THÉOLOGIE "POUR LES NULS"
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Cette année 2014 :
NOS PERES DANS LA FOI
SAINT AUGUSTIN
( par Gilles Brocard )
6ème partie : Une homélie de saint Augustin
Comme promis, pour terminer ce cycle sur St Augustin, je vous offre en ce début de nouvelle année un inédit : son homélie N°137 que j’ai traduite personnellement à partir du latin (3 mois de travail quand j’étais étudiant). Ce sermon existe dans un recueil intitulé « les plus beaux sermons de saint Augustin » aux éditions augustiniennes, en 3 volumes, par Georges Humeau, mais j’ai eu besoin de traduire moi-même le texte pour entrer dans l’écriture s’Augustin et en ressentir toute la beauté.
Si quelqu’un devait prêcher telle quelle cette homélie aujourd’hui, il prêcherait environ 1 h 15 ! Il se sert constamment de l’Ecriture pour éclairer ses commentaires, c’est totalement imbibé de la Parole de Dieu ! On pourrait comparer cette homélie à un véritable clip vidéo avant l’heure : en effet Augustin utilise plus de 70 images dans ce sermon ! C’est peut-être trop ? À vous de juger.
Augustin prêche sur le « bon pasteur », c’est-à-dire sur le passage de Jean 10, 1-10. Cette homélie est clairement dirigée contre les donatistes de son époque, contre lesquels st Augustin veut mettre en garde ses fidèles. (je rappelle que les donatistes sont ces fidèles de Donat qui procédait à des « rebaptêmes », prétendant être la seule Église des Purs et des Saints. pour augustin, l’Église donatiste est comme une arche de Noé, "bien goudronnée à l'intérieur pour ne pas laisser échapper les eaux salutaires du baptême, et bien goudronnée à l’extérieur pour ne pas laisser entrer les eaux souillées du dehors". Pour les donatistes, c’est la pureté des membres qui fait la pureté du Corps c'est-à-dire que c’est la pureté des ministres qui garantit la pureté de l’Eglise. Or pour Augustin c’est l’Eglise qui est pure, car elle a pour tête le Christ qui est pur, et les membres du corps sont purifiés par la tête, donc par le Christ. La pureté advient quand on appartient au Corps qui, lui-même, est relié à la tête.) En lisant cette homélie, chacun pourra trouver qui sont, pour lui, les donatistes d’aujourd’hui dont il doit se méfier. Voici donc cette homélie. Prenez le temps de la lire tranquillement, en plusieurs fois si besoin, arrêtez-vous sur une image qui vous marque, continuez-la vous-même, etc… vous verrez alors qu’une homélie bien faite parle à toute époque, elle est intemporelle !
Bonne lecture et à bientôt pour un autre série de réflexions
Ps : je serais heureux d’avoir vos réflexions sur cette homélie (gilbrocard@orange.fr)
Traduction (personnelle) du sermon 137 de Saint Augustin
Votre foi ne met pas en doute, très chers frères, et nous vous en avons déjà instruits, nous-mêmes enseignés par le Maître du ciel en qui vous avez placé votre espérance, que Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a souffert pour nous et qui est ressuscité, est la tête de l'Eglise et que l'Eglise est son corps, et que c'est la charité qui produit l'unité et la santé de ses membres. En effet, quelqu'un est-il moins brûlant de charité, il devient aussitôt un membre malade dans le corps du Christ. Mais Celui qui a déjà glorifié notre Tête est assez puissant pour guérir les membres malades de son corps, à la condition cependant que ces membres ne se soient pas séparés volontairement du corps par un manque de foi, mais qu'ils restent attachés au corps jusqu'à ce qu'ils soient guéris. En effet, tant qu'un membre reste uni au corps, il ne faut jamais désespérer de sa santé, mais s'il s'en retranche, il ne peut être ni soigné ni guéri. Le Christ étant la tête de l'Eglise, et l'Eglise son corps, la tête et le corps forment donc le Christ total. Lui, il est déjà ressuscité, nous avons donc la tête au ciel. Notre tête exempte de péché et de la mort intercède pour nous, et obtient déjà de Dieu le pardon de nos péchés, afin que nous aussi, ressuscitant au dernier jour et transformés dans la gloire du ciel, nous soyons là où est notre tête. En effet, là où est la tête, là aussi doivent être les autres membres. Et tant que nous sommes ici-bas, nous sommes ses membres : ne désespérons donc pas, car il est certain qu'un jour nous irons là où est notre