LA SAINTE TRINITE
Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï
comme le Seigneur le lui avait ordonné. Il emportait les deux tables de pierre.
Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse.
Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR.
Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR,
Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. »
Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna.
Il dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux,
daigne marcher au milieu de nous Oui, c’est un peuple à la nuque raide ;
mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 3, 16-18)
Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé,
du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
oOo
Une église
Parfois, dans une conversation, des gens me disent : "Elle est belle, votre église", ou bien "Elle ne me plaît pas, votre église." Chaque fois, je suis obligé de rectifier : cette église, ce n'est pas mon église, l'église du curé. Elle ne m'appartient pas. Certains disent alors : "C'est vrai, c'est la maison de Dieu." Pour une part, c'est vrai. Mais pour une part seulement. On dit aussi des églises chrétiennes qu'elles sont "la maison du peuple de Dieu." J'aime mieux cette appellation. Les églises chrétiennes ne sont pas comme les temples païens, ou comme le Temple de Jérusalem, qui étaient censés être l'habitation d'une divinité. Mais l'appellation "maison du Peuple de Dieu" ne me satisfait pas encore totalement. Je préfère dire de nos églises qu'elles sont le lieu de la rencontre entre Dieu et les hommes. Pas lieu unique : Dieu n'est pas emprisonné, limité dans des maisons faites par des mains d'hommes. Mais quand même lieu privilégié de la rencontre. Car notre Dieu se présente en tout premier lieu comme celui qui cherche sans cesse à rencontrer l'homme. Et je pense que chaque dimanche nous est offerte la chance de rencontrer notre Dieu en vérité, dans un dialogue sérieux et profond : il nous parle et nous pouvons lui répondre.
Le Sinaï
Chaque dimanche, il se présente à nous comme, au début de l'histoire, il s'est présenté au peuple Israélite, dans la grandeur de sa révélation, de sa manifestation, sur la montagne du Sinaï. Il y a quelques années, avec un groupe de pèlerins, nous avons passé deux journées dans ce massif montagneux qui est, à mes yeux, la plus belle, la plus impressionnante église du monde. Une église qui n'est pas bâtie par des hommes, une simple montagne. Cette montagne sauvage, âpre, impressionnante, riche en couleurs, on comprend aisément qu'elle ait été le lieu de la révélation de Dieu, de la première rencontre avec son peuple, du premier appel de Moïse, et de tant de rencontres, tout au cours de l'histoire, entre Dieu et des hommes, spirituels anonymes ou mystiques illustres, à commencer par le prophète Elie.
Dans cette "église" en plein air, Dieu se révèle - littéralement, il lève un coin du voile qui le cache - à son peuple, et en premier lieu à son interlocuteur privilégié : Moïse. Vous venez d'entendre ce récit où Dieu dit à Moïse qui il est, où il nous remet, pour ainsi dire, sa carte de visite. Il est "Yahveh, tendre, miséricordieux, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité." Il faudrait savoir l'hébreu pour retrouver le sens concret de tous ces qualificatifs. Je ne sais pas l'hébreu, mais on m'a expliqué les racines de tous ces mots : elles font référence à toute une gamme d'expériences humaines, d'expériences que chacun de nous fait quotidiennement. Le mot "tendre", en hébreu, évoque le sein maternel. Dieu est tendre comme une maman qui donne le sein à son bébé. Ah, cela change de nos idées toutes-faites sur Dieu ! Le mot "miséricordieux", qui est bien édulcoré dans son sens actuel, a une très forte signification en hébreu : il dit celui qui veut faire plaisir aux autres, celui qui n'accepte pas que quelqu'un soit malheureux. Le mot "amour", qui en français désigne une foule d'expériences diverses, est un mot hébreu qui décrit l'attirance sexuelle d'un homme pour une femme. Encore une expression qui détruit toutes les fausses idées de Dieu que nous nous faisons. Enfin, le mot "fidèle" évoque le rocher. Dieu est fidèle comme un roc, inébranlable, indéformable, dur et solide comme la montagne.
Nicodème
Voilà quelle est la carte de visite que Dieu présente, à l'aube de l'histoire des croyants. Et quand Jésus présente Dieu aux hommes, dans cet extrait de sa conversation avec le vieux sage Nicodème, telle que la rapporte Jean dans son Evangile, il dit : "Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique." Vous avez entendu ? Dieu aime le monde. Notre monde tel qu'il est, avec toutes ses malfaçons : avec le mal, la misère, la violence, la guerre, toute l'injustice d'un monde où pour beaucoup, mourir de faim est une menace perpétuelle, alors que tant d'autres sont repus ; avec la souffrance, la maladie, la solitude, la mort. Dieu aime ce monde, tel qu'il est. Dieu m'aime. Dieu nous aime, tels que nous sommes, avec tout ce qu'il y a de mal en nous ! C'est impensable. C'est incroyable. Quelle inconscience de dire cela aujourd'hui !
