"Quand Jésus vit toute la foule..."
Qui est heureux ?
Quand Jésus vit toute la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait : «Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde ! Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux.»
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 1-12
FÊTE DE TOUS LES SAINTS
oOo
Une promesse de plus ?
« Réjouissez-vous, car votre récompense sera grande dans les cieux ». Voilà la Bonne Nouvelle que Jésus nous adresse en ce matin de Toussaint. Encore faut-il la comprendre ! En effet, je pense que cette promesse, ainsi formulée, n’est pas spécialement propre à nos enthousiasmer. Une promesse de plus, direz-vous ! Et des promesses, on en est saturés. Mais la parole que Jésus nous adresse aujourd’hui, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas une promesse. C’est une constatation. La traduction est fausse. Il faut traduire le texte grec original, non pas au futur, mais au présent : « Votre récompense est grande dans les cieux ». Il faut également se rappeler que « les cieux », pour le Juif qui écrit ce texte à la fin du Ier siècle de notre ère, est une appellation qui est utilisée pour dire simplement le mot « Dieu », mot qu’un bon juif n’a pas le droit de prononcer. Par conséquent, je lis la parole de Jésus de cette manière, beaucoup plus parlante pour moi : « Dans toutes les circonstances de la vie, vous pouvez être parfaitement heureux, dès aujourd’hui, en Dieu. » Oui certes, mais pas à n’importe quelles conditions.
Les chemins du bonheur.
Tout le monde cherche le bonheur. Mais les chemins du bonheur peuvent être différents selon les personnes, selon les conditions économiques ou politiques dans lesquelles on vit. Le petit noir à qui on donne un jouet de quatre sous est plus heureux, sans doute, que votre propre enfant à qui vous offrez un jouet de prix. Il reste que, dans la plupart des cas, on situe les moyens du bonheur dans la possession, dans l’avoir. Pour être heureux, il faut avoir, selon les goûts et les désirs de chacun, de l’argent, une maison, une auto, des biens matériels, une bonne situation, une bonne épouse, un bon mari, une bonne famille… Toujours, dans un réflexe premier, on lie le bonheur à l’avoir, à la possession. Et pour trouver ce bonheur, on ira jusqu’au bout de ses désirs, quitte à employer des moyens plus ou moins justes, plus ou moins forts, au risque d’utiliser la violence, au risque de ne rien laisser passer. On veut posséder, on veut être heureux. Quitte à écraser l’autre. Et c’est vrai que, dans tous les cas, nos attitudes plus ou moins violentes vont avoir pour conséquence qu’il y aura de plus en plus de gens écrasés par nos attitudes. C’est vrai sur le plan individuel. C’est vrai sur le plan économique : l’âpre compétition qui règne sur le plan personnel comme sur le plan mondial fabrique de plus en plus d’exclus. Et les économistes disent presque tous que c’est une condition nécessaire pour que la machine tourne, au profit des pays riches, dont nous faisons partie (pas tous, hélas !) Regardons-nous, chacun de nous personnellement, et nous verrons que c’est dans cette voie que nous orientons notre désir.
Qui est heureux ?
Or Jésus, devant ce spectacle, prend position. Une position révolutionnaire, mais qui est l’annonce d’une bonne nouvelle. A la question « Qui est heureux ? », il répond : ce ne sont pas ceux qui ont de l’argent, ni ceux qui ont le pouvoir. Ce sont ceux qui ont au cœur un projet opposé à celui des hommes d’injustice et de violence. Ce sont ceux qui ne sont pas satisfaits des choses telles qu’elles sont et qui travaillent à faire advenir un monde autre, un monde nouveau. Un monde de justice, de transparence, de pardon, de paix, de miséricorde.
Pourquoi ceux-là sont-ils les bienheureux ? Parce qu’ils ont découvert la vérité de l’homme, la vérité de l’humanité, qui est la vérité de Dieu. Ce sont eux, les saints (osons un jeu de mots : ce sont les gens sains. Les autres sont les malades, les aliénés).
Alors Jésus donne des recettes pour parvenir au bonheur, pour être des gens sains. Il nous invite à ne pas mettre toute notre confiance dans ce qu’on possède ; à utiliser les moyens de la non-violence ; à être justes, dans nos rapports avec les autres ; à ouvrir notre cœur à toute misère, à ne pas passer sans nous arrêter quand nous rencontrons des frères seuls ou désemparés ; il nous invite à pardonner ; il nous invite à rechercher la paix, par tous les moyens, dans toutes les situations, à commencer dans nos familles, nos quartiers, nos lieux de travail. Et si nous prenons ces attitudes, Jésus nous assure que nous serons heureux personnellement, même si les violents déchaînent contre nous leur violence. Et Jésus nous assure que, ce faisant, nous travaillerons à construire un monde heureux.
C’est cela, la sainteté. C’est l’antidote de la peur. Nous avons peur de perdre, nous avons peur d’être dupes, nous nous raccrochons à ce que nous possédons ? Nous ne connaîtrons jamais le bonheur. Si, au contraire, nous sommes ouverts aux autres, si nous les aidons à vivre ; si chaque jour, nous essayons d’ouvrir des chemins dans des situations bloquées, bref, si nous apprenons à aimer concrètement, alors nous serons des saints. En Dieu, nous connaîtrons le bonheur.
Trois autres homélies pour la Toussaint
aux archives.