tête. Voyez en effet, frères, quel est l'amour de notre tête : elle est déjà dans le ciel, mais elle peine sur la terre tant que peine l'Eglise. Sur terre, le Christ a faim, il a soif, il est nu il est étranger, malade, en prison. Tout ce qu'éprouve son corps ici-bas, le Christ déclare en être affecté lui-même, et quand à la fin des temps, séparant les membres de son propre corps à droite et reléguant à sa gauche le reste des hommes qui aujourd'hui le méprisent, il dira à ceux qui sont à sa droite : "Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde." Et en quoi ont-ils mérité ? Jésus lui-même nous dit : "j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger." Et il énumère ainsi toutes ces bonnes œuvres comme s'il en avait lui-même bénéficié. A tel point que ceux à qui il s'adresse, n'y comprenant rien, lui répondent : "Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu affamé, étranger et en prison ?" Et Lui de leur répondre : "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait." Il en est de même pour notre corps, la tête est en haut et les pieds touchent par terre ; mais quand dans une foule compacte et pressée, quelqu'un te marche sur le pied, n'est-ce pas la tête qui dit : "tu m'écrases le pied ?" et pourtant ce n'est pas sur la tête ni sur la langue qu'on à marché ! Les membres qui sont en haut sont en sûreté, rien de mal ne peut leur arriver. Cependant, parce qu'un lien de charité unit les membres de la tête aux pieds, la langue ne se sépare pas du reste et s'écrie : "tu m'écrases le pied" sans que personne ne l'ait touchée. De même donc que la langue que personne n'a touchée s'écrie : "tu m'écrases le pied", ainsi le Christ notre tête, que personne ne peut écraser, proclame : "j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger", et à ceux qui n'auront rien fait, il déclarera : "j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger", et comment conclue-t-il ? Par ces mots : "ceux-ci iront au feu éternel et les justes à la vie éternelle."
Mais venons-en à notre texte : Comme le Seigneur vient de le dire à l'instant, il se dit à la fois être le pasteur et la porte. Tu as ici ce double titre : "Je suis la porte" et "Je suis le pasteur". La porte se rattache à son rôle de tête ; le pasteur à ses fonctions vis à vis du corps. En effet, il a dit à Pierre sur qui seul il a fondé son Eglise : "Pierre m'aimes-tu ?" et celui-ci de répondre : "Seigneur je t'aime. Pais mes brebis." Et ceci jusqu'à la troisième fois : "Pierre m'aimes-tu ?". Pierre fut contristé de ce qu'il l'interrogeait par trois fois" ; comme si celui qui avait vu la conscience du négateur ne voyait pas la foi du confesseur. Mais Jésus n'avait jamais cessé de connaître Pierre, il le connaissait alors même que Pierre ne se connaissait pas lui-même. En effet, Pierre ne se connaissait pas quand il disait : "je te suivrai jusqu'à la mort" Il ne savait pas à quel point il était faible. C'est ce qui arrive souvent à ceux qui sont malades, ils ne savent pas ce qui se passe en eux, mais le médecin le sait, et si le malade souffre de sa maladie, le médecin n'en souffre pas. Le médecin sait bien mieux dire ce qui se passe chez le malade, que le malade lui-même ne saurait exprimer ce qui se passe en lui. Pierre était alors le malade et le Seigneur le médecin. Le premier prétendait avoir une force qu'il n'avait pas, le second, touchant la veine de son cœur, lui prédisait qu'il le renierait trois fois, et l'événement donna raison non à la présomption du malade, mais à la prédiction du médecin. Si donc, le Seigneur l'interroge après sa résurrection, n'ignorant pas la sincérité de son amour à son égard, c'est pour qu'il efface par une triple confession d'amour, sa triple négation inspirée par la peur. Voilà donc ce que le Seigneur exige de Pierre quand il lui dit : "Pierre m'aimes-tu ?" C'est comme s'il lui disait : "que me donneras-tu, comment me prouveras-tu que tu m'aimes ?" Pierre pouvait-il donner quelque chose au Seigneur ressuscité, qui allait monter au ciel et s'asseoir à la droite du Père ? Par ses paroles, le Seigneur voulait simplement lui dire : "Si tu m'aimes, voilà ce que tu me donneras, tu m'en fourniras la preuve en paissant mes brebis, entre par la porte et ne monte pas par un autre endroit".
