THÉOLOGIE "POUR LES NULS"

 

            

       Cette année 2014 : 


NOS PERES DANS LA FOI

 

5 - CYPRIEN de Carthage (II) 

(mai 2014)

 

 

Bonne nouvelle : notre équipe de rédaction de MURMURE s'agrandit. Plus exactement s'enrichit. Vénuste LINGUYENEZA, spécialiste des Pères de l'Eglise, accepte de nous présenter cette année quelques-uns de nos "Pères dans la Foi". Nous l'en remercions. Vénuste est un ami. Il est originaire du Rwanda, qu'il a quitté à la suite du terrible génocide de 1994.  Actuellement, il vit en Belgique ; plus  précisément il est curé-doyen de Waterloo. Malgré sa charge de travail, il accepte de nous faire partager ses connaissances en la matière. Vous verrez : c'est passionnant.

 

 

 

 

 

II - LES  ŒUVRES DE SAINT CYPRIEN

 

Comme toujours, l’œuvre d’un auteur est une source d’informations sur son époque, sur les soucis du moment, sur sa personnalité, sur ses idées, sur les opinions qu’il assume et celles qu’il combat… Voyons ce que Cyprien nous renseigne sur l’Eglise dont il était évêque.

 

Cyprien pasteur de son peuple

Saint Cyprien fut tellement le pasteur de son peuple que ses œuvres et sa pensée ne se comprennent que dans le contexte immédiat de sa vie d’évêque. Ce sont des œuvres de circonstance qui ont pour premier objectif la direction des âmes et non la spéculation théologique. Il écrivait avant tout pour l’édification de la communauté et pour la bonne conduite des fidèles.

Il n’a pas dû batailler contre des erreurs doctrinales, des hérésies, il n’a pas dû faire « l’apologie » de la vraie foi, comme beaucoup de ses prédécesseurs ou de ses contemporains (comme son maître à penser que fut Tertullien). Il a dû plutôt prendre position dans des conflits, disons des conflits de discipline, pour éviter le schisme et sauver l’unité de l’Eglise. Cyprien est imbu du langage et des images de la Bible. L’influence de Tertullien est indéniable : l’évêque de Carthage reprend le meilleur de la pensée de celui qu’il appelle son maître, quelques titres des ouvrages des deux auteurs sont d’ailleurs les mêmes.

Avant d’énumérer la production littéraire de Cyprien et d’en résumer les thèmes majeurs, il me semble utile d’essayer de circonscrire la question des « lapsi » qui a, en quelque sorte, conditionné la réflexion et le combat de l’évêque de Carthage. La question des lapsi me parait importante, parce qu'elle va contribuer à l'évolution de la « discipline » de l'Eglise vers le sacrement de la réconciliation.

 

Y a-t-il un pardon pour le pécheur ?

Il faut se rappeler que le baptême est resté longtemps le seul sacrement pour remettre les péchés. Au baptême, on est purifié, sanctifié. Mais alors que se passe-t-il quand le chrétien vient à pécher ? Est-ce irrémédiable ? Y a-t-il moyen de « réparer » ? Y a-t-il un moyen de « rémission » ? Après le baptême qui remet tous les péchés, y a-t-il une seconde chance, au moins une ?

Le Christ avait dit : « Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux. Ce que tu lieras ici sur terre sera lié dans le ciel, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux” (Matthieu 16, 19). C’est ce qu’on appelle « le pouvoir des clés », le pouvoir de remettre les péchés. L’Eglise primitive n’a pas exploré cette possibilité. C’est petit à petit que l’Eglise va recourir à ce pouvoir des clés. Elle finira par l’étendre à tous les cas où le pécheur repenti confesse son péché pour recevoir « l’absolution » moyennant une « satisfaction », une pénitence.

