THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
Cette année 2014 :
NOS PERES DANS LA FOI
La Patristique, c'est l'une des disciplines les plus importantes de la théologie.
Elle consiste à étudier l'apport théologique de ceux qu'on appelle les "Pères de l'Eglise".
La liste de ces "Pères" est assez vaste : pères de l'Eglise Orientale, pères de l'Eglise Latine.
En principe, cette liste ne comprend que des hommes qui ont vécu tout au long du premier millénaire.
Personnellement, je ne suis aucunement spécialiste. Simplement curieux et intéressé.
C'est donc pour vous et avec vous que je vais essayer, tout au long de cette année,
de découvrir et présenter quelques-uns d'entre eux. Ceux qui, à première vue, m'intéressent.
Vous me direz ce que vous en pensez. Toutes vos suggestions nous seront utiles.
Nous commencerons par un Lyonnais, saint Irénée.
1 - SAINT IRENEE ( 120 - 202)
A SMYRNE
Irénée est né à Smyrne entre 120 et 130 de notre ère. Smyrne, c'est aujourd'hui Izmir, une ville sur la côte occidentale de la Turquie, le deuxième port de cette République, ville peuplée de près de 3 millions d'habitants. Cité très ancienne, fondée par les Grecs. Certains disent que c'est à Smyrne qu'est né Homère, l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée. Cité, donc de culture grecque, comme en témoigne encore le nom d'Irénée, qui est un nom grec qui signifie "Homme de paix", "Pacifique". On prétendait que cette ville était le "berceau des mathématiques". En tout cas, au moment de la naissance d'Irénée, elle était la plus grande et la plus romanisée de toutes les villes d'Asie Mineure. Célèbre par son école de médecine, dotée de nombreux temples et d'un vaste théâtre antique, cette ville était qualifiée de "joie de l'Asie et joyau de l'Empire". Il n'y a plus rien à visiter de la ville de l'antiquité. Mais on commence depuis peu des campagnes de fouilles.
A la naissance d'Irénée, moins de cent ans après la mort et la résurrection de Jésus, il y avait déjà une importante communauté chrétienne à Smyrne. On pense que c'est saint Paul qui en fut le créateur durant son voyage en Asie Mineure en 53-56. Le premier témoignage écrit, c'est dans l'Apocalypse, qui a été écrite vers l'année 95. L'auteur s'adresse aux sept Eglises (d'Asie Mineure), dont, en deuxième position, l'Eglise de Smyrne. D'après ce texte, cette communauté chrétienne a déjà connu des épreuves ; et ce n'est pas fini ! L'auteur ajoute : "N'aie pas peur de ce que tu vas souffrir. Le diable va vous mettre à l'épreuve en jetant plusieurs d'entre vous en prison ; vous aurez à souffrir pendant dix jours. Sois fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de vie." (Apocalypse 1, 10) Annonce, sans doute, de la persécution de Domitien..
SOURCES CHRETIENNES
C'est dans cette conjoncture que naît le petit Irénée. Dans une famille d'origine grecque, membre de la communauté chrétienne de la ville. On peut dire qu'il a puisé aux sources les plus immédiates de la foi transmise par les apôtres, par saint Paul sans doute, mais essentiellement par saint Jean. Lui-même l'écrira un jour. Il évoque son maître saint Polycarpe, qui avait reçu l'imposition des mains de l'apôtre saint Jean, et voici ce qu'il dit : « Non seulement Polycarpe fut disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de gens qui avaient vu le Seigneur, mais c’est encore par des apôtres qu’il fut établi, pour l’Asie, comme évêque de Smyrne. Nous-mêmes l’avons vu dans notre prime jeunesse – car il vécut longtemps et c’est dans une vieillesse avancée que, après avoir rendu un glorieux et très éclatant témoignage, il sortit de cette vie –. Or il enseigne toujours la doctrine qu’il avait apprise des apôtres, doctrine qui est aussi celle que l’Église transmet et qui est la seule vraie. » (Contre les hérésies, III, 3, 4. ),
Saint Polycarpe était né vers l'an 70, et, nommé évêque de Smyrne par saint Jean, il avait une cinquantaine d'années à la naissance d'Irénée. Celui-ci devint l'un de ses plus proches disciples. Polycarpe fut un grand évêque, dans une époque difficile pour l'Eglise. D'abord à cause des divisions qui y régnaient. Il ne faudrait pas croire que l'Eglise primitive était un modèle exemplaire de paix et d'unité. Dès le début, il y eut des divisions. Les lettres de saint Paul notamment, comme d'ailleurs les Actes des Apôtres en sont témoins. Au temps de saint Polycarpe sévissaient déjà les sectes gnostiques. De plus, la division entre Eglises d'Orient et Eglises d'Occident se faisait jour. C'est ainsi que Polycarpe, en 154, dut se rendre à Rome pour discuter avec Anicet, l'évêque de Rome, au sujet de la date de Pâques, les Orientaux célébrant cette fête le 14 nisan, comme les Juifs, tandis que les Occidentaux reportaient cette fête au dimanche suivant. Polycarpe et Anicet se séparèrent sans avoir pu faire un accord mais cependant "dans l'amitié." Et puis, il y avait les premières persécutions. Polycarpe avait 86 ans lorsqu'il fut arrêté, lors de la persécution de Marc-Aurèle. Il fut brûlé vif en 155.