Vous l'avez entendu quand on lisait l'Evangile :"Celui qui entre par la porte est le pasteur ; mais celui qui monte par ailleurs est un voleur et un brigand ; il ne vient que pour dérober, disperser et détruire". Qui est celui qui entre par la porte ? C'est celui qui imite la souffrance du Christ, qui connaît l'humilité du Christ, qui, voyant Dieu se faire homme pour nous, comprend que l'homme n'est pas Dieu, mais simplement un homme ; car celui qui voudrait paraître Dieu alors qu'il n'est qu'un homme, est bien loin d'imiter Celui qui étant Dieu, s'est fait homme. Attention, je ne dis pas : "Sois quelque chose de moins que ce que tu es, mais reconnais ce que tu es, reconnais toi malade, reconnais toi homme, reconnais toi pécheur, reconnais que c'est Lui qui te justifie, reconnais pour cela que tu es pécheur. Que ta confession fasse apparaître les péchés de ton cœur alors seulement tu appartiendras au troupeau du Christ". Car la confession des péchés invite le médecin à les guérir. Mais le malade qui dit "Je suis en bonne santé", ne recherche pas le médecin. Est-ce que le Pharisien n'était pas monté au temple en même temps que le publicain ? Tandis que le pharisien se glorifiait de sa santé, le publicain dévoilait ses blessures au médecin. Le premier disait en effet : "Je te rends grâce Dieu, de ce que je ne suis pas comme ce publicain." Il se glorifiait d'être bien au-dessus de lui. Et si le publicain avait été en bonne santé, le pharisien en aurait été jaloux, n'ayant plus personne au-dessus de qui s'élever. Dans quel état d'esprit était-il donc venu, cet homme ainsi jaloux ? Très certainement il n'était pas en bonne santé, mais parce qu'il se prétendait bien portant, il n'est pas redescendu guéri, tandis que le publicain, baissant les yeux vers la terre, n'osant même pas regarder le ciel, se frappait la poitrine en disant : "Mon Dieu aie pitié de moi pécheur", et que répondit le Seigneur ? "Amen, je vous le dis, le publicain est descendu du temple davantage justifié que le pharisien, car quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse sera élevé." Ceux qui s'élèvent ce sont ceux qui veulent monter par un autre endroit dans la bergerie ; mais ceux qui s'abaissent, ils entrent dans la bergerie par la porte. Voilà pourquoi Jésus dit de l'un : "il entre" et de l'autre : "il monte." Remarquez-le, celui qui monte, c'est celui qui cherche à gagner les sommets, il n'entre pas mais il tombe. Celui au contraire qui s'abaisse pour entrer par la porte, il ne tombe pas, car il est le pasteur.
Mais le Seigneur parle de trois personnages : le pasteur, le mercenaire et le voleur qu'il nous faut retrouver dans l'Evangile. Vous avez remarqué en effet dans cette lecture, qu'on y désigne successivement le pasteur, le mercenaire et le voleur. "Le pasteur, dit-il, donne sa vie pour ses brebis et entre par la porte ; le voleur ou le brigand monte par un autre endroit ; quant au mercenaire, s'il voit venir le loup ou le voleur, il fuit car il n'a pas soin des brebis." En effet, il est mercenaire, et non pasteur. Celui qui entre par la porte, c'est parce qu'il est le pasteur ; celui qui monte par un autre endroit, c'est parce qu'il est un voleur ; le troisième, voyant ceux qui s'apprêtent à voler les brebis, tremble et s'enfuit, parce qu'il est mercenaire et qu'il ne se soucie pas des brebis, il est donc bien un mercenaire. Si nous avons bien distingué ces trois personnages, nous voyons maintenant ceux que nous devons aimer, ceux que nous devons tolérer et ceux que nous devons éviter. Il faut aimer le pasteur, tolérer le mercenaire et éviter le voleur.
Cela me fait penser à ces hommes d'Eglise dont l'Apôtre déclare qu'ils prêchent l'évangile par intérêt recherchant auprès des hommes l'argent, les honneurs et les louanges. Prêchant l'Evangile tant bien que mal, ils veulent recevoir des faveurs car ils cherchent moins le salut de ceux qu'ils évangélisent que leur propre avantage. Mais bienheureux celui qui, entendant la parole de salut de la part d'un homme qui n'est pas lui-même dans la voie du salut, continue de croire en Celui qui lui est annoncé, sans pour autant mettre son espérance dans ce prédicateur, car ce qui est un dommage pour le prédicateur devient alors un gain pour l'auditeur.