Aujourd’hui nous demandons très peu le sacrement de réconciliation (jadis appelé sacrement de « pénitence »), nous ne savons pas apprécier à sa juste valeur la chance que nous avons par rapport aux chrétiens des premiers siècles qui n’avaient pas une deuxième chance, ne fut-ce que une, quand une fois baptisés, ils retombaient dans le péché ! Etant donnée la faiblesse humaine, beaucoup retardaient leur baptême pour ne le recevoir qu’à l’article de la mort. Puisque le chrétien qui tombait dans le péché n’avait pas d’autre « remède », l’Eglise recommandait ce que nous appelons « les œuvres de miséricorde », censées contribuer à « effacer » le péché, à « racheter » le pécheur. Dans un deuxième temps, une seconde chance sera accordée après pénitence : une pénitence publique quand le péché était public, une pénitence longue quand le péché était grave (on ne faisait pas encore la classification entre péché véniel et péché grave). À notre époque, on peut « se confesser » autant de fois qu’on le veut et la « pénitence » est discrète.

Voilà brossé en quelques traits rapides, l’évolution du sacrement du pardon à travers les siècles. Mais revenons au temps de Cyprien avec les « lapsi ».

 

Tous héros de la foi ?

Le terme « lapsi » désigne ceux qui sont « tombés », autrement dit les apostats. Les lapsi sont des chrétiens qui ont renié leur foi par peur des persécutions qu’a connues l’antiquité chrétienne. Ainsi, en 250, la persécution éclate avec une violence inouïe : l’empereur Dèce donna l’ordre à tous les gouverneurs des provinces de l’Empire d’organiser un sacrifice aux dieux païens. Tous les citoyens, sans exception, avaient l'obligation d’accomplir des rites sacrificiels. Chacun devait se rendre dans un temple, placer en offrande sur l’autel un morceau de viande rituelle, verser dessus un peu de vin en libation, puis absorber une bouchée des viandes sacrificielles fournies. Dans d’autres cas, on offrait de l’encens. Une commission fournissait ensuite un certificat, – le libellus –, un billet des autorités impériales attestant qu'on a satisfait à l’obligation de sacrifier. Ceux qui refusaient d’accomplir le rite étaient poursuivis : ils pouvaient, selon le cas, être emprisonnés, voir leurs biens confisqués, être exilés, ou être torturés et même être condamnés à mort. Certains chrétiens ont accompli ces rites souvent sous la contrainte ; d’autres ont refusé de le faire mais se sont arrangés pour acheter le fameux certificat ; d’autres encore se sont exilés.

Dans un tel contexte, était un héros celui qui tenait bon dans la fidélité à sa foi jusqu’au martyre qui a toujours été considéré dans l’Eglise, comme le témoignage suprême (étymologiquement le mot martyr signifie témoin). Il y a eu d’autres héros que sont les « confesseurs », ou plus précisément les « confesseurs de la foi » (pour faire la différence avec ceux qui « écoutent » les confessions et donnent l’absolution) : ce sont ceux qui tenaient bon dans la fidélité à leur foi chrétienne jusqu’à subir de graves sévices et de terribles tortures mais sans connaître la mise à mort. Ceux-ci jouissaient, par après, de beaucoup d’estime et de respect dans les communautés chrétiennes : on allait se confier à leur prière et demander des conseils.

Face à ces héros de la foi, de nombreux autres renoncèrent à leur foi pour sauver leur peau ou leurs biens. On les appelait « lapsi », littéralement ceux qui sont « tombés », en d’autres mots les apostats.  Il y avait deux catégories de lapsi : ceux qui avaient effectivement sacrifié aux idoles et ceux qui s’étaient procuré l’attestation (« libellatices »). Dans la première catégorie, on distinguait encore les « sacrificati » (ceux qui avaient offert de la viande en sacrifice) et les « thurificati » (ceux qui avaient offert de l’encens). Les lapsi n’étaient pas quelques rares individus : Cyprien note que la majorité de ses ouailles et une partie de son clergé avaient succombé. Les lapsi faisaient figure de lâches, de traitres : l’apostasie a longtemps été considérée comme un péché majeur, un des trois péchés « irrémissibles » au même titre que l’adultère et le meurtre. Pour utiliser un terme d’un langage ultérieur, les lapsi étaient excommuniés, retranchés de la communion avec l’Eglise.

 

Réintégrer les repentis ?

Plusieurs lapsi se sont repentis et ont demandé la réintégration, la réadmission à la communion de l’Eglise. Pouvait-on envisager de leur pardonner ? Comment leur pardonner ? Sans condition, ou avec quelles conditions ?