Saint Irénée
PRETRE A LYON
Pour comprendre Irénée, son parcours, sa mission, ses combats et ses enseignements théologiques, il faut avoir en tête ce contexte. Il est l'homme d'une époque bien déterminée : une époque difficile et même dangereuse. Irénée sera toute sa vie le champion d'une pleine et parfaite orthodoxie, quitte à risquer sa vie. On sait très peu de choses sur son enfance et sa jeunesse, sinon le fait qu'il ait fréquenté Polycarpe, l'évêque de sa cité. On ne sait pas pourquoi il quitte sa ville natale en 157, alors qu'il a une bonne trentaine d'années. On le retrouve à cette date à Lyon. Comme lui, beaucoup d'étrangers arrivaient à l'époque dans la vallée du Rhône. Est-ce poussés par un zèle missionnaire ? En tout cas, il nous est alors présenté comme un presbyter, un ancien, un prêtre de l'Eglise de Lyon qui a saint Pothin comme évêque. Il ne fait pas parler de lui pendant les vingt ans qui suivent. Survient la persécution de Marc Aurèle en mars 177. Où est passé Irénée ? On ne le sait. Peut-être a-t-il été envoyé en mission à Rome. Toujours est-il qu'il échappe à l'arrestation dont sont victimes un grand nombre de chrétiens lyonnais. Le causes de ces arrestations ? La plus vraisemblable est la haine dont sont frappés les chrétiens qu'on accuse de toutes les perversions : ils pratiquent couramment l'inceste, dit-on, et même ils sont régulièrement anthropophages. Les recherches les plus récentes font état de 47 victimes : 22 de ces martyrs (dont 11 femmes) furent décapités : c'étaient des citoyens romains. 6 personnes sont morts dans l'arène, soit 5 hommes et une femme; Blandine. Enfin, 18 personnes, dont dix femmes, sont mortes en prison. Parmi elles, le vieil évêque saint Pothin, âgé de plus de 90 ans. Avec saint Pothin, c'est Blandine qui est la plus connue de ces martyrs. Elle était une jeune esclave qui fut tirée de prison et dut assister à la mort de ses compagnons dans l'arène. Elle-même livrée aux bêtes qui refusèrent de lui faire le moindre mal, elle fut alors torturée : flagellée, puis placée sur un gril brûlant, elle fut enfin livrée dans un filet à un taureau qui la lança en l'air avec ses cornes. Ayant survécu à toutes ces horreurs, sainte Blandine fut achevée par l'épée. Elle fut la dernière des 47 martyrs de Lyon.
EVEQUE DE LYON
Voilà le contexte. Etre chrétien est alors un choix risqué, dangereux. Toujours est-il qu'Irénée est choisi comme évêque pour remplacer saint Pothin. Ce seront alors une bonne vingtaine d'années d'un épiscopat bien chargé. Irénée va se révéler comme un pasteur soucieux de l'instruction de son peuple et de l'expansion de la foi chrétienne en Gaule. Sur ce dernier plan, il semble bien que c'est à saint Irénée que notre province, la Franche Comté, doit d'avoir été évangélisée : selon la tradition, les saints Ferréol et Ferjeux qui, les premiers, annoncèrent l'Evangile à Besançon, venaient de Lyon et étaient envoyés par saint Irénée. L'expansion de l'Eglise lui tient à cœur, mais aussi son unité. Là où son maître saint Polycarpe n'a pas réussi - l'accord sur la date de Pâques - Irénée (l'homme de la paix) entreprend de recommencer la négociation. Il va trouver le pape Eleuthère. La négociation est difficile, tant les positions sont rudement défendues. A un tel point que le pape s'apprête à excommunier les évêques d'Asie. Il faudra toute la patience de saint Irénée pour l'en empêcher. Le pape accepte enfin de laisser chaque Eglise libre de ses choix dans des domaines qui ne portent pas sur la foi. Le conflit ouvert est ainsi évité. Les Eglises d'Orient en viendront plus tard d'elles-mêmes et pacifiquement à l'usage commun.
Mais, me direz-vous, en quoi saint Irénée se montre-t-il un "Père dans la Foi" ? Nous allons y arriver. J'ai évoqué plus haut l'hérésie gnostique qui faisait des ravages dans l'Eglise naissante dès la fin du Ier siècle. Cette hérésie est d'une telle importance qu'il va nous falloir l'analyser en profondeur. Nous le ferons le mois prochain. Vous verrez que ça ne manque pas d'intérêt. Vous comprendrez alors pourquoi saint Irénée a consacré un tel effort intellectuel pour la réfuter.
Αὐτὸς γὰρἐνηνθρώπησεν ἵνα ἡμεῖς θεοποιηθῶμεν. Pour aujourd'hui, je vous transmets cette pensée de saint Irénée, qui est, pour moi, l'une des plus grandes formulations de la foi chrétienne. Irénée écrivait en grec. Sa pensée peut se traduire ainsi : "Dieu s'est fait homme pour que nous soyons divinisés." De quoi nous faire réfléchir !
(La suite début février)