En effet, si le Seigneur a dit des pharisiens "qu'ils sont assis sur la chaire de Moïse", il ne voulait pas seulement parler des Pharisiens car il aurait eu l'air de renvoyer ceux qui croiraient au Christ à l'école des juifs pour y apprendre le chemin qui conduit au Royaume des cieux. Le Seigneur n'est-il pas venu pour fonder l'Eglise et séparer les mauvais juifs des juifs ayant une foi sincère, une espérance ferme et une charité véritable, tout comme on sépare le bon grain de la paille, et faire ainsi du peuple de la circoncision une seule enceinte, à laquelle viendrait se joindre une autre enceinte formée des nations païennes qui formeraient alors deux enceintes venant de deux directions opposées, et dont lui le Christ serait la pierre angulaire ? N'est-ce pas le même Seigneur qui a dit des deux peuples réunis en un seul : "J'ai aussi d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie" en parlant des Juifs ? "Il faut, dit-il, que je les amène pour qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur." C'est pourquoi, il y avait deux barques quand il appelait les disciples. Ces deux barques figuraient les deux peuples lorsque les apôtres, retirant leurs filets, relevèrent une si grande quantité de poissons que les filets étaient près de se rompre :"Et ils en remplirent deux barques." Ces deux barques figuraient l'Eglise une, faite de deux peuples, unis en Christ, bien que venant de deux directions opposées. C'est aussi ce que figuraient les deux épouses Léa et Rachel qui n'avaient qu'un seul époux Jacob. Tout comme les deux aveugles qui étaient assis au bord du chemin et à qui le Seigneur a rendu la vue. Si vous scrutez les Ecritures, vous verrez dans un grand nombre d'endroits, que sont figurées ces deux Eglises différentes qui en fait ne sont pas deux mais une seule. C'est donc bien ce que visait la pierre angulaire de faire à partir de ces deux enceintes une seule, comme ce que visait le pasteur de rassembler les deux troupeaux en un seul.
Donc, le Seigneur qui devait enseigner l'Eglise et établir son école en dehors de celle des juifs, comme nous venons de le voir, aurait-il envoyé ceux qui croyaient en lui à l'école des juifs ? Non. Mais sous le nom des pharisiens et des scribes, il désignait certains hommes qui plus tard dans son Eglise diraient et ne feraient pas. En effet, lui le Christ se présentait sous la figure de Moïse. Moïse qui préfigurait le Christ, mettait un voile devant lui quand il parlait au peuple, pour signifier que aussi longtemps que ce peuple de la loi serait adonné aux plaisirs et réjouissances charnelles, ne cherchant que le royaume terrestre, il aurait un voile devant les yeux et ne découvrirait pas le Christ dans les Ecritures. Ce voile, enlevé après la passion du Seigneur, les secrets du temple apparurent. C'est pourquoi, alors qu'il était suspendu à la croix, "le voile du temple se déchira de haut en bas" et que l'apôtre Paul dit expressément : "Quand tu te seras tourné vers le Christ, le voile sera enlevé". Quant à ceux qui ne se tournent pas vers le Christ, ils auront beau lire Moïse, "Le voile est posé sur leur cœur", déclare le même Apôtre. Quand donc le Seigneur voulu annoncer que de tels hommes viendraient un jour dans son Eglise, comment s'exprima-t-il ? "Les Scribes et les Pharisiens sont assis dans la chair de Moïse, faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font." En entendant ces paroles dirigées contre eux, les mauvais clercs veulent en détourner le sens : oui, j'en ai entendu quelques-uns qui essayaient de fausser la signification de cette sentence. Ils l'auraient même effacée de l'Evangile s'ils l'avaient pu. Mais ne pouvant l'effacer, ils cherchèrent à la dénaturer. Heureusement, la grâce et la miséricorde de Dieu sont là pour ruiner leurs desseins. Il a entouré toutes ses paroles du rempart de sa vérité établissant entre elles une parfaite harmonie, afin que quiconque voudrait retrancher une parole et induire au mal par une fausse interprétation, celui-là serait tout de suite découvert simplement en replaçant dans son contexte le texte qu'il voulait détacher de l'Ecriture. Que disent donc, à votre avis, ceux dont il est dit : "faites ce qu'ils disent mais ne faites pas ce qu'ils font" ? Ils disent que cette parole s'adresse aux laïcs. En effet, que peut bien se dire un laïc qui veut vivre correctement et qui remarque les actes d'un mauvais clerc ? Soit il se dit : "Conformément à ce que le Seigneur a dit "faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font", je marcherai dans la voie du Seigneur sans suivre le mauvais exemple. Je n'écouterai pas sa propre parole, mais celle de Dieu. Je suivrai Dieu mais le laisserai suivre ses passions. Soit il cherche à se défendre devant Dieu par ce raisonnement : "Seigneur j'ai été témoin de la mauvaise conduite de ton clerc et c'est pourquoi j'ai fait comme lui". Est-ce que le Seigneur ne lui dirait pas : "Mauvais serviteur, ne m'as-tu pas entendu ? Faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font." Et que se dit-il en lui-même ce laïc corrompu, infidèle, n'appartenant ni au troupeau ni au bon grain du Christ, qu'on supporte comme la paille dans l'aire, quand la parole de Dieu s'élève contre lui ? "Assez, que signifie ce langage ? Des évêques et des clercs ne font pas ce