Face à l’afflux de demandes de pardon, certains vont se montrer intraitables et trop rigides (rigorisme) envers les lapsi, d’autres seront trop indulgents (laxisme) ; Cyprien se situe au milieu, voyons brièvement comment.

D’aucuns considéraient le péché des lapsi tellement grave qu’il n’était point question de les réintégrer. Ils invoquaient l’autorité (entre autres) de la lettre aux Hébreux 6, 4-6 (à vrai dire ce texte parle du baptême car on ne peut rebaptiser, redonner un baptême valide déjà au départ) :

« De toute façon, on ne peut renouveler ceux qui ont déjà été illuminés, qui ont goûté le don surnaturel, qui ont eu leur part de l’Esprit Saint  et ont goûté la merveilleuse parole de Dieu avec des expériences du monde nouveau.  S’ils viennent à retomber, on ne peut pas les renouveler par la pénitence alors qu’ils crucifient le Fils de Dieu pour leur propre compte et se moquent de lui. »

Imaginez un chef de communauté qui avait apostasié, parce que, en plus de renier sa foi, l’autorité civile lui imposait de donner les objets sacrés (par exemple les livres saints qui étaient rarissimes, ce n’est pas comme à notre époque où il suffit d’aller les acheter à la librairie du coin). Imaginez que beaucoup de lapsi avaient dû dénoncer leurs coreligionnaires qui eux, ont été mis à mort atrocement. Comment accorder le pardon dans des cas comme cela ? Une partie de l’Eglise va adopter un rigorisme implacable et refuser le pardon systématiquement à tous les lapsi. La partie intransigeante de l'Église qui refuse leur retour au sein de la communauté provoquera le schisme avec un certain Novatien. Par la suite, on se posera la question de la validité des sacrements célébrés par cette Eglise schismatique : Cyprien est de ceux qui nient leur baptême. La question subsidiaire est bien sûr : est-ce que leur Eglise peut donner le salut (la réponse étant évidemment : bien sûr que non, puisque hors de la « vraie » Eglise, pas de salut).

Face aux rigoristes, il y a d’autres qui réintègrent les lapsi tout simplement, sans aucune condition. Ils jugent que Dieu pardonne à tout pécheur repenti et que l’Eglise n’a pas à être plus sévère que Dieu lui-même. La miséricorde divine est plus grande que le plus grand des péchés.

Cyprien accepta que les lapsi repentis, désirant ardemment revenir au sein de la communauté, puissent y être réintégrés, au cas par cas cependant : il faut enquêter sur les circonstances dans lesquelles ils avaient chuté. De toutes les façons, pour Cyprien, ils ne seront réintégrés qu’après une sérieuse pénitence, sauf s’ils risquent la mort, soit de maladie, soit à l’occasion d’une probable autre persécution. Cyprien se montra donc sévère sans être inflexible, leur laissant la possibilité du pardon après une pénitence exemplaire. Dans son traité sur les apostats, écrit probablement en 251, saint Cyprien, définit une position intermédiaire « où ne manquent à l’égard des lapsi ni la sévérité pour les réprimander ni le remède pour les guérir », le remède principal étant celui de la pénitence, que doivent accompagner larmes, jeûne, austérité du mode de vie, aumône et intercession des martyrs.

C’est ce qu’explique saint Cyprien dans sa conclusion :

