votre beau langage, votre netteté et votre ministère. »
Quelle louange ! ! !
Après sa mort, en 430, Augustin laissa la place à l’augustinisme. Les anti thomistes au 13ème siècle, les réformés au 16ème siècle (Luther) se l'approprièrent. Le 17ème siècle fut le grand siècle de la réhabilitation de st Augustin inspirant l’école française et l’Oratoire de France. Par ailleurs tous les grands auteurs de ce siècle le citent et le commentent, (Pascal, Montaigne, etc...) même les jansénistes l’utilisent (Jansénius en 1640). On voit dans la pensée de Descartes de nombreux rapprochements avec la pensée de St Augustin. Son influence continua à s’exercer durant le 18, le 19, et le 20ème siècle, ou l’on se mit à la recherche sur ses œuvres. Il reste aujourd’hui encore, un des rares penseurs chrétiens dont les non-chrétiens savent qu’il existe et à qui ils font une place dans l’évolution de l’esprit humain. La célébration de 15ème centenaire de sa mort en 1930 et du 16ème centenaire de sa naissance en 1954 ont montré la fécondité toujours réelle de la pensée augustinienne. Même si ce n’est pas toujours le meilleur de st Augustin qui a exercé l’influence la plus profonde ou la plus visible, (je pense au péché originel ou à la masse des damnés, par ex) il n’est reste pas moins que cet homme a su dire "le miel plein de nectar divin et d’où s’écoulent la miséricorde et la vérité."
Tableau des principales dates
de la vie d’Augustin
354 (13 Nov.) Naissance.
361 (env.) Écolier à Thagaste.
365-366 Part pour les écoles de Madaure.
369-370 Année d'oisiveté à Thagaste.
370 (automne) Part poursuivre ses études à Carthage.
371 (automne) Noue sa liaison avec une concubine.
372 (été) Naissance de son fils Adéodat.
372-373 Lecture de l'Hortensius : conversion à la philosophie - adhésion au Manichéisme.
373 (automne) Professorat à Thagaste.
374 (automne) - 383 - Professorat à Carthage.
383 Rencontre avec Fauste de Milève, Augustin se détache du Manichéisme.
383-384 Professorat à Rome.
384 (automne) Professeur à Milan.
385 Augustin orateur officiel. Débats intérieurs.
386 (Juin) Augustin découvre la philosophie néo-platonicienne.
386 (Juillet) Lecture des Épîtres de saint Paul.
386 (Août) Scène du Jardin : conversion d'Augustin.
386 (fin Août) Vacances ; départ pour Cassiciacuin.
386 (automne) Démission officielle ; rédaction des premiers Dialogues.
387 (fin de l'hiver) Retour à Milan : se fait inscrire pour le baptême.
387 (24/25 Avril) Vigile pascale : baptême d'Augustin et d’Adéodat
387 (été/automne) Départ de Milan.
387 (automne) Mort de sa mère Monique à Ostie. Séjour à Rome.
388 (automne) Départ pour l'Afrique.
388-391 Vie monastique à Thagaste
389 Mort d'Adéodat
390 Ordination presbytérale
395 Il devient évêque coadjuteur de Valéruis à Hippone
396 Mort de Valérius et Augustin devient évêque d’Hippone
426 Augustin désigne son successeur, le prêtre Héraclius pour le seconder
430 Mort de St Augustin
A) La vie de St Augustin, l’homme devient croyant
Augustin est un Africain du Nord par sa naissance, un Kabyle, né le 13 Novembre 354 à Thagaste à l’Est de Constantine actuelle en Algérie. Mais toute sa formation a fait de lui un européen d'occident, de culture et de formation latine. Formé à la rhétorique, (l’art de parler) il est avant tout un lettré, études qu’il interrompt pour s’occuper de son fils Adéodat qu’il eut en 372 (il a alors 18 ans).
Monique sa mère chrétienne, née en 322, eût 3 enfants (Augustin est l'aîné). Mariée à un païen, qu'elle réussit à convertir vers la fin de sa vie, elle assistera à son baptême en 370 un an avant qu'il ne meurt. Augustin a alors 17 ans. Cet homme, Patricius, était un petit propriétaire foncier qu'une fiscalité écrasante conduisait irrémédiablement à la ruine. Elle assista aussi au baptême de son fils Augustin en 387 puis mourut quelques mois après, avec le sentiment du devoir accompli. Elle a 56 ans et son fils 33 ans.