qu'ils disent et tu veux m'obliger à le faire ?" En vérité, ce laïc ne cherche pas un avocat pour sa cause, mais un compagnon pour sa peine. Car il n'est point de défenseur au jour du jugement pour celui qui a suivi un tel homme dans le mal. De même en effet que le diable ne séduit pas les hommes pour les faire régner avec lui mais pour les envelopper dans sa damnation, ainsi ceux qui suivent les méchants cherchent davantage des associés de la géhenne que des défenseurs pour le royaume des cieux. Comment ces hommes qui vivent mal dénaturent-ils encore cette sentence lorsqu'on la leur rappelle et qui nous est si justement dictée par le Seigneur : " faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font". "Oui, répondent-ils, cette parole a été dite avec raison, car il vous a été recommandé de faire ce que nous disons, mais de ne pas faire ce que nous faisons. En effet, nous, nous offrons le sacrifice et il ne vous est pas permis de le faire." Voyez les ruses de ces hommes ! De ces mercenaires devrais-je dire. Car s'ils étaient pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi ; aussi le Seigneur ajoute-t-il pour leur fermer la bouche : "Ils sont assis dans la chaire de Moïse, faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font, car ils disent et ne font pas." Qu'en est-il donc mes frères ? Si notre Seigneur avait voulu parler du sacrifice qu'ils offrent, dirait-il de la sorte "ils disent et ne font pas" ? Non car ils offrent en effet des sacrifices à Dieu. Mais quelles sont donc les choses qu'ils disent et ne font pas ? Ecoutez la suite : "Ils lient des fardeaux pesants et difficiles à porter et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt" Ces reproches sont clairs et montrent de façon évidente comment ces hommes, quand ils cherchent ainsi à pervertir l'Ecriture, ne cherchent en fait dans l'Eglise que leurs propres intérêts. Ils n'ont même pas lu l'Evangile, car s'ils avaient lu cette page, et l'avaient lue entièrement, ils n'auraient pas osé tenir un pareil langage.
Soyez donc très attentifs, car de tels hommes se rencontrent réellement dans l'Eglise. Qu'on ne vienne pas dire : "Le Seigneur a parlé uniquement des Pharisiens, des Scribes et des Juifs" et "on ne rencontre pas ces gens dans l'Eglise" ! Car alors de qui le Seigneur a-t-il voulu parler quand il a dit : "Tous ceux qui disent : “Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux ?" Ajoutant :"Plusieurs me diront ce jour-là : Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en ton nom, opéré des prodiges en ton nom, mangé et bu en ton nom ?" Est-ce que les Juifs ont fait des œuvres semblables au nom du Christ ? Il est manifeste qu'il parle ici de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit-il ensuite ? "Alors je leurs dirai : je ne vous ai jamais connu ! Retirez-vous de moi, vous qui faites le mal." Ecoute encore les plaintes de l'Apôtre à leur sujet : il distingue entre ceux qui annoncent l'Evangile par charité et ceux qui le font par intérêt. De ces derniers il déclare "qu'ils ne prêchent pas l'Evangile avec rectitude." L'Evangile est droit mais eux ne sont pas droits. Ce qu'ils annoncent est droit, mais ceux qui l'annoncent ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu'ils cherchent autre chose dans l'Eglise que Dieu. S'ils cherchaient Dieu, ils seraient chastes, car l'âme a Dieu pour légitime époux. Quiconque cherche auprès de Dieu autre chose que Dieu, ne cherche pas Dieu chastement. Par exemple mes frères, si une femme aime son mari parce qu'il est riche, elle n'est pas chaste, car ce n'est pas son mari qu'elle aime, mais l'or de son mari. Si elle aime son mari et si elle n'aime que lui, elle l'aimera pauvre, mais si au contraire, elle aime son mari uniquement parce qu'il est riche et qu'il vienne à subir la confiscation de ses biens et à tomber dans l'indigence - cela peut arriver- elle va peut-être l'abandonner, car ce qu'elle aimait, ce n'était pas son mari, mais sa fortune. Au contraire, si elle aime vraiment son mari, elle l'aimera davantage dans la pauvreté, car elle l'aimera avec tendresse. Et pourtant frères, notre Dieu ne peut jamais être pauvre ! Il est riche, c'est lui qui a tout fait : le ciel et la terre, la mer et les anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que nous ne voyons pas dans le ciel, c'est lui qui l'a fait. Cependant ce ne sont pas ces richesses que nous devons aimer, mais Celui qui les a faites. En effet, il ne t'a pas promis autre chose que lui-même. Trouve moi un bien plus précieux et il te le donnera : La terre est belle, les cieux et les anges sont beaux, mais plus beau encore est celui qui les a fait. Ceux donc qui annoncent Dieu tout en l'aimant, ceux qui prêchent Dieu pour Dieu lui-même, ceux-là paissent vraiment les brebis, ce ne sont pas des mercenaires. C'est exactement cette chasteté de cœur que Notre Seigneur Jésus-Christ exigeait de Pierre quand il lui disait "Pierre m'aimes-tu ?" M'aimes-tu, c'est à dire "es-tu chaste ? Ton cœur n'est-il pas adultère ? Est-ce que ce sont bien mes intérêts que tu cherches dans l'Eglise et non les tiens ? Si tels sont tes sentiments, si tu m'aimes ainsi, pais mes brebis. Tu ne seras pas un mercenaire, mais un pasteur." Ils n'annonçaient donc pas chastement l'Evangile ceux dont se plaint l'Apôtre.