« Vous, frères, qui êtes disposés à craindre Dieu, et dont l’âme malgré le désastre où elle se trouve est avertie de son mal, prenez dans le repentir et l’affliction la mesure de vos péchés, reconnaissez l’extrême gravité du forfait qui charge votre conscience, ouvrez les yeux du cœur à la compréhension de votre faute, sans désespérer de la miséricorde du Seigneur, mais sans désormais réclamer comme un dû votre pardon. Autant Dieu dans sa bonté de père ne cesse d’être indulgent et bienveillant, autant dans sa majesté de juge il est à redouter : sur la grandeur de notre faute réglons l'abondance de nos larmes. La blessure est profonde, une médecine attentive et prolongée ne doit pas lui manquer, ni la pénitence être moindre que le forfait. Crois-tu que puisse être si vite apaisé ce Dieu que tu as abjuré par des mots contraires à la foi, que tu as préféré faire passer après la conservation de tes biens, dont tu as profané le temple par un contact impie? Tu crois obtenir une pitié facile de celui que tu as déclaré ne pas reconnaître pour tien ? Il faut prier et supplier avec un zèle redoublé, passer le jour dans le deuil, prolonger les nuits dans les veilles et les larmes, se saisir de tout moment pour pleurer et se lamenter, coucher au sol sur un tapis de cendre, s’envelopper de poil de chèvre et de tenues négligées, refuser de s’habiller après avoir perdu le vêtement du Christ, préférer garder le jeûne après le repas du diable, s’adonner à de justes œuvres de bienfaisance qui lavent les péchés, faire de fréquentes aumônes qui délivrent les âmes de la mort. Ce que l'Adversaire voulait prendre, que le Christ le reçoive, et on ne doit plus retenir ni chérir des biens par lesquels on a été trompé et vaincu. La fortune est à éviter comme un ennemi, à fuir comme un brigand, à craindre comme un poignard ou un poison quand on la possède. Ce qu’on en a gardé n’aura été utile que si on s’en sert pour racheter son forfait et sa faute : pratiquons la bienfaisance sans hésiter et généreusement, dépensons notre patrimoine entier pour les soins à notre blessure, avec nos ressources et nos moyens faisons du Seigneur qui nous jugera notre débiteur. C'est ainsi qu’au temps des apôtres la foi a été vigoureuse, que le peuple des croyants à ses débuts a observé les recommandations du Seigneur. Ils se tenaient prêts, ils étaient généreux, ils donnaient tout pour que les apôtres le distribuent, et ils n’avaient pas de telles fautes à racheter !

Supposons quelqu'un qui prie de tout son cœur, qui gémit dans de vraies lamentations et de vraies larmes de pénitence, qui incline le Seigneur au pardon de sa faute en pratiquant sans relâche une juste bienfaisance – des gens comme cela peuvent rencontrer la pitié de celui qui a aussi révélé sa miséricorde en ces termes : “Quand tu te retourneras vers moi et gémiras, alors tu seras sauvé et tu sauras ou tu as été”, et encore: “Je ne veux pas la mort de celui qui se meurt, dit le Seigneur, mais bien qu’il revienne et qu'il vive”. Il peut, lui, faire preuve d'indulgence, il peut de son plein gré infléchir sa sentence, il peut dans sa clémence pardonner au pénitent, au bienfaisant, au suppliant, il peut donner son aval à ce qu’ont sollicité les martyrs et accompli les évêques en faveur de gens comme cela. Ou même, si les satisfactions données l’ont touché plus encore, si l’on a su apaiser par une juste imploration sa colère et son indignation, alors il donne de nouvelles armes pour que le vaincu s’en équipe, il restaure et affermit ses forces pour vivifier sa foi renouvelée. »

 

Un « interim » salutaire.

Cyprien convoqua un concile local en 251. Ce concile décréta qu'il était possible de recevoir les lapsi à nouveau au sein de l'Église après une sévère pénitence. Cependant si une nouvelle persécution éclatait, ils pourraient, même avant l'expiration de la durée de leur pénitence, recevoir l'Eucharistie pour avoir la force de lutter.

« Pour ces raisons, frères très chers, après avoir examiné les cas séparément, nous avons résolu à l'égard des "libellatices", de les admettre provisoirement (interim admitti) ; à l'égard de ceux qui ont sacrifié, de venir à leur secours au moment de la mort, parce qu'il n'y a plus de confession aux enfers et que nul ne peut être contraint à la pénitence, si le fruit de la pénitence [lui] est enlevé. »

Remarquons l’expression « interim admitti » : admettre en attendant. L’adverbe interim n’est pas à comprendre dans le sens de temporairement, provisoirement, pour quelque temps… comme si celui qui est réintégré dans l’Eglise aujourd’hui peut en être exclu dans une année ou deux ! Les commentateurs traduisent cet « interim » par « ici-bas », ici sur terre, pour cette vie sur terre. C’est ce que l’on peut comprendre dans ce passage de Cyprien, comme s’il n'osait pas lier Dieu par sa décision, comme si Dieu lui-même refuse la réintégration du pécheur, ni anticiper sur le jugement de Dieu :

