VENDREDI SAINT

 

 

Idéologie païenne 

Il y a eu – il y a encore, chez certains - toute une idéologie païenne concernant la passion de Jésus. Pour faire simple et imagé, cette expression tirée du « Minuit chrétiens » : Jésus est mort « pour effacer la tache originelle et de son Père apaiser le courroux. » Jésus Christ aurait « payé » de sa mort pour effacer la colère de Dieu à l’égard de l’humanité. Ou encore, il aurait été livré « en rançon », comme paiement pour racheter nos fautes. 

Idéologie païenne : on trouve cette triste mentalité dans la plupart des comportements religieux primitifs : le sacrifice, y compris le sacrifice d’êtres humaines, est destiné à acheter la clémence divine à l’égard des pauvres humains. Ces coutumes barbares ont existé dans de nombreux peuples, dans de nombreuses religions. On les trouve aussi bien chez les Aztèques que chez les Carthaginois. Et je crois que le basculement vers un autre type de religion se rencontre dans la Bible, avec l’histoire du sacrifice d’Isaac par Abraham : On passe du sacrifice humain au sacrifice d’animaux, ce qui est, vous en conviendrez, un progrès certain.

Jésus prend parti

Pour en venir au sacrifice de la Croix, on entre dans une tout autre problématique. Certes, Jésus est une victime innocente, et ce sont des hommes qui vont le mettre à mort, en conformité avec leurs propre idées religieuses ou politiques. Mais la victime innocente marche à la mort de son plein gré. Plus même : elle se range volontairement du côté de toutes les victimes innocentes. Jésus prend parti. Et il nous demande, à nous aussi, de prendre parti. De nous ranger, non plus du côté des bourreaux, mais du côté des victimes. Librement, volontairement.

« Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne », déclare-t-il à la veille de sa Passion. Et Jésus s’arrange pour devancer les initiatives et les actes de ses ennemis et de ses bourreaux. C’est qu’il veut faire de sa propre passion un acte exemplaire et libre. Un acte solidaire. La croix, c’est Dieu qui, gratuitement, vient épouser le destin de tous ceux que la méchanceté humaine fait souffrir, de tous ceux que nous déshumanisons en nous déshumanisant nous-mêmes. Les victimes de notre volonté de dominer, de refuser aux autres les biens que nous possédons, de les utiliser comme instruments de notre prospérité. Dieu, sur la croix, vient s’afficher  comme figure de toutes nos victimes.

Nous l'avons tué !

Jésus affiché : il l’avait annoncé, qu’il serait ainsi « élevé de terre », exposé au regard de tous les hommes. Les passants pressés ont dû regarder d’un œil distrait : « Tiens, encore un condamné ! C’est bien malheureux, mais ça ne nous regarde pas ! » Mais si, ça les regarde. Ça regarde tout homme. C’est nous qui l’avons tué, en nous, en voulant l’ignorer. Et nous l’avons tué chez les autres, en les méprisant, en les abandonnant à leur détresse. Tous les hommes sont collectivement responsables. Car ce qu’il y a de plus universel, ce qui fait que nous nous ressemblons tous, de quelque civilisation ou de quelque religion que nous soyons, c’est la cruauté et l’indifférence envers les autres. Les prêtres juifs et Pilate, le religieux et le civil, le juif et le païen se trouvent d’accord pour que le juste soit crucifié.

La croix, signe de l’amour absolu. L’amour exige de celui qui aime de partager le sort de l’aimé. Depuis toujours, Dieu est celui qui partage jusqu’au bout le sort de l’humanité souffrante. Désormais, aucun homme, quel que soit son malheur, ne peut se sentir seul. Voilà qui est Dieu en vérité : il est don de soi, don de sa vie, pour que nous puissions vivre de sa vie donnée. En Dieu, l’amour surabonde.

 

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