Cependant que dit-il ?"Qu'importe la manière dont on annonce l'Evangile, que ce soit avec intérêt ou sincèrement, pourvu que le Christ soit annoncé." Il tolère donc les mercenaires. Le pasteur annonce le Christ sincèrement ; le mercenaire annonce le Christ avec intérêt et recherche d'autres choses. Cependant, l'un et l'autre annoncent le Christ. Ecoute l'affirmation du pasteur Paul : "Que ce soit avec intérêt ou sincèrement, l'important c'est que le Christ soit annoncé." Paul, le pasteur en personne a donc voulu qu'il y ait aussi des mercenaires. En effet, ils prêchent où ils peuvent, ils se rendent utiles autant qu'ils le peuvent, mais quand l'Apôtre, cherchant d'autres ministres qui puissent être donnés en exemple aux faibles, dit "Je vous ai envoyé Timothée qui vous enseignera mes voies", que veut-il dire ? Sinon "je vous ai envoyé un pasteur qui vous a enseigné mes voies", c'est à dire qui se conduit comme je me conduis moi-même. Et que leurs dit-il encore en leur envoyant ce pasteur ? "Je n'ai personne qui soit avec moi en plus étroite communion de sentiment et qui soit animé d'un zèle plus sincère pour vous." N'y avait-il pas un grand nombre d'autres disciples avec Timothée ? Sûrement, mais qu'ajoute-t-il ? "Car tous ont en vue leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ." Autrement dit, "j'ai voulu vous envoyer un vrai pasteur car les mercenaires sont nombreux, et il n'était pas opportun de vous envoyer un mercenaire." En effet, un mercenaire est envoyé pour d'autres affaires et d'autres intérêts, mais pour les intérêts que Paul avait en vue, c'était un pasteur qui était nécessaire. Et c'est à peine s'il pu trouver un pasteur parmi tant de mercenaires. Parce qu'il y a peu de vrais pasteurs et beaucoup de mercenaires. Mais qu'est-il dit des mercenaires ? "Amen, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense." Et comment au contraire l'Apôtre parle-t-il du pasteur ? "Celui qui de cette manière se gardera pur, sera comme un noble vase sanctifié, prêt à servir le Seigneur et à accomplir toute œuvre bonne." Non propre à accomplir quelques bonnes œuvres et impropres à quelques autres, mais propres à accomplir toute bonne œuvre. J'ai dit ce qui regarde les pasteurs.