« Ceux qui, de tout cœur, se repentent et implorent doivent être admis à titre provisoire (interim suscepi) dans l'Église, et en son sein, être réservés au Seigneur qui doit venir vers son Église et jugera, de toute façon, ceux qu'il trouvera en faire partie… Ce n'est pas que nous préjugions de ce que jugera le Seigneur. S'il trouve complète et juste la pénitence du pécheur, alors il ratifiera ce que nous avons décidé ici-bas. Si, au contraire, quelqu'un nous a trompés en simulant la pénitence, Dieu, dont on ne se moque point et qui voit le cœur de l'homme, jugera lui-même de ce que nous n'avons pas bien pénétré, et le Seigneur corrigera la sentence de ses serviteurs. »

Cyprien a dû justifier plusieurs fois son point de vue qui allie indulgence et exigence de pénitence. S’il n’existe pas de limite à la miséricorde divine, pourquoi l’Eglise serait-elle plus intraitable ? Ce n’est d’ailleurs pas sa décision à lui Cyprien tout seul, puisqu’elle était celle du concile des évêques en mai 251. Il en appelle du reste au sens pastoral de tout évêque :

« Si nous repoussons la pénitence de ceux qui ont une certaine conscience que leur faute est excusable, aussitôt, avec leurs femmes, avec leurs enfants qu'ils avaient conservés indemnes, ils tombent dans l'hérésie ou le schisme, auxquels le diable les invite et s'efforce de les entraîner. Et il sera écrit à côté de nos noms, au jour du jugement, que nous n'avons pas soigné la brebis blessée… Il nous sera rappelé que le Seigneur a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis bien portantes pour en chercher une seule qui était perdue… tandis que nous, non seulement nous ne courons pas après ceux qui sont fatigués, mais nous allons jusqu'à les repousser lorsqu'ils nous reviennent ; et que, à l'heure où de faux prophètes ne cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous fournissons une occasion au chiens et aux loups, et perdons, par notre dureté et notre inhumanité, ceux que n'a point perdus la rage des persécuteurs ».

Quelques théologiens se sont fort intéressés à l’argumentation de Cyprien favorable à la réintégration des lapsi dans l’Eglise, en la recommandant à notre Eglise actuelle pour résoudre la question fort douloureuse pour les pasteurs, la question des divorcés remariés. Au lieu de les excommunier pour toujours, les pasteurs que sont le pape et nos évêques, peuvent les réadmettre à la communion de l’Eglise, « interim », pour cette vie sur terre, en attendant la sentence du Juge suprême que nous savons « riche en miséricorde et plein de bonté ». Pour rappel, le fait d’être divorcé ne pose aucun problème, c’est plutôt le divorcé remarié que l’Eglise n’admet pas encore – officiellement – à la « communion ». Or l’Eglise a réintégré les lapsi, après une pénitence nécessaire. Par contre elle refuse aujourd’hui la réintégration des divorcés remariés. Le remariage au civil serait-il plus grave que l’apostasie ? La question perturbe encore plus, quand on sait que des divorcés « se passent » d’un remariage civil, « cohabitent » sans le cacher et vont à la communion sans le cacher non plus ! Bien sûr à chacun sa conscience…

 

Voici énumérées maintenant les œuvres de Cyprien : les traités et les lettres. En parlant de traités, il convient de se rappeler que l’évêque de Carthage n’a pas écrit pour la spéculation.

 

a.       Les traités

 

1.       Ad Donatum (A Donat) : lorsque saint Cyprien fut enfin baptisé, il s’adresse à son ami Donat pour lui décrire les merveilleux effets de la grâce divine dans la conversion (voir la citation du Pape Benoît XVI au début de cet exposé.

2.       De habitu virginum (De la conduite – ou de l’habit – des vierges) : s’inspire du De cultu feminarum de Tertullien, sans tomber dans les exagérations de celui-ci. L’écrit s’adresse aux vierges consacrées et les exhorte à ne pas se laisser corrompre par le monde, à vivre et même à s’habiller de façon austère et digne, simple et modeste. À l’époque, il n’y avait pas de monastères, les vierges consacrées vivaient « dans le monde ».

3.       De lapsis (Sur les apostats) : ce traité servit de document de travail lors du synode à Carthage en 251. Tous les « lapsi » c’est-à-dire ceux qui ont apostasié pour sauver leur peau ou leurs biens lors des persécutions, tous doivent se soumettre à une pénitence nécessaire.