Augustin devient par la suite professeur à Rome, puis à Milan, et c’est là, en août 386 (il a 32 ans) que toute sa vie bascule quand il se converti, alors qu'il entend dans la cathédrale de Milan saint Ambroise prêcher sur ce passage de St Paul disant : « plus de ripailles, ni de débauches, ni d’orgie ni de coucherie, revêtez-vous du Seigneur » (Rm 13, 13). Ce fut comme une illumination : il démissionne de son poste de professeur, demande le baptême et le reçoit le 25 Avril 387 à la vigile pascale, en même temps que son fils Adéodat. A la mort de sa mère Monique, (Ste Monique) à l’automne 387, il retourne à Thagaste, sa ville de naissance, il vend ses biens, il regroupe autour de lui ses plus fidèles amis et organise une sorte de communauté monastique dans laquelle il pensait bien passer le reste de ses jours dans le recueillement et la prière. Mais seulement 2 ans après, en 389, il perd son fils Adéodat, nouvelle épreuve pour le père qu’il était.
En 391, alors qu’il était à Hippone, il entre dans l’Eglise et entend que l’Evêque Valérius cherchait un prêtre susceptible de le seconder surtout dans la prédication. Bien connu par les gens d’Hippone pour ses talents d’orateur, ce ne fut qu’un cri : « Augustin, Prêtre » s’exclama le peuple. On le saisit, on le pousse en avant jusqu'à l’autel et malgré ses larmes et protestations, son ordination est décidée. (Il est important de préciser que ces faits n’avaient rien d’extraordinaire à l’époque, c’était le peuple qui choisissait ses prêtres : ex. d'Ambroise qui, de simple catéchumène devint évêque par acclamation du peuple). Augustin devient donc prêtre à 36 ans, en l’an 390, abandonnant son amour de la vie contemplative, pour les exigences d'un ministère paroissial à Hippone. A peine 5 ans après son ordination presbytérale, il fut sacré Evêque à Hippone (comme prévu, car il devait remplacer Valérius).
Hippone est la 2° plus grande ville du nord de l'Afrique après Carthage. A cette époque, c'est à l'évêque seul que revient le devoir de présider la célébration quotidienne de la liturgie, l'administration des sacrements, le ministère de la Parole. Une des tâches de l’évêque à l'époque était aussi de régler les innombrables conflits qui pouvaient opposer les hommes entre eux, bref, il était tout autant l’évêque que le juge de la ville. Jusqu'à la fin de sa vie, Augustin ne cessera de se plaindre du poids de sa charge épiscopale. Mais ce sont les demandes du peuple qui l’empêchaient de se décourager et le faisaient toujours repartir de plus belle. On peut dire qu’il fut l'intellectuel passé au service du peuple, le rhéteur devenu responsable devant Dieu de toute une Eglise.
B) La ville et les paroissiens d’Hippone :
Lorsque qu'Augustin devint Evêque d'Hippone, la ville a déjà mille ans d'existence : la vie romaine s'y était développée avec magnificence depuis 200 ans, toutes les valeurs du paganisme étaient là, comme figées dans la pierre depuis des lustres. Grâce au trafic régulier du port, Augustin était au contact d'un monde très vaste et très divers. La bande côtière de l’Afrique était alors un pays prospère où la population était dense, sans village mais parsemé d'innombrables petites villes à la tête desquelles siégeait un évêque. Léon le grand (445) parle de 500 à 700 évêchés dans les années 400 en Afrique du Nord. Même si elle arrivait en second lieu après Carthage, Hippone comptait environ 40 000 habitants et était un port important de trafic avec Rome.
En bordure de la ville, le territoire était occupé par de grands propriétaires terriens, employant de nombreux esclaves. Depuis des siècles, la campagne ne parlait que le Punique, un dialecte local, obstacle majeur pour la prédication ; La population locale était sous l'emprise de la superstition, de la magie, du donatisme, et des circoncellions, (sorte de groupe religieux fanatiques et violents réagissant à l'injustice sociale).