Parlons maintenant des mercenaires. "Le mercenaire, quand il voit venir le loup pour surprendre les brebis, il s'enfuit." C'est la parole du Seigneur. Pourquoi s'enfuit-il ? Parce qu'il n'a aucun souci des brebis. Le mercenaire est utile tant qu'il ne voit pas le loup, tant qu'il ne voit pas le voleur et le brigand. Sitôt qu'il les voit, il s'enfuit. Est-il un mercenaire qui ne s'enfuit pas de l'Eglise quand il voit le loup et le voleur ? Les loups sont nombreux et les voleurs aussi. Ce sont tous ceux qui montent à la bergerie par un autre endroit. Et qui sont ceux qui montent ? Ce sont ceux du parti de Donat, qui veulent dépouiller les brebis du Christ ; ce sont ceux qui montent par un autre endroit, ils n'entrent pas par le Christ car ils ne sont pas humbles, ils montent parce qu'ils sont orgueilleux et hautains. Et par où montent-ils ? Par un autre endroit. C'est pour cela qu'ils veulent être appelés "ceux qui sont à part", "ceux qui ne font pas partie de l'unité", "ceux qui sont d'un autre parti" et "qui montent par ce parti", c'est à dire, qu'ils s'enorgueillissent et veulent enlever les brebis. Voyez de quelle manière ils montent : "c'est nous disent-ils, qui sanctifions, c'est nous qui justifions, c'est nous qui rendons juste." Voilà jusqu'où ils s'élèvent. Mais "quiconque s'élève sera abaissé." Et notre Dieu est assez puissant pour les abaisser. Le loup, c'est le démon. Il tend ses pièges pour tromper même ceux qui le suivent, car il a été dit : "Ils sont revêtus de peaux de brebis, mais au dedans ils sont des loups rapaces." Si un mercenaire voit quelqu'un, qui a conscience d'avoir une certaine importance dans l'Eglise, tenir de mauvais discours ou nourrir des sentiments dangereux pour son âme ou encore se livrer à des actes criminels ou indécents, celui-là est un vrai mercenaire s'il espère en tirer quelques avantages. Il voit cet homme périr dans le péché, il le voit suivre le loup, il le voit mordu à la gorge et traîné à la mort et il ne lui dit pas "tu pèches", il ne lui adresse aucune réprimande de peur de perdre ses intérêts. C'est bien ce que signifie "quand il voit le loup, il s'enfuit". S'il ne lui dit pas : "ta conduite est criminelle", ce n'est pas son corps, mais c'est son âme qui prend la fuite. Tu le vois se tenir bien ferme sur ses pieds, mais son âme prend la fuite quand il voit un pécheur et qu'il ne lui dit pas : "tu fais mal", même quand il vient lui demander un conseil.
Mes frères, est-il déjà monté en chaire un prêtre ou un évêque qui de ce lieu élevé ait dit autre chose que de ne pas prendre le bien d'autrui, de ne pas commettre de fraude et de ne pas admettre le mal ? Ils sont assis dans la chaire de Moïse, ils ne peuvent donc pas dire autre chose, car c'est elle plutôt qu'eux qui vous enseignent. Que signifie en effet cette sentence "Cueille-t-on des raisins sur des épines et des figues sur des ronces ?" Et cette autre "Tout arbre se reconnaît à ses fruits ?" Le pharisien peut-il dire de bonnes choses ? Le pharisien c'est l'épine. Comment puis-je cueillir le raisin sur l'épine ? Car toi Seigneur, tu as dit : "faites ce qu'ils disent mais ne faites pas ce qu'ils font." Me commandes-tu de cueillir des raisins sur des épines quand tu dis "cueille-t-on des raisins sur des épines ?" Le Seigneur te répond : "Je ne te commande pas de cueillir des raisins sur des épines", mais vois, fais bien attention, n'arrive-t-il pas d'ordinaire que la vigne lorsqu'elle rampe par terre, soit enroulée dans des épines ? En effet, mes frères, nous trouvons parfois une branche de vigne reposant sur un arbuste sauvage formant ainsi un buisson d'épines ; elle étend ses rameaux, les entremêle aux épines et voici qu'une grappe pend au milieu des épines. Celui qui aperçoit la grappe la détache non des épines, mais de la vigne qui est enroulée autour des épines. Ainsi, les hommes dont je parle, ce sont les épines : tandis qu'ils sont assis dans la chaire de Moïse, la vigne s'enroule autour d'eux et pendent alors autours d'eux des grappes, c'est à dire de bonnes paroles et de bons préceptes. Quand tu observes la parole : "faites ce qu'ils disent et ne faites pas ce qu'ils font", c'est comme si tu cueillais le raisin, sans te laisser piquer par les épines. Mais s'il t'arrive de faire ce qu'ils font, c'est aussitôt l'épine qui te pique. Si donc, tu veux cueillir le raisin sans te faire piquer par les épines, "faites ce qu'ils disent et ne faites pas ce qu'ils font." Leurs actes, ce sont les épines, leurs paroles c'est le raisin, mais le raisin provient de la vigne, c'est à dire de la chaire de Moïse. Voilà donc ceux qui fuient quand ils voient le loup, quand ils voient le voleur.
Comme j'avais commencé à vous le faire remarquer, ils ne peuvent que dire du haut de la chaire : "faites le bien, évitez le parjure et les fraudes, évitez d'opprimer le prochain." Mais la vie de certaines personnes est tellement pervertie, qu'ils en viennent à demander conseil à l'évêque sur la façon de s'emparer de la propriété d'autrui ; oui ils viennent demander de tels conseils. Nous en parlons par expérience car cela nous est arrivé, sinon nous n'aurions nous-même pas pu le croire. Beaucoup viennent solliciter de nous de mauvais conseils sur la façon de mentir, d'opprimer le prochain et ils s'imaginent que cette démarche nous fait plaisir.