Et pourtant, c'est ce que je crois, au plus profond de moi-même. Je sais bien que c'est difficile, pour nous tous, de croire que Dieu nous aime, tendrement, comme une mère, qu'il ne tolère pas que nous soyons malheureux, qu'il nous aime de la même force qu'un amant aime sa bien-aimée, qu'il nous aime, et qu'il ne varie pas d'un millimètre dans son amour, solide comme le roc. C'est difficile à croire. Mais c'est de plus en plus le sens de mon ministère, de ma vie, que de crier à tous cet amour de Dieu pour le monde, pour chacun de nous, qui que nous soyons. C'est tellement important ! C'est ce que j'appelle croire.
Croire est un voyage
Il y a une expression que je n'arrive pas à comprendre. C'est quand on dit : "Celui-là, il a la foi." Ou quand on me déclare : "Vois-tu, je n'ai pas la foi." Je ne sais pas ce que cela veut dire. Par contre, paraphrasant le poète Pablo Neruda qui écrivait : "Aimer est un voyage", je dis souvent : "Croire est un voyage." Le fait de croire se prouve en cheminant. Croire, c'est déplacer notre confiance. Je ne mets plus ma confiance en moi. Je n'essaie plus de me débrouiller tout seul. Je place ma confiance en ce Dieu tendre et miséricordieux qui aime tant le monde dans lequel je vis.
Et ce déplacement de confiance, en lequel, pour moi, consiste essentiellement ma foi, se manifeste de deux manières. Premièrement, il se manifeste par un grand amour pour ce monde qui est le mien. Il y a tellement de gens qui, aujourd'hui, n'aiment pas ce monde, le trouvent tellement méprisable, avec toutes ses saletés, ses vilenies, sa misère ! De gens qui pensent que "tout fout le camp", comme disait un chanteur ! Ne sommes-nous pas de ceux-là ? Ne sommes-nous pas de ceux qui n'ont aucune confiance dans l'avenir, qui n'ont aucune espérance, comme si tout s'en allait définitivement à vau-l'eau, comme si l'on n'avait plus qu'une chose à faire : tirer son épingle du jeu, définitivement. Chacun pour soi ! Je pourrais donner des foules d'exemples de cette attitude propre à notre temps, à commencer par le fait que tout le monde hésite à faire des enfants ! Aimer ce monde, malgré tout le mal qu'on y rencontre, en nous comme autour de nous. Et manifester cet amour, notre amour, à l'image de Dieu, par une immense confiance en l'avenir. Je pense, en disant cela, à Saint Paul, s'adressant à une jeune communauté des premiers temps du christianisme, en période de persécutions. Il leur dit : "Votre sérénité dans la vie doit frapper tous les regards."
Notre programme social
Deuxièmement, regarder ce monde avec amour et confiance ne suffit pas. Il ne suffit pas de regarder. Il faut agir. Ce Dieu qui aime notre monde nous invite à manifester, comme lui, notre amour en nous consacrant à la réussite de ce monde. En travaillant à éliminer toutes les causes de malheur, de misère, de souffrance qui sont en nous et autour de nous. Il nous invite à travailler à la paix, à la justice, à la réconciliation entre nous. Qui que nous soyons, là où nous sommes, nous pouvons travailler avec Dieu à la réussite de ce monde. Je pense, en disant cela, à la réflexion d'un philosophe russe de la fin du siècle dernier à qui l'on disait : "Vous, les chrétiens, vous n'avez pas de programme social." Il répondit : "Notre programme social, c'est la Trinité." Qu'on ne nous accuse pas, nous les chrétiens, de ne pas nous soucier des affaires du monde. Qu'on ne nous accuse pas de chercher un refuge dans la religion. Notre foi, au contraire, nous engage à marcher, tout au long de notre vie, avec ce Dieu qui aime ce monde, qui a donné sa vie "pour le salut du monde." La seule différence d'avec les non-croyants, c'est un déplacement de la confiance : nous, nous ne mettons pas notre confiance dans les seules forces des hommes. Nous savons que nous travaillons avec ce Dieu-Amour qui nous invite à ne pas nous retirer" sous notre tente", mais à vivre fraternellement au service des hommes de ce monde.