Cela fait seulement un siècle que les chrétiens peuvent exister librement, (depuis 313 avec Constantin) mais ils se mêlent avec des cultes païens, les combats d'animaux, les courses, les spectacles, les cirques. La superstition, l'astrologie, la magie sont autant d'idoles enracinées dans les habitudes d'une société païenne récemment christianisée. L'ivrognerie touche aussi les clercs qui s'enivraient fréquemment : "Sur l'aire de l'Eglise, il y a plus de paille que de grain " soupire Augustin, les ivrognes, escrocs, joueurs, adultères, débauchés, magiciens, astrologues, ce sont eux dont la masse pervertie remplit corporellement les églises ».
Certains avaient compris qu’il était avantageux d'embrasser la foi chrétienne, la religion du gouvernement impérial, de la majorité. Il y a aussi la foule des indifférents, qui retardaient leur baptême jusque sur leur lit de mort, ou lors d'un tremblement de terre ou d'une maladie grave. Il y avait aussi ceux qui tombaient dans l'excès inverse : la pureté religieuse. Il y avait encore ceux qui maugréaient, qui regrettaient le temps jadis, car le présent pensent-ils, ne peut rien apporter que de la décadence... On priait beaucoup sous la pression des circonstances, pour demander la richesse, ou la pluie, on priait à voix haute, avec beaucoup de gestes, en poussant des gémissements et en versant des larmes. Seulement aux grandes fêtes l'église était comble et l’affluence à l'église était moins nombreuse quand un programme était affiché au théâtre. Bref, une société qui comporte des caractéristiques finalement pas si éloignées de celles que nous connaissons aujourd’hui.
C) L’évêque d'Hippone
Augustin connaissait la puissance que possède le bon exemple du petit nombre : comme le levain dans la pâte, il en suffit d'une pincée pour que toute la pâte lève. Il mettait toute sa force et tout son art pour aider ce petit peuple à progresser dans la foi et dans la charité. Augustin a commencé par mettre en pratique ce qu'il enseignait à son peuple. « Je vous parle de ce dont je me nourris ; ce que je vous communique, c'est ce dont je vis moi-même" (Sermon 339, 4).
Comme beaucoup de lettrés de son temps, il connaissait la Bible par cœur, ainsi que les classiques littéraires. Mais Augustin est aussi un homme de cœur : C’est un converti qui parle et qui se souvient d’avoir péché, c’est pour avoir trop longtemps erré loin de Dieu qu’il exhorte avec tant de vigueur ses paroissiens et qu’il est parfois si exigeant. Dans la pratique, c'est la charité qui prendra toujours le dessus. En fait Augustin malgré l'importance qu'il accorde à la pureté du cœur, malgré ses violentes attaques contre les attitudes païennes, ne s'est jamais opposé aux attitudes simples des petites gens et à leur piété populaire.
En 426, vers la fin de sa vie, il désigna son successeur que le peuple acclama comme ils l’avaient acclamé 30 ans auparavant. Héraclius demeura prêtre jusqu'à la mort d’Augustin et seconda le vieil évêque âgé alors de 72 ans. Il demeura encore près de 4 ans à la tête de son diocèse. Puis il tomba gravement malade en mars de l’année 430, ses dernières paroles furent celles-ci : « Ma vie n’a pas été telle que j’aie à rougir de vivre encore parmi vous, et je ne redoute pas la mort, car nous avons un bon Père ». Il mourut en laissant à son diocèse un nombre élevé de prêtres et au monde, une bibliothèque immense et inoubliable.
D) Son œuvre
Augustin écrivit beaucoup, répondant aux lettres de ses amis, ou de ses ennemis, des hérétiques, faisant des homélies et des traités qu'il eut le souci de conserver et de réviser pour la postérité. Son œuvre littéraire est considérable :
- 113 ouvrages dont certains font 15 livres comme le « de Trinitate », 14 pour le « de Genesis », 22 pour « la Cité de Dieu »,
- 218 lettres
- plus de 500 sermons conservés... dont les plus longs faisaient 2 h 30 de paroles.
- Il relira l’ensemble de ses écrits vers la fin de sa vie pour en corriger les erreurs, c’est sa dernière œuvre : « les rétractationes ».
L’admirable c’est qu’avec une vie si occupée en tant qu’évêque, st Augustin soit arrivé à écrire tant de livres et à rester fidèle à sa vocation de contemplatif.
La prochaine fois, nous ferons connaissance avec son livre phare : « les confessions »
A suivre, début septembre