Mais nous pouvons vous dire, si au nom du Christ, le Seigneur agréé cet aveu, qu'aucun de ceux qui ont essayé de nous tenter n'a pu obtenir de nous ce qu'il désirait, car par la volonté de Celui qui nous a appelés, nous sommes pasteur et non mercenaire. Mais que dit l'Apôtre ? "Pour moi, il m'importe peu d'être jugé par vous ou par un tribunal humain : je ne me juge pas moi-même, car bien que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas pour cela justifié : mon juge c'est le Seigneur." Ainsi, la droiture de ma conscience n'est pas redevable de vos louanges. En effet, comment pouvez-vous louer alors que vous ne voyez pas. C'est à celui qui voit de louer, c'est à lui de corriger s'il voit quelque chose qui offense ses yeux. Car nous ne disons pas de nous-mêmes que nous sommes parfaitement sains ; nous nous frappons la poitrine et nous disons à Dieu : "dans ton indulgence, préserve nous du péché !" Cependant, je veux dire, et je parle en sa présence, que nous ne voulons pas autre chose que votre salut, et nous gémissons fréquemment sur les péchés de nos frères, nous souffrons violemment et notre âme est tourmentée. Nous les reprenons quelque fois, bien plus, nous ne cessons de les reprendre. Tous ceux qui se souviennent de ce que je leur ai dit peuvent en témoigner : combien de fois ces frères pécheurs ont été repris par nous et avec quelle véhémence !
Je vais maintenant exposer à votre sainteté quel est notre conseil : au nom du Christ, vous êtes le peuple de Dieu, vous êtes le peuple catholique, vous êtes les membres du Christ. Vous n'êtes pas séparés de l'unité, vous êtes en communion avec les membres des apôtres, vous êtes en communion avec ceux qui font mémoire des saints martyrs répartis à travers toute la terre, vous êtes enfin l'objet de tous nos soins, parce que nous avons à rendre de bons comptes de vous. Or vous savez quel doit être ce compte : "Seigneur, tu sais ce que j'ai dit, tu sais que je ne me suis pas tu, et dans quel esprit j'ai parlé, tu sais combien j'ai pleuré devant toi quand je parlais sans être écouté". Voilà bien, je pense, dans toute sa pureté, le témoignage qui est le nôtre. Ce qui nous rassure en effet, c'est ce que l'Esprit Saint dit par le prophète Ezéchiel : vous connaissez le passage de la sentinelle : "Et toi fils de l'homme, je t'ai établi comme sentinelle pour la maison d'Israël...Si moi le Seigneur, je dis au méchant : "méchant, tu vas mourir" et que tu ne le lui dis pas, (parce que ce que je te révèle c'est pour que tu le redises) si donc tu n'en avertis pas le méchant, et que le glaive arrive et l'enlève, comme je l'en avait menacé, celui-ci mourra de sa faute mais je te demanderai compte de son sang" . Pourquoi ? Parce que tu t'es tu. "Si au contraire la sentinelle, voyant venir le glaive, sonne de la trompette pour que le méchant prenne la fuite mais que celui-ci n'en fait rien, c'est à dire qu'il ne se corrige pas pour éviter le supplice dont Dieu le menace, si le glaive vient et le frappe, le méchant mourra dans sa faute mais toi, dit-il, tu auras sauvé ta vie." Et dans ce passage de l'Evangile, le Seigneur répond-il autre chose à son serviteur quand ce dernier lui disait : "Seigneur, je savais que tu étais un homme exigeant et sévère, qui moissonne où tu n'as pas semé, qui retire où tu n'as pas déposé ; j'ai eu peur, j'ai caché ton talent dans la terre, reprend ce qui est à toi". Et le Seigneur de lui répondre : "Serviteur mauvais et paresseux, c'est précisément parce que tu me savais exigeant et sévère, récoltant où je n'ai pas semé, retirant ce que je n'ai pas déposé que tu aurais dû apprendre que je réclamerais les intérêts de mon argent. Tu aurais dû remettre mon argent au banquier, afin qu'à mon retour je puisse le retirer avec les intérêts." Le Seigneur n'a pas dit "donne l'argent et retire toi-même les intérêts" car s'il est vrai que c'est nous mes frères qui donnons, c'est lui seul qui exigera les intérêts quand il viendra.
Priez afin qu'il nous trouve prêts !