4.       De Ecclesiae unitate (de l’unité de l’Église) : chaque chrétien doit rester dans l’Eglise catholique puisqu’il n’existe qu’une seule Eglise, celle qui est fondée sur Pierre ; d’où la formule devenue « consacrée » : « hors de l’Eglise pas de salut ». Mais de quelle Eglise parle Cyprien ? Le traité a été rédigé à Carthage, en 251.

5.       De Dominica oratione (De la prière du Seigneur) : le texte est légèrement différent du commentaire de Tertullien. C’est le commentaire de la prière du « Notre Père » que le Seigneur Jésus a enseignée à ses disciples : d’où l’appellation « la prière du Seigneur ». De larges extraits sont repris dans le bréviaire, « la Liturgie des Heures », à l’office des lectures des 7 jours de la 11ème semaine du temps ordinaire.

6.       Ad Demetrianum (A Demetrianus) : le traité répond à un certain Demetrianus qui mettait sur le dos des chrétiens les misères de l’époque : guerre, peste, famine et sécheresse. Les vrais maux dont souffre le monde, argumente Cyprien, sont la conséquence du péché, de l’immoralité des païens et des persécutions. Plus que faire taire Demetrianus, Cyprien a pour propos d’encourager les chrétiens dans leur foi menacée par les accusations des païens.

7.       De mortalitate (De la condition mortelle de l'homme) : à l’époque où sévit la peste (en 252), Cyprien veut donner le sens de la mort : ce qui fait le mieux la différence entre le païen et le chrétien, c’est leur façon d’envisager et d’affronter la mort. Elle est pour le chrétien, le repos après la lutte, l’appel du Christ, la porte vers la récompense éternelle.

8.       De opere et eleemosynis (De la bienfaisance et des aumônes) : la peste avait réduit beaucoup de gens à l’indigence ; c’est une bonne occasion pour le chrétien de secourir les malheureux, les malades et les mourants. C’est une chance pour acquérir le salut, si la faiblesse humaine a entraîné le chrétien dans le péché après le baptême. Le traité est donc une exhortation à la pratique généreuse de l’aumône.

9.       De bono patientiae (De la bonté de la patience) : l’influence de Tertullien est ici plus claire, lui qui a parlé de cette vertu parce qu’il avait les plus grandes difficultés à la vivre (il disait qu’il en parle comme un malade parle de la bonne santé qu’il veut recouvrer).

10.   De zelo et livore (De la jalousie et l’envie) : la jalousie et l’envie sont les deux sources de tous les vices et les deux ennemis plus dangereux pour l’unité de l’Eglise. L’amour du prochain en est l’unique remède.

11.   Ad Fortunatum de exhortatione martyrii (Exhortation au martyre adressée à Fortunatus): c’est un florilège biblique pour donner courage aux chrétiens dans la perspective d’une persécution prochaine.

12.   Ad Quirinum – Testimoniorum libri tres (Trois livres de témoignages à Quirinus) : l’œuvre est truffée de citations bibliques. Le premier livre est une apologie contre les Hébreux, le second un résumé de la christologie, tandis que le troisième est à la fois un ensemble de prescriptions morales disciplinaires et un guide pour la pratique des vertus chrétiennes.

13.   Quod idola dii non sint (Que les idoles ne sont pas des dieux) : c’est un bref traité dont la première partie démontre que les dieux païens ne sont que des rois à qui on donne un culte après la mort ; la deuxième partie démontre l’existence d’un Dieu unique, invisible et incompréhensible ; la troisième partie est un résumé de la christologie. L’œuvre semble avoir été écrite alors que Cyprien n’était que néophyte et n’en envisageait pas la publication.

 

b.      Les Lettres

 

Les lettres de Cyprien sont une source importante pour l’étude d’une des plus intéressantes périodes de l’histoire de l’Eglise. Elles nous renseignent sur les problèmes et les conflits dans lesquels se débattait l’administration ecclésiastique dans la moitié du 3ème siècle. Les éditions en comptent aujourd’hui 81 dont 65 de la main de Cyprien et 16 adressées à lui ou au clergé de Carthage.

 

Vénuste LINGUYENEZA,

(La suite début juin)

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